Le salon des Solutions
environnementales & énergétique du Nord

Les Actualités

Responsabilité sociétale de l’entreprise : concilier gestion de flotte et RSE

03/09/2024

Responsabilité sociétale de l’entreprise : concilier gestion de flotte et RSE

La mobilité pèse près d’un tiers des émissions de CO2 d’une entreprise : c’est dire son importance dans le cadre d’une RSE efficiente. Dès lors, comment les gestionnaires peuvent-ils intégrer leur flotte dans la politique RSE de leur employeur ? Quelles sont les difficultés à résoudre et les bénéfices à attendre ? Le point sur la flotte et la RSE.

Que les gestionnaires de flotte le veuillent ou non, la responsabilité sociétale en entreprise (RSE) prend de plus en plus de place. Selon une étude publiée en 2023 par Topformation, un moteur de recherche spécialiste de la formation professionnelle et continue, 58 % de la population active identifie la politique RSE comme un critère de choix lors d’une recherche d’emploi. En outre, 90 % des consommateurs attendent des marques qu’elles commercialisent des produits et services plus responsables. Et l’étude de conclure que les directions des entreprises se mettent à la RSE pour cinq raisons principales : les obligations légales, la conviction des dirigeants, l’anticipation des risques, la rentabilité et les opportunités commerciales.

RSE : le rôle de la flotte

Dans ce contexte, les questions de mobilité en entreprise jouent un rôle essentiel. « Une flotte peut générer jusqu’à un tiers des émissions de gaz à effet de serre d’un employeur, pose en préalable Yoann Magaut, dirigeant de Mobileo Consulting, une société de conseil qui accompagne les entreprises dans l’évolution de leur politique mobilité. C’est pourquoi la bonne gestion de la mobilité globale constitue un levier majeur à actionner pour qui souhaite développer la RSE de sa société », poursuit-il.

Ces actions liées à la mobilité sont essentielles pour mener à bien une démarche RSE, mais elles deviennent aussi obligatoires. « Nous analysons les empreintes carbone de nos clients pour que ces derniers soient en conformité avec des réglementations comme la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) », expose Patrick Nollet, cofondateur de la société Traace. Depuis 2020, cette entreprise développe une plate-forme qui aide à la décarbonation des entreprises.

Réglementations : un poids croissant

Quant à la directive CSRD de juin 2022, votée au parlement européen en novembre 2022, elle est en vigueur, en France, depuis le 1er janvier 2024. « La décarbonation des entreprises se fera sur un temps long. Et les sociétés qui s’y mettent maintenant bénéficieront d’un avantage stratégique, et ce d’autant plus que les réglementations environnementales vont se durcir », anticipe Patrick Nollet.

La RSE serait-elle l’avenir des gestionnaires de flotte ? « Oui, leur rôle est primordial pour une flotte plus sobre et une mobilité plus douce pour les collaborateurs », répond Aurélie Giraud, experte en RSE et dirigeante du cabinet de conseil spécialisé en RSE Mecoa (mesurer, comprendre, agir). Mais l’enthousiasme est plus mesuré du côté des responsables de parc qui ont, c’est tout à fait légitime, d’autres chats à fouetter. « La direction RSE a pris en main ce sujet », confie, presque soulagé, un responsable de parc anonyme.

La gestion de flotte en mutation

Pourtant, toutes les parties concernées admettent que le métier de gestionnaire de flotte évolue et va encore profondément muter. Il s’agit, très schématiquement, de passer du spécialiste qui substitue un véhicule diesel à un autre diesel, à un multi-spécialiste qui intègre la mobilité électrique, des bornes de recharge, des vélos, de la visioconférence, etc. « On demande beaucoup à ce gestionnaire, admet Yoann Magaut, pour Mobileo Consulting. Mais il doit s’y mettre car intégrer la RSE à son travail va l’aider à mieux comprendre les actions à mener pour électrifier la flotte et les impacts réels de la décarbonation, tout en valorisant ses résultats. » Ce qui suppose de savoir s’y prendre. Pour un responsable de parc, les spécialistes et les praticiens proposent un plan en trois étapes.

1. S’imprégner du sujet RSE

Pour un débutant, le bon point de départ est de s’imprégner de la culture RSE. Cela peut passer par des webinaires, des sites internet et, bien sûr, par la lecture d’ouvrages. Avec comme objectif de maîtriser les tenants et les aboutissants du sujet. Bref, de disposer d’un savoir pour comprendre les impacts et le fonctionnement de la RSE. Sur ce sujet, les travaux d’Aurélien Bigo sont à suivre. Ce chercheur prône une autre mobilité et sa façon de penser peut se résumer en une phrase rapportée par notre confrère Reporterre : « L’avenir de la voiture est électrique, mais la voiture n’est pas l’avenir ». La lecture de son ouvrage Voitures – Fake or not ? publié en 2023 s’impose donc.

« Je me suis beaucoup formé, confirme Yohann Desalle, manager de transition spécialiste de la décarbonation du transport et de la mobilité, et en charge des 14 000 véhicules d’Engie en tant que directeur du parc automobile. J’ai suivi des cours sur la réalisation d’un bilan carbone pour comprendre les mécaniques en œuvre. J’ai alors pu aborder les questions de RSE au sein d’une entreprise. Cela ouvre des perspectives, avec des cursus de deux jours à trois semaines dans des établissements de formation. J’ai aussi suivi des cours pour animer une fresque du climat et il existe des cursus sur les fresques de la mobilité », relate Yohann Desalle.

Dresser un bilan carbone

« Je conseille également de mener un bilan carbone qui inclut la mobilité », préconise Valérie Mas, codirigeante et cofondatrice du télématicien WeNow. Avec comme objectifs de mesurer précisément la consommation en carburant, et de suivre les indicateurs comme la sinistralité, les émissions en gaz à effet de serre de sa flotte, le taux d’utilisation des véhicules, etc.

Une fois ces chiffres obtenus et fort de sa maîtrise de la RSE et du bilan carbone, le responsable de parc doit définir comment son travail peut avoir un impact sur la RSE de son entreprise. Il est ainsi possible de réfléchir à l’électrification de la flotte en s’appuyant sur la cartographie des usages. De même, ce responsable pourra évoquer avec les collaborateurs l’idée de se lancer dans l’autopartage ou d’instaurer un crédit mobilité pour remplacer les véhicules par une somme d’argent.

« Tout cela se termine par une réflexion globale sur la mobilité. A-t-on vraiment besoin d’un véhicule ? Si oui, peut-on le choisir électrifié ? Le mieux est alors de réduire la taille de sa flotte tout en l’électrifiant. Moins on se déplace, mieux ce sera pour le climat », résume Valérie Mas.

2. Mettre en place les actions

Et il sera alors temps de passer à l’action. « Pour qu’un gestionnaire de flotte développe une politique RSE pas trop chère et pas trop compliquée à lancer, je conseille de mettre le paquet sur la mobilité douce et de faciliter l’accès aux vélos pour les collaborateurs », avance Stéphane Wartel, pour l’Institut de radioprotection et de sureté nucléaire (IRSN). Ce coordonnateur logistique, property et mobilité a la charge de 130 véhicules dont 17 électriques, répartis dans huit sites. « Une politique avec des deux-roues n’a que des vertus : c’est bon pour la santé, bon pour le bien-être au travail et cela ne coûte pas cher », souligne Stéphane Wartel. Plus largement, Stéphane Wartel déploie un plan de verdissement de sa flotte qui inclut l’installation de bornes de recharge, mais aussi des ateliers de formation à l’éco-conduite.

À la tête des Cafés Sati, une entreprise d’importation, de torréfaction et de vente de café, Nicolas Schulé mise sur l’éco-conduite pour ses 51 salariés et ses 17 véhicules. Mais sa politique RSE en matière de mobilité ne s’arrête pas là. Car l’entreprise va électrifier l’ensemble de sa flotte à partir de 2025, et cherche à convaincre ses salariés de réaliser leurs trajets domicile-travail à vélo.

Actionner tous les leviers

Pour ce faire, elle développe des challenges avec des concours où les conducteurs peuvent gagner des casques de vélo. Sur vingt salariés au siège, dix ont sauté le pas et font à vélo les trajets domicile-travail. « Il reste dix collaborateurs que nous invitons à utiliser les transports en commun ou le vélo », note Nicolas Schulé. Qui réfléchit à un forfait mobilités durables et à une flotte de vélos partagés, ou à des vélos de fonction pour séduire les derniers employés qui viennent en voiture.

« Pour les trajets carbonés, nous avons aussi institué une compensation carbone en développant plusieurs projets. Le premier finance des éoliennes off-shore et des fermes solaires ; le second subventionne des plantations d’arbres. En 2022, notre flotte a émis 101 t de CO2 : nous avons donc versé à des organismes 10 euros par tonne émise pour planter 101 arbres et financer l’installation d’une centrale hydro-électrique au Cambodge », illustre Nicolas Schulé.

Des effets secondaires

À noter que ce travail sur la RSE peut avoir des effets secondaires très utiles, comme celui d’abaisser l’exposition au risque routier. C’est le métier de Jérémie Carlo, chargé d’affaire pour Diarbenn Solutions, une société rennaise (Diarbenn signifie « prévention » en breton) spécialiste du conseil et de l’expertise du risque routier. « Nos clients nous contactent pour améliorer aussi leur politique RSE. Ce n’est pas leur motivation première, mais il est de plus en plus fréquent d’intégrer le risque routier dans sa politique RSE », explique-t-il. Car diminuer la consommation de sa flotte, son accidentalité et surtout ses coûts humains représente autant de sujets liés à la RSE d’une entreprise.

3. Acculturer et communiquer

Pour réussir le mariage de la gestion de flotte et de la RSE, il sera ensuite indispensable de procéder à l’« acculturation » de son entreprise. « Cela passe par une communication sur la décarbonation de la flotte à destination de sa direction comme des collaborateurs, avance Aurélie Giraud, experte en RSE et dirigeante du cabinet de conseil Mecoa. Toutes ces personnes, qui ne sont pas spécialistes de la flotte et de la RSE, se rendront alors compte des effets délétères ou non pour le climat de telles ou telles décisions. Quand elles auront saisi l’importance de la mobilité pour la décarbonation, elles changeront leurs habitudes pour que leurs enfants, en 2050, puissent vivre sur une planète plus durable », complète Aurélie Giraud.

Savoir communiquer

Cette partie « acculturation-communication » est la plus délicate mais aussi la plus passionnante. Elle nécessite des compétences managériales à développer ou à acquérir. « Il faut convaincre tout le monde, du haut en bas de la hiérarchie, commente Yohann Desalle, le manager de transition en charge de la flotte d’Engie. Avec des webinaires, j’ai ainsi formé le Codir. Mais l’étage qui m’a posé le plus de soucis est celui des responsables d’équipe avec des techniciens à gérer. Ces cadres intermédiaires ne veulent pas que le véhicule soit une contrainte pour leurs collaborateurs. Hier, le technicien pouvait sauter dans son véhicule et démarrer. Il faisait le plein quand cela lui chantait. Pas de question à se poser. La donne a changé avec une électrification à mener. Cela demande plus d’anticipation. C’est alors que les craintes apparaissent », rappelle Yohann Desalle.

Pour Yohann Desalle, il faut donc encore plus rassurer, encore plus communiquer, en offrant aux collaborateurs un véhicule selon leurs besoins. « Cela nécessite une réflexion technique bien menée en amont. On explique alors, en reprenant l’activité des six à douze derniers mois, que le véhicule électrifié retenu peut assurer 97 % des tournées à réaliser. Si l’on démontre donc que cette solution est fiable à 97 %, tout le monde sera content », poursuit Yohann Desalle.

Yohann Desalle tient d’ailleurs à préciser qu’« oublier ce volet acculturation-communication est un facteur d’échec ». Un échec qu’il a connu chez un précédent employeur. « J’avais acheté les bons véhicules, installé les bonnes bornes. Mais pas de communication. Personne ne voulait alors monter dans mes voitures… J’avais oublié ce volet acculturation, cette partie humaine du management, et j’ai dû “ramer” pour récupérer tout cela. On me demandait en permanence si on allait s’électrocuter avec mes véhicules électriques, si on pouvait utiliser le chauffage, si on allait réussir à rentrer chez soi, si on pouvait recharger son téléphone », se souvient Yohann Desalle.

Illustration par le contre-exemple

Pour qui ce type de démarche nécessite beaucoup d’exemplarité et de négociations. « Il faut aussi ^tre pragmatique. Je suis favorable à l’électrification des flottes mais cette énergie ne convient pas non plus à tout le monde. Il faut analyser les usages, ne pas faire de choix avant d’avoir réalisé les études. Il faut s’assurer que les mobilités correspondent aux usages avant de tout mettre en place », conclut Yohann Desalle. Un modèle à suivre.

Gwenole Guiomard / flotauto

Annonce Publicitaire