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Arbres malades, puits de carbone en rade : 4 graphiques pour comprendre la crise de la forêt française

07/01/2025

Arbres malades, puits de carbone en rade : 4 graphiques pour comprendre la crise de la forêt française

La capacité de la forêt française à capter du carbone décline largement. Pour compenser, le gouvernement est contraint de prévoir de plus fortes baisses d’émissions dans sa Stratégie nationale bas carbone.

Les massifs forestiers hexagonaux vont-ils bientôt relâcher plus de carbone qu’ils n’en captent ? Vu leur état de santé, un tel cas de figure n’est plus à exclure. Il s’agirait d’un retournement historique car, ces deux derniers siècles, le quasi-doublement de la taille de la forêt métropolitaine – passée de 8,9 à 17,5 millions d’hectares entre 1840 et 2023 – lui a permis de stocker toujours plus de carbone : 2,8 milliards de tonnes aujourd’hui au total (également réparties entre les arbres et les sols forestiers). Soit 25 ans d’émissions de CO2 nationales au rythme actuel.

Alors que la France s’est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050, cette capacité des arbres à capter le CO2 dans l’atmosphère – le « puits de carbone » – est plus capitale que jamais, car l’objectif de l’Hexagone est qu’elle compense l’ensemble des émissions de CO2 du pays d’ici la moitié du siècle (c’est le fameux objectif « zéro émissions nettes en 2050 »).

Mais pour séquestrer ce CO2, les arbres doivent rester vivants, et en bonne santé. Or même si la surface forestière continue d’augmenter (+ 500 000 hectares entre 2022 et 2023), la mortalité des arbres explose. Elle a doublé entre les périodes 2005-2013 et 2014-2022, passant de 7,4 à 15,2 millions de mètres cubes par an (Mm3/an), soit 0,5 % du volume total d’arbres, selon l’inventaire forestier 2024 de l’IGN.

La faute au réchauffement climatique qui provoque sécheresse et températures trop élevées, tout en favorisant la prolifération de bioagresseurs : champignons, insectes, bactéries… Le phénomène est particulièrement avancé dans le quart Nord-Est, où le taux d’arbres altérés peut dépasser 15 % dans de larges régions forestières (l’IGN parle de « sylvoécorégions », c’est-à-dire de zones où le peuplement forestier a des caractéristiques homogènes).

En France, 8 % des arbres sont en mauvaise santé, avec de fortes variations régionales

Taux d’arbres altérés par sylvoécorégion en 2021-2023, en %

Note : un arbre est qualifié d’altéré par l’IGN en fonction de deux conditions cumulatives : la mortalité des branches et le manque de ramification ou d’aiguilles.

Source : IGN, inventaire forestier 2024

Ces facteurs liés au réchauffement ont également ralenti la croissance annuelle du volume de bois, passée de + 91,5 Mm3/an pendant la période 2005-2013 à + 87,9 Mm3/an sur les années 2014-2022. Par ailleurs, les prélèvements d’arbres ont aussi augmenté de 13 % entre ces deux périodes (passant de 47,2 à 53,1 Mm3/an). Heureusement, la moitié de cette récolte sert à fabriquer des produits durables en bois qui prolongent le stockage du CO2.

La mauvaise santé des arbres fait chuter le puits de carbone

Au total, au niveau national, le bilan net du flux de bois (la croissance moins la mortalité moins les prélèvements) a été divisé par deux en dix ans, passant de + 41,7 à + 19,5 Mm3/an entre les périodes 2005-2013 et 2014-2022. Une chute qui est donc davantage liée à la hausse de la mortalité des arbres qu’à la hausse des prélèvements de bois ou à la moindre croissance des forêts.

Au niveau régional, de fortes disparités existent. Certaines sylvoécorégions, surtout dans l’Est, affichent même un flux de bois net négatif. Ce sont globalement les régions qui affichent les plus forts taux d’arbres altérés et les plus forts taux de prélèvements, ce qui est normal car les arbres malades sont coupés en priorité.

Ces régions françaises qui perdent plus d’arbres qu’elles n’en gagnent

Note : le flux de bois correspond à la croissance de la forêt, moins la mortalité, moins les prélèvements

Source : IGN, inventaire forestier 2024

Combinés, cette hausse de la mortalité et ce tassement de la croissance des arbres entraînent donc une chute du puits de carbone forestier. Les forêts métropolitaines ont ainsi absorbé, en moyenne, 39 millions de tonnes de CO2 par an entre 2014 et 2022, contre 63 millions entre 2005 et 2013, a mesuré l’IGN.

Les données détaillées du rapport annuel du Citepa, l’organisme scientifique indépendant qui établit pour le gouvernement les émissions de gaz à effet de serre du pays, montrent clairement comment la hausse de la mortalité a fait décliner le puits de carbone forestier.

A cause de la mortalité des arbres, le puits de carbone forestier décline fortement

Bilan carbone de la forêt française, en milliers de tonnes de CO2 par an

Cette dynamique inquiétante ne devrait pas s’inverser ces prochaines années. En témoigne le projet de troisième Stratégie nationale bas carbone (SNBC 3), dévoilé début novembre par le gouvernement. Ce document de planification est censé donner, secteur par secteur, la répartition de l’effort de lutte contre le réchauffement.

Cette SNBC 3, dans sa version présentée par l’exécutif, diffère beaucoup de sa prédécesseure, la SNBC 2, sur un point : la contribution à l’effort climatique du secteur « utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie » (UTCATF), dont le puits de carbone forestier est la principale composante. Et pour cause, la cible de la SNBC 2 pour ce secteur a été complètement manquée ces dernières années, à cause de la « baisse importante du niveau du puits forestier qui n’avait pas été anticipée », comme l’indique le projet de SNBC 3.

L’exécutif contraint de revoir à la baisse ses objectifs

Alors que le gouvernement prévoyait que le puits de carbone du secteur UTCATF représente des émissions négatives de - 43 millions de tonnes équivalent CO2 (MtCO2e) par an entre 2019 et 2023, la contribution réelle du secteur a été deux fois moindre, avec des émissions négatives annuelles d’environ - 20 MtCO2e. En cumulé, sur ces cinq années, le secteur UTCATF a capté 115 MtCO2e de moins que prévu, de quoi faire échouer l’objectif global de la SNBC 2 tous secteurs confondus.

Dans sa nouvelle SNBC 3, le gouvernement a donc décidé de tabler sur une contribution bien moindre du secteur UTCATF à l’avenir. Pour la période 2024-2028, la SNBC 3 prévoit un puits de carbone de seulement - 9 MtCO2e par an, au lieu de - 42 MtCO2e dans la SNBC 2. Pour 2029-2033, un puits de carbone de - 18 millions de tonnes par an est envisagé, contre - 46 millions dans la SNBC 2.

Face à l’effondrement du puits de carbone forestier, le gouvernement contraint d’ajuster ses objectifs climatiques

Puits de carbone lié à l'utilisation des terres, au changement d'affectation des terres et à la foresterie (UTCATF), historique et budgets carbone des SNBC 2 et 3, en millions de tonnes équivalent CO2


Avec une forêt qui capte moins de CO2 de l’atmosphère, il faudra en émettre moins pour parvenir à l’objectif de neutralité carbone en 2050. Le rabaissement des cibles de puits de carbone dans la SNBC 3 a donc pour corollaire une hausse de l’effort demandé aux autres secteurs émetteurs de gaz à effet de serre.

Sauf qu’un tel relèvement des objectifs pourrait être difficile à tenir, car la France parvenait tout juste à respecter ses précédents objectifs de la SNBC 2 (hors UTCATF), dans un contexte de faible activité économique…

Autre obstacle potentiel : la SNBC 3 prévoit vers 2030 une amélioration du puits de carbone, mais celle-ci repose sur des hypothèses qui pourraient s’avérer trop optimistes. Parmi celles-ci, la réussite du plan de reboisement consistant à planter un milliard d’arbres en dix ans, et la fin progressive de la crise de mortalité liée aux scolytes, ces insectes qui s’attaquent aux résineux et ravagent les forêts de l’est de la France.

Dans un rapport publié en mai 2024, l’IGN explorait ces hypothèses, ainsi que d’autres, moins favorables. Que se passerait-il, par exemple, si les crises de mortalité liées au réchauffement climatique (sécheresses, maladies, etc.) s’intensifiaient et touchaient d’autres massifs ou essences d’arbres, au lieu de se stabiliser à un niveau plus bas qu’actuellement ?

Dans un tel cas de figure, le puits de carbone forestier pourrait se dégrader encore fortement d’ici 2050… Jusqu’à devenir négatif vers la moitié du siècle, selon le document. Un scénario extrême, mais les effets du réchauffement sur la forêt le sont déjà.

Matthieu Jublin / alternatives-economiques

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