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Prévoir les sécheresses et les inondations, est-ce possible ?
14/01/2025
Inondations dans le nord de la France en novembre 2023. Anthony Brzeski/AFP
Alors que les aléas climatiques se multiplient, anticiper les périodes de sécheresses comme d’inondations devient crucial. Un champ de la science œuvre activement à cela, celui de la modélisation hydrogéologique.
C’est un paradoxe de notre époque. Des populations se retrouvent victimes d’inondations graves comme de restrictions d’eau, et ce, en l’espace de quelques mois. Dans le Pas-de-Calais, les inondations historiques de novembre 2023 et janvier 2024 ont ainsi succédé à la sécheresse généralisée de l’été 2022, ses coupures d’eau volontaires et ses restrictions en eau souterraine.
Variation journalière du nombre de département soumis à restriction sur les eaux souterraines entre 2013 et 2024. Vigieau.gouv.fr, Fourni par l'auteur
En cause, notamment, le changement climatique en cours qui génère une intensification du cycle de l’eau et augmente la fréquence et la sévérité des aléas. Autant d’évènements qui ne feront que s'accroître dans les années à venir.
Pour mieux anticiper et comprendre ces épisodes extrêmes, l’étude des eaux souterraines est cruciale. Car celles-ci alimentent les rivières et peuvent provoquer des débordements. Elles fournissent également l’eau de 96 % des captages d’alimentation en eau potable (AEP) à l’échelle nationale. Ces eaux circulent dans des formations géologiques souterraines que l’on nomme aquifères.
En France hexagonale, on distingue ainsi environ 200 aquifères d’emprise régionale (> 100 km2), dont 175 à nappe libre généralement peu profondes et 25 à nappe captive, soit des aquifères souvent situés à plusieurs centaines de mètres de profondeur.
Qu’est-ce que la modélisation hydrogéologique ?
Pour connaître l’évolution des eaux souterraines, on utilise les piézomètres. C’est-à-dire des forages équipés d’une sonde permettant de mesurer le niveau d’eau dans les nappes (ou niveau piézométrique). Le BRGM assure le suivi du réseau national piézométrique. À ce titre, il gère 1710 piézomètres dont le suivi est réalisé en moyenne depuis 30 ans même si certaines mesures piézométriques sont beaucoup plus anciennes avec des puits parfois relevés manuellement depuis plus d’une centaine d’années.
Selon les types d’aquifères, la réactivité de la nappe n’est pas la même. Elle varie selon leur porosité (pourcentage de vides dans la roche), leur perméabilité (capacité à laisser circuler l’eau, liée à la connexion plus ou moins importante entre ces vides) et leur épaisseur. Les nappes réactives (généralement, dans des aquifères constitués de graviers, calcaires karstiques ou roches cristallines altérées et fracturées) se rechargent rapidement lors des pluies, mais ont une sensibilité importante à la sécheresse. Leur état de remplissage peut donc varier très rapidement au cours d’une même saison. Les nappes inertielles (généralement dans des aquifères épais constitués de craie, calcaire non karstique, grès) réagissent elles lentement. Leur cyclicité peut être pluriannuelle, c’est-à-dire qu’elles nécessitent plusieurs années pour se recharger ou se vidanger.
Pour prévoir l’évolution des débits de rivière et des niveaux de nappe sur les prochains mois afin d’anticiper des risques de sécheresse ou d’inondations par remontées de nappe nous utilisons des modèles.
Un modèle est une représentation simplifiée de la réalité qui vise à décrire, expliquer ou prédire des phénomènes complexes en mettant l’accent sur certains éléments tout en négligeant d’autres. Il permet d’objectiver les observations, de tester des hypothèses et d’émettre des prévisions sur le comportement de systèmes, tout en facilitant leur compréhension. Cependant, l’efficacité d’un modèle repose sur un équilibre délicat entre la simplification et la fidélité à la réalité.
Concernant les eaux souterraines, le recours à un modèle numérique peut permettre de tenir compte de différents facteurs prépondérants dans le comportement d’une nappe (nature du substratum géologique, relief, occupation du sol, l’effet de l’action de l’homme, météorologie…).
Existe-t-il des prévisions de l’état des nappes ?
En France, les plates-formes de modélisation MétéEAU Nappes et Aqui-FR permettent de prévoir les variations du niveau des nappes à l’échelle saisonnière. Ces deux plates-formes sont opérationnelles depuis plusieurs années et sont toujours en cours d’amélioration et d’extension.
L’outil de prévision saisonnière MétéEAU Nappes utilise le modèle hydrogéologique global GARDENIA. Avec ce modèle global, l’état des nappes est représenté par un seul niveau d’eau considéré homogène sur l’ensemble du bassin versant étudié. Le modèle est évalué sur un seul piézomètre jugé représentatif de la nappe et idéalement sur une station de débit de rivière. De la même manière, les données climatiques nécessaires pour l’alimenter (pluie et évapotranspiration potentielle), proviennent d’une station Météo-France représentative. Les prélèvements d’eau souterraine sont également considérés de façon globale (non spatialisée). Il existe aujourd’hui 84 points de simulation sur le territoire national, dont un bon nombre seront consultables par le grand public dès 2025 sur le site de la plate-forme.
La plate-forme Aqui-FR regroupe quant à elle plusieurs types de modèles : des modèles globaux tel que GARDENIA, mais également des modèles dits « maillés » comme le code de calcul Marthe . Ceux-là simulent les niveaux de nappe en tout point du bassin suivant les lois physiques des écoulements. Ce type de modèle nécessite donc de connaître les variations spatiales de l’altitude, de la géologie et des sols sur tout le bassin versant. Aqui-FR tient également compte de données météorologiques spatialisées pour l’alimenter : les données Météo-France SAFRAN à une résolution de 8 km. Les modèles sont évalués sur plusieurs piézomètres et stations de débits de rivière sur l’emprise du bassin versant étudié.
Conceptualisation, données en entrée et en sortie des différents modèles utilisés (modifié par l’auteur, d’après P-Y. David et E. Idee, BRGM). Fourni par l'auteur
Enfin, les modèles de MétéEAU Nappes peuvent être mis en œuvre et modifiés rapidement, avec peu de données alors que les modèles maillés d’Aqui-FR demandent un temps de construction plus long et ont comme objectif de reproduire l’ensemble des processus naturels avec davantage de réalisme.
La qualité comme la fréquence des données de prélèvements disponibles et la prise en compte de leur évolution lors des prévisions reste cependant une des limites de ces outils de modélisation.
Exemple de prévision de la sécheresse de l’été 2023
Tâchons maintenant de voir comment ces prévisions ont pu être pertinentes avec un exemple récent, celui de la sécheresse de l’été 2023. Nos modèles utilisent comme scénarios climatiques les données passées de Météo France SAFRAN mais également des modèles de prévisions météorologiques de Météo France (plusieurs scénarios sont sélectionnés).
Avec MétéEAU Nappes, un niveau de nappe est simulé pour chaque piézomètre selon plusieurs scénarios pour les 6 prochains mois, allant d’un scénario « très humide » à « très sec » et même jusqu’à l’hypothèse d’une absence totale de précipitations durant les 6 prochains mois. L’exemple des prévisions saisonnières de l’été 2023 (jusqu’au 1er octobre) à la date du 1er avril 2023 du piézomètre de Santenay dans le Loir-et-Cher est très parlant.
Visuel issu de la plate-forme MétéEAU Nappes : prévision des niveaux de nappes du 01/04/2023 au 01/10/2023. Fourni par l'auteur
On constate a posteriori que les niveaux de nappe qui ont été observés correspondent finalement à la prévision du scénario extrême « sans précipitation » ce qui est cohérent avec la sécheresse météorologique effectivement observée.
Du côté de la plate-forme Aqui-FR, qui rassemble donc une dizaine de modèles hydrogéologiques régionaux, maillés pour la plupart, afin d’assurer un suivi en temps réel des nappes (à l’instar de MétéEAU Nappes) et des prévisions spatialisées à 6 mois du niveau des nappes, on constate également la bonne reproduction des tendances à 6 mois.
Prévision saisonnière via la plateforme AquiFR de l’étiage 2023 en date d’avril 2023 (à gauche) et état spatialisé des nappes lors de l’étiage (à droite) Fourni par l'auteur
Comment exploiter les prévisions des modèles hydrogéologiques
De par leurs différences, les deux approches présentées ci-dessus sont complémentaires. Mais quelle que soit la plate-forme utilisée, ou l’origine des données climatiques en entrée (prévisions Météo-France ou scénarios basés sur les observations passées), les prévisions des niveaux de nappes se révèlent plus fiables en période de vidange des nappes soit après la période de recharge. En effet, à partir du printemps, les précipitations sont en grande partie reprises par évapotranspiration et viennent moins affecter les prévisions.
Cependant, malgré les incertitudes inhérentes à tout exercice de modélisation, ces outils se révèlent utiles pour anticiper les périodes de crise et favoriser la prise de décision. Les résultats des simulations et des prévisions constituent également un support de discussion entre les scientifiques, les gestionnaires et les citoyens.
Les simulations font l’objet de bulletins récurrents permettant d’établir un état des nappes et de prévoir leur évolution sur les six prochains mois. Les prévisions peuvent être consultées par les acteurs publics ou par tout citoyen sur simple inscription (cas de MétéEAU Nappes). Ces plates-formes servent également de support lors des comités départementaux et nationaux de gestion de la ressource en eau (Comité d’anticipation et de suivi hydrologique notamment).
Outre la prévision saisonnière court ou moyen terme, les modèles hydrogéologiques peuvent également être mobilisés pour des applications de projection sous changement climatique, pour des problématiques de qualité de l’eau (diffusion d’un polluant dans une nappe), ou pour mieux comprendre l’impact de différents facteurs.