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Loin du mythe de l'avion tout électrique, la difficile électrification de l'aviation commerciale
18/04/2025

Safran veut maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur électrique des avions. © Cyril Abad / CAPA Pictures / Safran
Comme l’automobile, le transport aérien se met à l’heure de l’énergie électrique. Mais les obstacles techniques et industriels y sont plus nombreux.
Pour la voiture, comme pour l’avion, place à l’électrification ! Mais dans les airs, l’équation à résoudre donne davantage de fil à retordre. «Le fantasme du tout-électrique a fait long feu, lance Jean-Christophe Lambert, le PDG d’Ascendance Flight Technologies, qui développe un engin pour quatre passagers, l’Atea. La plupart des projets de petits aéronefs lancés durant la décennie 2010 ont abandonné le tout-électrique pour des engins hybrides, associant électrique et thermique.» Pour ce qui est de l’aviation commerciale, «au mieux, l’énergie électrique contribuera à réduire de 5% la consommation de carburant du successeur de l’A320, vers 2035, avance Karim Mokaddem, le responsable R&T des avions commerciaux d’Airbus. Ce qui n’est pas négligeable.» Et cela représente déjà un immense défi.
L’industrie aéronautique ne le découvre pas aujourd’hui. «Les années 2000 ont constitué un tournant dans l’électrification, mais qui visait exclusivement les systèmes tels que les actionneurs», rappelle Florent Nierlich, le directeur technique et innovation de Safran. L’accélération date de la fin des années 2010, dans un but de décarbonation, cette fois pour les systèmes propulsifs. Une décennie durant laquelle les projets de petits aéronefs se multiplient et où Airbus se frotte à la réalité avec les projets eFan et eFan X. «Nous avons alors compris qu’un avion tout électrique de type A320 ne verrait sans doute jamais le jour», résume Karim Mokaddem.
Principal obstacle à cette poussée de l’électrique : la trop faible efficacité des batteries. «Il y a dix ans, on prévoyait un doublement de leurs performances, or elles n’ont augmenté que de 20 à 30%, soutient Jean-Christophe Lambert. La maturité industrielle des nouvelles batteries n’est pas au rendez-vous.» Aujourd’hui, la densité énergétique de celles au lithium-ion est d’environ 200 Wh/kg. De quoi faire voler des engins de deux à quatre places. Ce sont des batteries de ce type qui équipent par exemple l’Integral E du toulousain Aura Aero, un biplace tout électrique qui a effectué son premier vol en décembre 2024 et vise sa certification en 2026.
L'option des batteries solides
Dès lors qu’un appareil vise six passagers, l’hybridation reste pour l’heure incontournable. «Pour qu’un avion de type TBM atteigne son altitude de croisière, il faudrait l’énergie de deux batteries de voiture, comme celles de la Peugeot e208, ce qui représente environ 800 kg, chiffre Pascal Laguerre, le directeur des technologies de Daher. Cela dépasse la masse des six personnes à bord et de leurs bagages.» Pour un A320 de 40 tonnes à vide, il faudrait compter a minima 100 tonnes de batteries pour espérer le faire voler.
En outre, le risque d’incendie des batteries, plus problématique à bord que sur la terre ferme, oblige à les enfermer dans de véritables coffres-forts. «Contrairement à l’automobile, le facteur masse est crucial dans l’aéronautique, relève Karim Mokaddem. Il faut sans cesse s’assurer que le bénéfice technologique n’est pas dilué par un apport de masse.» Les espoirs se cristallisent donc autour des batteries constituées d’un électrolyte solide. La promesse : une densité énergétique de 500 Wh/kg, qui serait déjà atteinte par le géant chinois CATL. «Le packaging est plus simple et le sarcophage de protection plus léger, les risques d’incendie étant moindres», s’enthousiasme Florent Nierlich.
Airbus parie sur cette technologie pour les besoins propulsifs et non propulsifs de son prochain monocouloir. Il planche avec Renault pour améliorer la conductivité de l’électrolyte et le nombre de cycles d’utilisations possibles. Un choix qui devra être validé dès 2027 ou 2028. «Les constructeurs automobiles estiment que les batteries solides deviendront une réalité à cette date, relève Karim Mokaddem. Le long terme de l’auto est le court terme de l’aéronautique.» Pour les gros avions, l’énergie électrique fournira un coup de pouce à l’énergie thermique.
Architecture haute tension
Autre défi à relever ? L’augmentation de la tension : le 800 V promet de devenir un standard, comme dans l’automobile, contre 115 V aujourd’hui dans les avions commerciaux pour les besoins non propulsifs. De quoi augmenter la puissance sans pour autant que le diamètre des câbles électriques – donc leur poids – ne soit trop élevé. Une tension éprouvée dans l’EcoPulse, premier projet d’envergure à avoir associé Airbus, Safran et Daher, lancé en 2019 et achevé l’an passé. Cette tension a permis de diviser par huit la masse des harnais électriques. «Nous avons pu quantifier les gains et les pertes liés à différents choix d’architecture et de technologies, valider nos modèles de simulation et identifier les lacunes à combler», confie Pascal Laguerre. Car ce niveau de tension n’est pas sans conséquences.
Court-circuit, arc électrique, effet d’échauffement… «Cet important voltage génère des phénomènes physiques nouveaux qui doivent être maîtrisés et anticipés, admet Karim Mokaddem. À haute altitude, il s’agit là d’un pan de la physique que l’on connaît mal.» Ce qui nécessite de revoir les standards aéronautiques en matière de sécurité. «La tension utilisée dans l’Integral E s’élève à 800 V, et ce sera le cas aussi pour l’ERA de 19 places, glisse Jérémy Caussade, le président d’Aura Aero. Les difficultés qui en découlent sont tout à fait gérables.» Reste que plus la tension augmente, plus ces risques sont aigus. «L’enjeu est de comprendre où et quand ces phénomènes risquent d’avoir lieu», estime Florent Nierlich. Parmi les rares spécialistes de la chaîne électrique à bord, Safran a certifié en février le dernier maillon : le moteur, baptisé Engineus.
Au-delà des enjeux techniques, les industriels aéronautiques ne sont pas encore assurés que les fournisseurs d’équipements, batteries en tête, leur accorderont assez d’attention. Volumes moindres que pour l’automobile, responsabilité engagée en cas de problème, exigences de qualité et de sûreté bien plus élevées… «Il faut en Europe une filière capable de répondre aux besoins de l’automobile, mais aussi de l’aéronautique, plaide Karim Mokaddem. Nous pourrions mutualiser les besoins.» Depuis trois ans, Airbus mène des discussions pour faire émerger une filière européenne de batteries solides. «Désormais, le temps de l’exécution est arrivé», assure le dirigeant. #
Le géant chinois des batteries CATL lorgne l’aéro
Et si, après l’automobile, la Chine bousculait l’aéronautique à grand renfort de batteries électriques ? À voir les annonces du géant des batteries CATL, l’offensive semble bien lancée. Avec comme arme principale un équipement défiant toute concurrence : une batterie, dite solide, qui affiche une densité énergétique de 500 Wh/kg, deux fois plus élevée que celles employées dans les autres projets d’avions électrifiés. Au printemps 2024, CATL a annoncé avoir fait voler avec succès un aéronef de 4 tonnes, sans donner davantage de détails, et compte aller plus loin, avec un appareil de 8 tonnes capable de parcourir entre 2 000 et 3 000 km. L’entreprise vise plus haut encore que le segment de la petite aviation, même si la production à l’échelle industrielle d’une batterie solide reste à assurer. Preuve en est le rapprochement avec un compatriote de renom, l’avionneur Comac. La société commune, Comac CATL Aviation, a lancé des études pour un avion régional tout électrique de 19 places, avec un rayon d’action de 500 km. Son nom : le CE-25A. Dans le transport aérien, la Chine espère faire des étincelles.