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Scandale des eaux en bouteille : comment un rapport sanitaire défavorable à Nestlé a été modifié par l’Etat

22/05/2025

Scandale des eaux en bouteille : comment un rapport sanitaire défavorable à Nestlé a été modifié par l’Etat

Des échanges de mails entre des services de l’État et Nestlé Waters dévoilent comment l’entreprise a réussi à faire modifier un rapport sanitaire défavorable. (RAPHAEL CANNESANT / CELLULE INVESTIGATION / RADIO FRANCE)

Des échanges entre plusieurs ministères, le préfet du Gard et l’Agence régionale de santé d’Occitanie révèlent qu’un rapport sanitaire défavorable à Nestlé Waters a été en grande partie vidé de sa substance pour protéger la multinationale.

Nouveau rebondissement spectaculaire dans le dossier des eaux en bouteille de la société Nestlé Waters. Alors que le rapporteur socialiste en charge de la commission d'enquête sur la fraude aux eaux minérales au Sénat, Alexandre Ouizille, rend publiques, lundi 19 mai, les conclusions de son rapport sur la tentaculaire affaire de fraude aux eaux minérales, dévoilée en février 2025 par la Cellule investigation de Radio France et Le Monde, un épisode jusqu'alors inconnu éclaire cette affaire d'un jour nouveau.

Grâce au témoignage d'un lanceur d'alerte, le rapporteur démontre en effet comment plusieurs ministères, mais aussi un préfet, et le directeur de l'Agence régionale de santé d'Occitanie, Didier Jaffre, ont accepté de modifier, à la demande de Nestlé, un rapport sur la qualité sanitaire des forages exploités à Vergèze dans le Gard, où est produite la marque Perrier. Ces modifications ont été réalisées "afin de dissimuler la contamination de forages contaminés par des bactéries, mais aussi des herbicides et des métabolites de pesticides, parfois interdits depuis des années", accuse le rapport, et ce malgré les protestations d'au moins un fonctionnaire, qui a décidé de retirer sa signature pour ne pas cautionner la manœuvre.

Des pratiques illégales

D'autres documents, dévoilés par la Cellule investigation de Radio France indiquent que le maquillage du rapport avait pour but de satisfaire les demandes de l'industriel Nestlé, mais aussi de protéger le gouvernement, qui craignait que son implication dans la tromperie ne soit dévoilée au grand public. Des échanges de mails prouvent également l'inquiétude d'agents du contrôle sanitaire concernant l'absence de preuves de destruction de lots de bouteilles de Perrier contaminées. Tout commence en 2022. Alors que l'Etat est informé depuis l'été 2021 des pratiques illégales de Nestlé dans ses usines d'eau minérale naturelle, il faut attendre le mois de novembre de l'année suivante, c’est-à-dire plus d'un an, pour que l'usine Perrier du Gard soit inspectée pour la première fois. La Cellule investigation de Radio France s'est procuré le compte rendu de cette visite établit par l'Agence régionale de santé du Gard et qui fait état, "sur la base des propos rapportés par les intervenants du groupe Nestlé et par des constats de terrain", de "déviations microbiologiques", c’est-à-dire pollution, notamment par des bactéries d'origine fécale, "sur tous les puits".

Un autre document soulève un point tout aussi problématique : les traitements interdits mis en place dans l'usine, non seulement sont illégaux, mais ils ne suffisent pas à désinfecter efficacement l'eau, les bactéries présentes dans les forages se retrouvant parfois dans les bouteilles. Ainsi, dans une lettre de novembre 2022 adressée au groupe Nestlé, la préfecture du Gard notifie à l'entreprise la présence de bactéries (coliformes et entérocoques) dans des bouteilles conditionnées d'eau minérale Perrier, et s'inquiète : "Ces contaminations sont préoccupantes, d'autant qu'il s'agit de bactéries d'origine fécale". Elle demande alors à Nestlé la destruction des bouteilles, "devant l'incertitude quant aux risques sanitaires". Cet épisode de contamination par des bactéries d'origine fécale pathogènes dans l'eau en bouteille indique que, contrairement à ce qu'a affirmé à plusieurs reprises le ministère de la santé, et le directeur général de la santé, Grégory Emery, le risque sanitaire était bien réel puisque la microfiltration ne suffisait pas à éliminer toutes les bactéries présentes dans l'eau.


Entrée de l’usine Perrier à Vergèze dans le Gard, le 29 décembre 2023. (THIBAUT DURAND / HANS LUCAS VIA AFP)

Les puits de l'usine de Vergèze, ayant tous perdu leur pureté originelle, ne devraient alors déjà plus bénéficier du label "eau minérale naturelle", qui doit être "pure à la source" selon la réglementation. Mais Nestlé demande alors, et obtient auprès du gouvernement, une dérogation pour continuer malgré tout à utiliser certains filtres interdits (microfiltres à 0,2 micron) "sur les forages les plus épargnés", pour ses bouteilles labellisées "eau minérale naturelle", tout en modifiant l'usage de ses forages "les plus dégradés", afin de produire une nouvelle marque de boissons gazeuses, vendue quelques mois plus tard sous le label "Maison Perrier".

Nestlé souhaite modifier un rapport sur la qualité de l'eau

En février 2023, c'est dans la plus grande confidentialité que le gouvernement valide ce projet, lors d'une réunion interministérielle, en présence de conseillers de Matignon et de l'Elysée, et des directeurs de cabinet des ministères de la Santé et de l'Economie. L'État autorise alors Nestlé à avoir recours, par modification d'arrêtés préfectoraux, à des traitements de microfiltration inférieurs à la norme admise par l'administration, toujours en vigueur aujourd'hui, fixée en 2001 à 0,8 micron par l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation et du travail (Anses). En deçà de ce seuil, l'anses considère que la microfiltration vise un effet désinfectant, ce qui est interdit.

Quelques mois plus tard, Nestlé s'apprête à basculer l'usage de deux de ses puits, jusque-là utilisés pour fabriquer de l'eau minérale naturelle, pour produire sa nouvelle marque de boissons gazeuses, "Maison Perrier", qui n'a plus rien à avoir avec de l'eau minérale, contrairement à ce que pourrait laisser croire le nom de sa marque. Or, ce changement nécessite un arrêté préfectoral autorisant cette nouvelle production, et doit donc être validé au préalable par un conseil local réunissant des associations de consommateurs, des experts et des personnalités qualifiées (Coderst). Pour que ces derniers puissent prendre leur décision en toute connaissance de cause, l'Agence régionale de santé d'Occitanie établit un rapport sur la qualité de l'eau exploitée par Nestlé à Vergèze. Mais les conclusions de ce rapport ne plaisent pas à la multinationale.

Fin novembre 2023, la présidente de Nestlé Waters, Muriel Liénau, écrit donc au directeur général de l'ARS (Agence régionale de santé) Occitanie, Didier Jaffre. Dans ce mail, dévoilé par la Cellule investigation de Radio France, la présidente de la firme écrit : "Comme vous le savez, nous touchons pratiquement au but. Vos équipes se sont mobilisées de manière extrêmement efficace pour réussir à tenir les délais qui s'imposaient à nous. Nous leur en sommes très reconnaissants. Toutefois, la dernière version du projet de document de présentation de l'arrêté qui nous a été soumis nous préoccupe et nous le leur avons signalé". Muriel Liénau demande que des modifications soient donc apportées au rapport. Dans un premier temps, sa demande est écartée.


À gauche, Didier Jaffre, le 27 avril 2018 à Dijon. (JC TARDIVON / MAXPPP)

Un conseiller du ministère de la santé : "L'Etat pourrait être accusé de cautionner sans rien faire"

Mais le groupe Nestlé ne se décourage pas. Il se tourne alors vers le gouvernement, plus précisément vers le cabinet de Roland Lescure, alors ministre de l'Industrie, qui sollicite dans la foulée celui d'Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée à la Santé. Un conseiller de cette dernière appelle alors le directeur de l'Agence régionale de santé d'Occitanie, Didier Jaffre, avant d'adresser un message à sa hiérarchie, dans lequel il suggère de donner le moins d'informations possibles : "Je suis d'avis de ne pas trop faire sortir d'informations sur ce sujet". Car l'Etat a, tout comme Nestlé, intérêt à garder la pollution des forages secrète. Le gouvernement a appris qu'une enquête de Radio France et du Monde était en cours.

Dans un mail daté du 30 novembre 2023, que la Cellule investigation de Radio France s'est procuré, le ministère de l'industrie alerte celui de la santé : "Ces derniers jours, plusieurs agents de la DGCCRF [Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes] ont été approchés par un consortium de journalistes (Marie DUPIN - Radio France ; Stéphane FOUCART - Le Monde). Les journalistes ont également approché les procureurs en charge de ces affaires. Ils disposent déjà de beaucoup d'informations". Pour le conseiller du ministère de la santé, l'État a tout intérêt à satisfaire aux demandes de Nestlé d'édulcorer le rapport, pour garder l'information confidentielle : "Le risque serait qu'on nous reproche d'avoir autorisé pendant 3 ans l'exploitation en eau minérale naturelle de ces forages alors qu'il y avait une contamination circonscrite par des traitements non réglementaires (…). L'État pourrait être accusé de cautionner sans rien faire".

Le préfet "insiste lourdement" sur les "éléments portant atteinte à l'image de Perrier"

Comme le révèle le rapport de l'enquête parlementaire, des échanges s'engagent alors entre le ministère de la Santé, l'Agence régionale de santé, la préfecture du Gard et le groupe Nestlé pour modifier le rapport incriminant les pratiques de la multinationale. Le responsable de l'Agence régionale de santé Occitanie dans le Gard, Guillaume Dubois, indique par mail à son supérieur hiérarchique Didier Jaffre, que le préfet, Jérôme Bonet, "a dû avoir les dirigeants de l'entreprise au téléphone". Et de poursuivre : le préfet "insiste lourdement" sur "les éléments (...) portant atteinte à l'image de Perrier".

De premières modifications sont alors suggérées par Guillaume Dubois : "Nous proposons cette version en rouge, mais on ne peut pas aller au-delà. Si ça ne convient pas au préfet il faudra que tu l'appelles. Je crains qu'il ait pris des engagements un peu à la va-vite. Je pense qu'un coup de fil sera nécessaire, au regard de la pression que j'ai constatée de sa part". Il est alors 11h54, le 1er décembre 2023. Une heure plus tard, Didier Jaffre répond par mail à Guillaume Dubois : "J'ai eu le cabinet de la ministre, la présidente de Nestlé Waters [Muriel Liénau], et le Préfet. Nous regardons les documents avant envoi". Puis, à 18h25, le directeur industriel de Nestlé Waters, Ronan Le Fanic, transmet directement à l'ARS Occitanie une série de nouveaux paragraphes à substituer à ceux qui étaient prévus.


Extraits des éléments qui ont disparu du rapport après l’intervention de Nestlé Waters. (RAPHAEL CANNESANT / CELLULE INVESTIGATION / RADIO FRANCE)

Le document sera par la suite modifié dans le sens souhaité par Nestlé. C'est ce qu'indiquent de nouveaux échanges, datés du 4 décembre 2023. Comme l'indique le rapport d'Alexandre Ouizille, Didier Jaffre écrit alors au préfet et au ministère délégué à la Santé, dans deux mails distincts. Au premier, il explique : "J'ai eu au téléphone la présidente de Nestlé Waters pour valider ensemble le document". Au second : "Ci-dessous mes échanges avec le Préfet et la présidente de Nestlé Waters. Nous avons modifié ensemble le document". Et de préciser, à l'adresse de ses deux interlocuteurs : "J'ai demandé à la présidente ses EDL [éléments de langage] pour qu'on les partage et qu'on soit raccord pour la suite". Parmi ces "EDL", cette phrase, adressée par la présidente de Nestlé Waters à Didier Jaffre : "Il est important de noter que la qualité du produit fini a toujours été conforme à son étiquetage et ne présente aucun danger pour la santé et la sécurité".

Mails envoyés par Didier Jaffre au préfet du Gard et au ministère délégué à la Santé entre le 4 et le 13 décembre 2023. (RAPHAEL CANNESANT / CELLULE INVESTIGATION / RADIO FRANCE)

Un fonctionnaire retire sa signature du rapport

Dans des échanges mails complémentaires, auxquels la Cellule investigation de Radio France a eu accès, ce même jour, le 4 décembre 2023, Guillaume Dubois, responsable de l'ARS du Gard, écrit lui aussi à Jérôme Bonet : "Bonjour Monsieur le Préfet, comme suite à notre entretien téléphonique de vendredi, et compte tenu des échanges qui ont eu lieu ce week-end entre le directeur général de l'ARS [Didier Jaffre] et Nestlé Waters France, je vous informe qu'un accord a été trouvé sur le contenu rédactionnel du rapport Coderst que vous trouverez ci-joint. Celui-ci convient au groupe Nestlé Waters". Plus bas dans le corps du mail, Guillaume Dubois évoque "deux épisodes de contamination ayant entrainé une demande de destruction de la production" de bouteilles Perrier.

Le responsable de l'ARS semble s'inquiéter car rien ne prouve selon lui que les lots ont bien été détruits : "À part un engagement de Nestlé Waters, je n'ai pas retrouvé d'éléments factuels sur les destructions des lots concernés". Au sein de l'Agence régionale de santé, la situation fait clairement grincer des dents certains fonctionnaires, en charge du contrôle de la qualité des eaux minérales naturelles. L'un d'entre eux s'émeut, dans un courriel adressé le 4 décembre 2023 à la directrice de la santé publique de l'ARS Occitanie, expliquant que le rapport final destiné au Coderst "ne correspond plus aux éléments rapportés dans le dossier, et à la synthèse que je rapportais. Dans ce cas, je souhaite retirer ma signature du rapport".

Un responsable de Nestlé Waters : "Merci à tous pour votre support dans ce projet critique"

Quels sont donc ces résultats que Nestlé et l'Etat voulaient à tout prix cacher ? Selon la commission d'enquête du Sénat, le rapport initial de l'Agence régionale de santé Occitanie évoquait des "analyses microbiologiques" montrant la détection "de paramètres E.[Escherichia coli] et entérocoques intestinaux", et détaillait les pesticides retrouvés sous forme de microtraces (métabolites d'herbicides interdits, fongicide, composés perfluorés et chlorates). Or, dans le rapport définitif, la référence aux bactéries a disparu. Le document fait désormais état d'analyses "conformes dans plus de 97% des cas", et les noms des produits chimiques présentés dans l'eau se sont évaporés. Il est en revanche indiqué que des pesticides détectés à l'état de microtraces "n'ont jamais été retrouvés au niveau de l'usine ou des produits finis", afin, selon le rapport d'enquête des sénateurs, de "valoriser le bon comportement de l'industriel".

Quelques jours plus tard, le 13 décembre 2023, le rapport est présenté au Coderst, expurgé des éléments incriminants pour Nestlé et pour l'Etat. "Encore une étape de franchie concernant Perrier", se félicite alors, auprès du ministère de la Santé, Didier Jaffre. Puis, selon d'autres échanges mails que Radio France s'est procurés, juste avant noël, l'ARS transmet les arrêtés publiés à plusieurs dirigeants de Nestlé Waters. L'un d'entre eux, Ronan Le Fanic, fait part de sa reconnaissance en retour : "Documents bien reçus. Merci à tous pour votre support dans ce projet critique pour notre site de Vergèze". Didier Jaffre transmet alors cette réponse au ministère de la Santé, mais aussi au directeur général de la santé, Grégory Emery, avec ce commentaire : "Pour égayer nos journées bien ternes, voilà quelques bonnes nouvelles du Gard concernant Perrier. Joyeuses fêtes".

Interrogé, l'ancien ministre de l'Industrie Roland Lescure dément toute intervention de quelque sorte : "Le cabinet industrie n'a transmis aucune demande sur la modification d'un rapport CODERST". Même tonalité du côté de l'ancienne ministre déléguée à la Santé, Agnès Firmin Le Bodo qui réfute "toute intervention pour modification de quoi que ce soit en décembre 2023. Ce sujet a été géré entre l'ARS et l'industriel directement". Contactées également, l'Agence régionale de santé Occitanie et la préfecture du Gard n'ont pas répondu.

Un rapport "modifié sous la dictée de Nestlé", selon le sénateur Alexandre Ouizille

"Pression de l'entreprise, porosité du cabinet ministériel, faiblesse de la direction de cabinets, absence de résistance de l'Etat local" : les sénateurs n'ont pas de mots assez durs dans leur rapport pour qualifier l'attitude de l'Etat dans ce nouvel épisode. "Nous connaissions le lobbying intense et la logique transactionnelle dans laquelle Nestlé Waters est parvenu à entraîner une partie de l'État. Nous découvrons ici que l'industriel est devenu le censeur et même le coauteur d'un rapport d'une autorité régionale de santé, estime le rapporteur en charge de la commission d'enquête, Alexandre Ouizille. Le fonctionnaire instructeur refuse ce caviardage et retire sa signature mais le rapport est quand même modifié sous la dictée de Nestlé. Nous sommes là face à des faits d'une particulière gravité qui appellent inspection et sanction".

Aujourd'hui encore, "Nestlé Waters n'est toujours pas en conformité avec la réglementation", confirme le rapport d'enquête du Sénat, tandis que des informations continuent d'être dissimulées au grand public. Ainsi, il y a quelques jours, Radio France révélait le contenu d'arrêtés préfectoraux concernant l'usine Vittel dans les Vosges. Ces derniers n'ont toujours pas été publiés au registre des actes administratifs. "Nous avons demandé communication de droit de plusieurs arrêtés dans le dossier Nestlé Waters, mais ils nous sont toujours refusés, et à plusieurs reprises le Coderst [Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques] des Vosges n'a pas été tenu au courant de modifications majeures au sein de l'usine de Vittel", s'émeut auprès de la Cellule investigation de Radio France Jean François Fleck, de l'association Vosges Nature Environnement.

Panneau d’entrée de l’usine Vittel de Nestlé Waters dans les Vosges. (JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP)

Les arrêtés récents concernant l'usine des Vosges, restés confidentiels à ce jour, sont pourtant particulièrement instructifs. On y apprend notamment que les filtres encore en place dans les usines (0,2 micron), ne suppriment que 70 à 90 % des bactéries, et ne garantissent donc pas la qualité sanitaire de l'eau. On y découvre également que la préfecture des Vosges, tout en demandant à Nestlé de retirer ses filtres à 0,2 micron, l'autorise dans le même temps à avoir recours à des filtres à 0,45 micron, c'est-à-dire des procédés de nettoyage de l'eau dont le seuil est, encore une fois, inférieur à la norme officielle de l'Anses.

Une eau qui reste polluée

Ces atermoiements autour des seuils de filtration peuvent paraître bien techniques, mais, pour le groupe Nestlé, ils ont un intérêt majeur. En effet, en focalisant depuis des mois les débats et la conversation publique sur cette question, la multinationale détourne le regard du principal problème : la pollution des eaux qu'elle exploite, incompatible avec la réglementation sur les eaux minérales naturelle. Sur ce point, le rapport de la commission d'enquête est catégorique : c'est la "pureté originelle" de l'eau, c'est-à-dire l'absence de pollution, qui fait qu'une eau peut bénéficier de ce label, et c'est aussi cette pureté qui garantit la sécurité sanitaire des consommateurs.

Or, sur le site de Vergèze, l'ensemble des puits a perdu cette pureté originelle. Ainsi, le directeur de l'ARS, Didier Jaffre, celui-là même qui en 2023 acceptait d'édulcorer un rapport de ses propres agents, a récemment rendu un avis sanitaire négatif à la préfecture pour la production d'eau minérale naturelle, après avis d'hydrogéologues agréés par le ministère de la Santé.

Encore des interrogations sur le site des Vosges

Dans les Vosges, des résultats d'analyse de l'eau auxquels nous avons eu accès montrent que les forages et les lignes de production sont également concernés ponctuellement par des problèmes de pollution, dans les forages et sur les lignes de production : présence de bactéries dans les forages d'Hépar et Contrex en 2019, 2020, 2021 et 2023, alors qu'il y avait encore des filtres dans l'usine, ce qui confirme que ces derniers n'étaient pas totalement efficaces, mais aussi détection de bactéries coliformes dans les forages de Vittel Grande Source, et sur des lignes d'embouteillage, donc sur l'eau embouteillée Vittel en 2022 et 2025.

Dès lors, comment justifier le feu vert accordé par la préfecture des Vosges à la mise en place de nouveaux procédés de purification (filtres à 0,45 micron), dans l'usine de Vittel, dans la mesure où ces filtres pourraient servir, comme les précédents, à désinfecter l'eau, ce qui est illégal ? Selon les sénateurs, sur cette question du seuil de microfiltration, il est "urgent de clarifier la réglementation en se fondant sur un avis scientifique de l'Anses". Sollicitée début 2023 par le gouvernement sur ce sujet, l'Agence nationale de sécurité sanitaire ne s'était pas prononcée en faveur d'un abaissement du seuil sous 0,8 micron, et avait bien rappelé que les microfiltres ne devaient en aucun cas être utilisés dans le but de purifier une eau polluée.

Pourtant, dans des courriers récents adressés aux ARS des Vosges et du Gard, fin 2024, et que Radio France a pu consulter, l'ancien directeur général de la santé, Grégory Emery, qui a mis fin à ses fonctions le 5 mai dernier, ouvre la voie à l'utilisation de microfiltres à 0,45 micron en France, "compte tenu des pratiques en Belgique et en Espagne". Sur quelle base juridique ou scientifique le directeur général de la santé s'est-il appuyé pour prendre cette décision, sans avis préalable de l'agence nationale de sécurité sanitaire ? Contactée, l'Anses nous renvoie vers la Direction générale de la santé (DGS). Sollicitée par la Cellule investigation de Radio France, la direction générale de la santé, dont l'ancien directeur Grégory Emery devrait rejoindre dans les prochaines semaines l'Elysée en tant que conseiller santé, n'a pas souhaité nous répondre.

franceinfo


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