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Politique climatique : France Stratégie plaide pour des investissements massifs et urgents
26/05/2023
La neutralité climatique semble atteignable à condition d'opérer rapidement une grande transformation pilotée par les politiques publiques. © Parradee
Sans une répartition équitable des efforts, la décarbonation du pays ne se fera pas de manière optimale, juge un rapport de France Stratégie. L'institution préconise des aides massives, accompagnées d'un assouplissement des règles budgétaires.
En présentant les grandes lignes de sa stratégie climat au Conseil national de la transition écologique, lundi 22 mai, la Première ministre a précisé qu'elle s'appuierait sur les constats et les recommandations du copieux rapport de France Stratégie, publié ce même jour : « Les incidences économiques de l'action pour le climat ». Les difficultés liées à la mise en place des zones à faibles émissions l'ont en effet clairement montré : les stratégies de réduction des émissions de gaz à effet de serre peuvent perdre beaucoup en efficacité ou s'avérer bien plus difficiles à mettre en œuvre lorsque leur impact socio-économique n'est pas correctement mesuré et pris en compte par les « décideurs ». En septembre 2022, le Gouvernement avait donc confié à cette institution la mission d'élaborer des outils d'analyse et de simulations de leurs incidences.
Un travail devenu de plus en plus urgent en raison des engagements européens en matière de neutralité carbone, mais aussi de la compétition émergente avec les États-Unis et la Chine sur le terrain des industries vertes. Jusqu'à présent, ces questions se situaient au-delà de l'horizon traditionnel des macro-économistes, des organisations internationales et des responsables ministériels, analyse Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie. « C'était un sujet pour après-demain. Et puis, brutalement, il est entré dans l'horizon. » D'autant plus, ajoute ce dernier, « que nous parlons d'une révolution industrielle, [la sortie des énergies fossiles], qui va se produire de manière accélérée (…). Nous sommes au moment de l'inflexion qui va se produire de manière incroyablement rapide. »
Une transformation à opérer sans tarder
Pour mener à bien ces recherches, centrées sur l'horizon 2030, l'institution s'est assurée du concours d'une centaine d'experts issus d'administrations, d'institutions comme la Banque de France, d'agences comme l'Ademe ou d'instituts comme I4CE. Elles ont abouti à la rédaction d'un opus principal, complété de onze autres consacrés à des thématiques particulières, parfois encore mal définies, aussi variées que le bien-être, les enjeux distributifs, la sobriété, l'inflation ou les marchés financiers.
"Nous allons devoir faire en dix ans ce que nous avons eu de la peine à faire en trente ans" - France Stratégie
Ces spécialistes jugent la neutralité climatique atteignable, sous réserve d'opérer rapidement une grande transformation pilotée par les politiques publiques, en s'obligeant notamment à respecter des budgets carbone et non plus seulement des cibles à 2030 et 2050. « Nous allons devoir faire en dix ans ce que nous avons eu de la peine à faire en trente ans », notent-ils. Cette conversion repose sur trois mécanismes économiques : la sobriété, notion encore peu familière aux économistes, mais qui pourrait permettre une réduction de 15 à 20 % des émissions, la réorientation du progrès technique vers les technologies vertes et les énergies renouvelables, en dix ou vingt ans, et la hausse des dépenses d'investissement, le levier principal, afin de se libérer des énergies fossiles.
Des investissements lourds à engager
Chiffrées à quelque 67 milliards d'euros, tous secteurs confondus et dûment recensés par les experts, ces dépenses ne devraient pas bénéficier, elles non plus, d'un retour sur investissement avant dix à vingt ans. Durant la période de transition, elles pourraient aussi se traduire par un ralentissement de la productivité de l'ordre d'un quart de point par an. De quoi peser lourdement sur les épaules des entreprises et des ménages qui auront agi pour décarboner leur outil de production ou leur mode de vie. Mais pas de la même manière pour tous. « La transition est spontanément inégalitaire », constatent les experts. Elle n'impacte pas de la même manière les ménages aisés et ceux qui disposent d'un plus petit revenu.
« Même pour les classes moyennes, rénovation du logement et changement du vecteur de chauffage, d'une part, acquisition d'un véhicule électrique (…), d'autre part, appellent un investissement de l'ordre d'une année de revenu », indiquent les rapporteurs. Le coût économique de la transition ne pourra donc être politiquement et socialement accepté que s'il est perçu comme équitablement réparti. En témoignent les mouvements de protestation en cours en Allemagne, contre la prochaine interdiction de l'installation de nouveaux chauffages au gaz et au mazout. « C'est un problème de morale collective », observe Jean Pisani-Ferry.
Un assouplissement des règles budgétaires
Les rapporteurs appellent ainsi à un soutien significatif de la part des pouvoirs publics, ce qui implique également un assouplissement des règles budgétaires européennes en termes d'endettement. « L'Union européenne ne peut pas être à la fois la championne du climat, du multilatéralisme et de la vertu budgétaire », plaide Jean Pisani-Ferry. Les experts estiment en effet à 10 points de PIB en 2030, 15 en 2035 et 20 en 2040, le poids de le dette publique qui résulterait d'aides d'État massives associées à la baisse de la productivité due au ralentissement temporaire de la croissance. Outre le redéploiement des dépenses brunes, évaluées à 10 milliards d'euros, ces derniers imaginent aussi la mise en place d'un prélèvement exceptionnel assis sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés.
Pour Jean Pisani-Ferry, cette mutation s'avérera positive d'un point de vue strictement économique, les réorientations du progrès technique pouvant conduire à une « croissance verte » plus forte que ne l'aurait été la « croissance brune ». « Les énergies renouvelables, par exemple, nous surprennent systématiquement par le fait qu'elles sont plus efficaces, que les progrès viennent plus vite, que les coûts sont plus bas que ce qui avait été anticipé, argumente-t-il. Toutes ces technologies nous annoncent un progrès technique qui est plus efficace que la dépendance aux énergies fossiles (...). On passe par une phase dans laquelle il faut investir, mais à l'arrivée, c'est plus intéressant. » Beaucoup de grains à moudre dans la perspective d'une nouvelle Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et de la future loi de programmation énergie-climat.