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Agriculture et alimentation : le diagnostic du Haut Conseil pour le climat
29/01/2024
Le système alimentaire français représente le deuxième secteur émissif de GES du pays, derrière les transports. © Andréa Villiers
Tout à la fois sources et victimes des dérèglements du climat, les secteurs agricole et alimentaire pourraient largement se décarboner à condition de prendre en compte l'ensemble de l'écosystème et de mieux accompagner ses acteurs.
En pleine grogne des agriculteurs face à leurs conditions de vie et de travail, le rapport « Accélérer la transition climatique avec un système alimentaire bas carbone, résilient et juste », publié ce jeudi 25 janvier par le Haut Conseil pour le climat (HCC), tombe à point nommé pour mieux comprendre les enjeux de la transformation de ce secteur, lié à celui de l'alimentation, et les solutions envisageables. Le système alimentaire français dans son ensemble, qui inclut la production agricole mais aussi la transformation des produits, leur distribution, leur consommation, la restauration et la gestion des déchets, se situe en effet en première ligne des défis climatiques.
Le réchauffement de la planète expose ainsi les producteurs agricoles à une augmentation des dommages, d'ailleurs croissants depuis plusieurs décennies, rappelle le HCC. La sécheresse par exemple génère des baisses du rendement des cultures, dont le blé ou le maïs, qui peuvent aller jusqu'à 30 %, ainsi qu'une réduction de la production fourragère pour l'élevage, qui augmente les coûts d'exploitation pour les éleveurs. Les vagues de chaleur provoquent une surmortalité des animaux. Les inondations contribuent à la dégradation des sols… Ces risques qui se répercutent sur l'ensemble du système alimentaire et qui menacent sa résilience vont s'amplifier, prévient Corinne Le Quéré, présidente du HCC. D'autant plus qu'ils peuvent s'accompagner d'autres chocs en cascade de type zoonoses, pandémies ou conflits armés, de plus en plus complexes à gérer.
Le deuxième secteur le plus émetteur
À l'inverse, totalisant 22 % des émissions françaises, soit 83 millions de tonnes équivalents CO2 (MtéqCO2) par an, le système alimentaire représente aussi le deuxième secteur émissif de GES du pays, derrière les transports. Sa plus grosse part, 60 %, soit 77 MtéqCO2 par an, provient de l'élevage, notamment du méthane produit par la digestion des bovins. Viennent ensuite les cultures (27 %), principalement via l'épandage des engrais azotés, puis les engins, moteurs et chaudières (13 %). Les sols, de leur côté, émettent plus qu'ils ne stockent, ajoutant 6 MtéqCO2 à l'ensemble. Une situation qui résulte notamment de la conversion des prairies et des forêts en terres cultivées.
“ Les objectifs pour le secteur sont de - 22 % par rapport à 2015, alors qu'à mi-parcours nous en sommes à - 7,9 % ” Corinne Le Quéré, HCC
Les émissions de la transformation représentent entre 6 et 18 % de l'empreinte du système alimentaire selon les méthodologies choisies, celles du commerce et de la restauration hors domicile 12 %, celles du transport de marchandises alimentaires représentent entre 6 et 14 %. Les émissions du secteur agricole ont certes baissé de 13 % depuis 1990, mais cette évolution découle en bonne partie d'une diminution du cheptel, à laquelle s'ajoute la baisse de l'utilisation des engrais azotés provoquée par la hausse des prix. Cette trajectoire respecte pour le moment les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone, mais elle doit désormais s'accélérer. « Les objectifs pour le secteur sont de - 22 % par rapport à 2015, alors qu'à mi-parcours nous en sommes à - 7,9 % », souligne Corinne Le Quéré.
Une transformation en profondeur
Pour les atteindre, tout en favorisant l'adaptation au changement climatique, de nombreuses pratiques sont accessibles, estime le rapport très fouillé du HCC. C'est le cas de certaines technologies à fort potentiel, et plus généralement de l'agroécologie : irrigation intelligente, sélection de variétés de plantes ou de races animales plus tolérantes aux températures élevées, diversification des cultures, plantation de haies, changement d'alimentations de bovins... Mais pour aider les agriculteurs à se prémunir des effets du réchauffement du climat, accompagner les plus fragiles, limiter les importations et tirer parti des opportunités, tout en garantissant aux populations de pouvoir se nourrir correctement, une approche globale de l'ensemble du système est nécessaire, observe le HCC.
Les acteurs de l'agroalimentaire ont ainsi la possibilité d'agir sur leurs approvisionnements en matières premières. Ils pourraient notamment encourager les consommateurs à privilégier les protéines végétales en limitant leurs achats de produits d'origine animale. De son côté, la grande distribution peut contribuer à structurer l'offre alimentaire par la sélection, la mise en valeur des produits bas carbone, de saison ou locaux. Les émissions liées au transport des aliments peuvent chuter grâce à la réduction des distances parcourues, l'amélioration de la chaîne logistique ou l'électrification du fret routier. Plusieurs scénarios examinés par le HCC montrent qu'il serait possible d'atteindre une réduction des émissions du secteur agricole de 50 % en 2050 par rapport à 2020, voire plus en intégrant le stockage dans les sols. À condition toutefois de diminuer la consommation des protéines animales de 30 % et la part de l'apport en azote aux cultures de 100 % tandis que la part de l'agriculture biologique passerait à 50 % de la surface utilisée.
Les émissions du système alimentaire en détail
• 140 Mt éqCO2 : c'est l'ensemble de l'empreinte carbone alimentaire de la France, soit 2,1 t éqCO2 par habitant.
• 60% : la part des émissions de la production agricole en France et dans les pays d'exportation dans l'empreinte carbone de l'ensemble du système alimentaire.
• 15 Mt éqCO2 par an : le poids des pertes et gaspillages. En France, près de 20 % de la nourriture est jetée chaque année, soit 150 kg par personne et par an.
• 77 Mt éqCO2 : les émissions de l'agriculture en 2021, soit 18 % des émissions françaises.
• 46 Mt éqCO2 : pour l'élevage.
• 21 Mt éqCO2 : pour les cultures
• 8 Mt éqCO2 : pour le déstockage des prairies contre 1,3 Mt éqCO2 stockés. Les prairies ont perdu 19% de leur surface entre 1990 et 2021.
De nombreux verrous
Mais la France n'en prend pas encore le chemin. Déjà, constate Corinne Le Quéré, « la prise en compte des impacts du changement climatique par les activités agricoles passe aujourd'hui majoritairement par la gestion de crise, par des adaptations réactives avec un niveau insuffisant de préparation ». La profession ne dispose pas non plus d'un diagnostic de vulnérabilité partagé.
Le rapport soulève par ailleurs plusieurs difficultés rencontrées par les agriculteurs et les autres acteurs des systèmes alimentaires face aux nécessaires évolutions de leurs pratiques : les coûts de mise en place et du travail additionnel demandé, les risques de perte de rendement initial en l'absence de compensations, les besoins en compétences supplémentaires. La structuration des systèmes agricoles et agro-industriels ne facilite pas non plus les changements de pratiques.
Le rapport cite notamment le nombre restreint de cultures et d'animaux. La forte spécialisation des bassins de production empêche aussi la complémentarité entre culture et élevage et le rééquilibrage de la fertilisation organique. À ces freins, comme le soulignent ceux qui manifestent aujourd'hui sur les routes, s'ajoutent le partage inégal de la valeur entre les acteurs, les faibles revenus de certains, les conditions de travail difficiles et la concurrence internationale.
Des outils à utiliser
Le HCC a toutefois identifié plusieurs leviers afin de d'accélérer la transition climatique de l'ensemble du système. Une revalorisation des revenus des agriculteurs et des éleveurs qui transforment leurs pratiques pourrait, par exemple, être facilitée par une réorientation des dispositifs de soutien et des réglementations en faveur des pratiques bas carbone, plus que timidement esquissée par le plan stratégique national (PSN) de la France pour la Politique agricole commune 2023-2027. En termes de formation, initiale ou continue, le rapport préconise l'adaptation et le renforcement du volet environnemental, pour les agriculteurs comme pour leurs conseillers des chambres d'agriculture. Il appelle les filières et les collectivités territoriales à s'impliquer plus fortement dans la gouvernance des systèmes alimentaires ainsi que dans la recherche et développement.
Ces outils doivent être évalués en fonction de leurs coûts-bénéfices et de leurs antagonismes avec d'autres dimensions, telles que le coût de l'alimentation, la compétitivité de nos échanges, les conditions de travail, l'eau, les sols, la biodiversité ou la santé des consommateurs, estime le HCC. La recherche et développement ainsi que des services climatiques pourraient aussi être développés en appui. « Compte tenu de l'importance de l'empreinte carbone de la production agricole et de sa sensibilité au climat, l'intégration de ces enjeux doit être au cœur des politiques publiques, agricoles et alimentaires, à l'échelle territoriale, nationale et européenne », insiste Corinne Le Quéré. Plusieurs opportunités pourraient contribuer à ces transformations, comme le renouvellement des générations, l'intérêt plus marqué des jeunes pour ces modes de production durable et la prise de conscience générale des problèmes environnementaux et climatiques. Elles pourraient ainsi se traduire dans trois textes « structurants » en cours d'élaboration ou amenés à être révisés : le projet de loi « en faveur du renouvellement des générations en agriculture », la Stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat et le prochain Plan stratégique national dans le cadre de la PAC.
Nadia Gorbatko / actu-environnement