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La biodiversité en mer Méditerranée, une richesse pleine de nuances

15/06/2024

La biodiversité en mer Méditerranée, une richesse pleine de nuances

Considéré comme disparu à l'échelle méditerranéenne, le requin-ange a été repéré par l'analyse de l'ADN environnemental. La biodiversité en mer Méditerranée, une richesse pleine de nuances        © IKER

En avance sur l'un des objectifs de la Stratégie nationale pour la biodiversité, des chercheurs ont passé le littoral méditerranéen au crible de l'ADN environnemental. Entre réapparitions, invasions et aires marines protégées à l'efficacité limitée.

« Si je devais comparer l'état de la biodiversité marine en Méditerranée à un bulletin de notes d'une classe, je dirais que la moyenne générale n'a pas excessivement changé en quarante années d'observations. Néanmoins, il y a quarante ans, les résultats étaient tous assez homogènes ; tandis qu'aujourd'hui, on constate un écart bimodal avec des endroits qui présentent une excellente qualité des eaux et un bon état de conservation de la biodiversité locale et d'autres où la situation est complètement inverse. » Le 23 mai, David Mouillot, professeur à l'université de Montpellier, a présenté les premiers résultats d'un projet de recherche d'un nouveau genre. Baptisé « Biodiv Med 2023 », celui-ci a permis un état des lieux de la biodiversité méditerranéenne française à l'approche inédite.

Une affaire de « codes-barres génétiques »

Plutôt que de se focaliser sur les données de pêche, des prélèvements ponctuels ou des observations de terrain, David Mouillot et ses collègues ainsi que leurs confrères de l'École pratique des hautes études (EPHE) ont recouru à une unique méthode « standardisée » : le recensement des espèces en fonction de l'ADN environnemental (ADNe). « Toutes les espèces sécrètent en permanence des fluides et des cellules qui contiennent de l'ADN pouvant persister dans l'environnement pendant plusieurs heures », explique le chercheur, spécialiste en biodiversité marine et adepte des modélisations statistiques.

Mais plutôt que de décrypter le mélange et de séquencer chaque génome repéré, les chercheurs ont employé une technique développée par un laboratoire chambérien, Spygen : le « metabarcoding ». « Identifier une espèce spécifique revient à scanner un code barre unique, alors qu'ici l'ensemble des marqueurs génétiques sont scannés en même temps par Spygen, qui va ensuite en repérer les variations et associer chacune d'entre elles à une espèce. » Une technique que les chercheurs ont pu appliquer à un grand nombre d'espèces de poissons et de crustacés, sur une série d'échantillons prélevés en surface par trois expéditions lancées simultanément (pour profiter de conditions les plus comparables possibles) entre mai et juillet 2023.

Repérer les signaux faibles de la biodiversité


Répartition géographique, en nombre, des espèces de poissons classées sur la Liste rouge des espèces menacées de l'UICN.© David Mouillot

Au total, sur les quelques 2 000 kilomètres de côtes méditerranéennes aussi bien continentales que corses, le projet « Biodiv Med 2023 » a permis d'identifier 267 espèces de poissons, dont certaines que la communauté scientifique considérait comme disparues à l'échelle locale. Espèce classée en danger critique d'extinction par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le requin ange (Squatina squatina), qui a donné son nom à la célèbre Baie des Anges à Nice, a par exemple laissé des traces de son ADN à plusieurs points de mesure sur le littoral corse.

« Un tiers des espèces de poissons rencontrées ne sont même pas classées dans les registres de l'UICN par manque de données, atteste David Mouillot. Nous restons aveugles quant à leur statut de conservation ou de prolifération. » C'est notamment le cas pour la blennie de Zvonimir (Parablennius zvonimiri), très difficile à observer mais qui pourtant incarne un « pont trophique » indispensable à la survie d'espèces prédatrices emblématiques comme le requin ange ou le mérou brun (Epinephelus marginatus). « C'est pour retrouver la trace de ce genre d'anonymes que la technique du metabarcoding s'avère aujourd'hui cruciale, ne serait-ce que pour enrichir les connaissances de l'UICN à leur égard. » L'échantillonnage méditerranéen a également permis d'établir la présence ou l'absence d'espèces exotiques envahissantes.

Ainsi, le poisson-lion du Pacifique (Pterois volitans) déjà observé en Espagne ou le poisson-lapin (Lagocephalus sceleratus), destructeur des herbiers de posidonie (Posidonia oceanica) originaire du Moyen-Orient, n'ont pas été repérés. Néanmoins, le discret et banal crabe de vase (Rhithropanopeus harrisi), en provenance des côtes américaines a bel et bien pénétré les eaux méditerranéennes. Un nouveau marqueur de la « tropicalisation » de la Méditerranée, selon le chercheur montpelliérain. « Nos inventaires, en repérant les traces d'un passage ou de larves, permettent de voir les signaux avant-coureurs d'une possible invasion, dont l'ampleur n'aurait pu être caractérisée que plus tard par des prises de pêche ou des observations de terrain », souligne David Mouillot.

L'ADNe comprend néanmoins quelques limites. S'appuyant sur des prélèvements de surface (pas plus de vingt mètres de profondeur), il ne peut pas toujours confirmer la détection d'espèces pourtant bien observées sur le terrain, comme le mérou brun. « Ce prédateur emblématique est particulièrement affecté par la pêche et la désoxygénation des océans entraînée par le réchauffement climatique et a tendance à quitter son niveau trophique optimal pour se réfugier plus en profondeur, de trente à soixante mètres de la surface, et passe donc aussi sous les radars. »

Une méthode à reproduire ?

Ce premier échantillonnage de grande ampleur à l'ADNe a anticipé les politiques environnementales. La nouvelle Stratégie nationale pour la biodiversité, dévoilée en novembre dernier par le ministère de la Transition écologique, prévoit le lancement, d'ici à la fin de l'année 2024, d'un appel d'offres pour réaliser le recensement de l'ensemble de la biodiversité française en croisant les inventaires naturalistes et des campagnes similaires à « Biodiv Med 2023 ». Tant et si bien que ce projet précurseur, permis par le soutien financier de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, constitue une « preuve de concept » qui séduit déjà les autres agences de bassin. Spygen et les chercheurs impliqués travaillent déjà à « d'éventuelles collaborations », vantant leur « méthode efficace et peu chère, qui ne demande ni destruction, ni invasion, ni experts taxonomiques ».

Le paradoxe des aires marines protégées

Qu'en est-il alors de l'état de la biodiversité de la Grande Bleue ? Comme la technique de l'ADNe ne peut pas renseigner les scientifiques sur l'abondance des espèces identifiées, elle ne peut directement traduire la richesse spécifique du milieu. Pour y pallier, David Mouillot et son équipe ont choisi de se référer au nombre d'espèces rencontrées étant placées sur la Liste rouge des espèces menacées de l'UICN. « Certains poissons pullulent dans les ports de pêche, habitués à la présence humaine et se nourrissant de ses déchets comme nos rats des villes. Ils ne sont donc pas un marqueur pertinent pour évaluer l'impact de l'activité humaine sur la biodiversité marine. » Dans cette optique, sur la vingtaine de poissons menacés identifiés, les chercheurs en ont notamment recensé sept au même endroit, dans la baie de Figari au sud de la Corse. « Un véritable refuge. » En revanche, aucune n'a été détectée dans la baie d'Ajaccio, une centaine de kilomètres au nord.

Un phénomène similaire s'est manifesté près de la cité phocéenne. Alors que l'aire marine associée au Parc national des Calanques bénéfice de plusieurs zones de non-prélèvement, l'échantillonnage réalisé à proximité s'est avéré bien moins riche que celui effectué dans l'archipel des Embiez, 60 kilomètres au sud de Marseille, ne bénéficiant pas du même niveau de gestion et de protection. « Les Calanques n'ont en réalité rien d'une aire marine protégée, affirme le professeur. La perturbation sonore et la présence humaine, toutes les deux dues au tourisme, y surpassent la pression exercée par la pêche locale. Alors que les îles des Embiez, moins connues et accessibles, se préservent davantage. »

Félix Gouty / actu-environnement


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