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Paris teste les bulles comme arme anti déchets sur ses canaux
16/12/2024
Le Service des canaux de la Ville de Paris est conquis par le dispositif Invisibubble qu’il compte déployer sur d’autres voies d’eau et ce, pour plusieurs raisons...
Un rideau de bulles a été installé au printemps dernier sur le Canal de l’Ourcq, au niveau du Pont de Crimée, par le Service des canaux de la Ville de Paris. Lesquelles bulles ont pour vocation de bloquer le passage des déchets et de les rediriger vers un point de collecte. Une première en France, en milieu urbain.
Paris s’est ici inspirée de la Hollande. « En 2020, nous avions appris qu’un tel dispositif avait été implanté à Amsterdam et nous avions pris contact avec eux pour en comprendre le fonctionnement », relate Patrick Duguet, adjoint à la cheffe du Service des canaux, responsable de l’ingénierie fluviale. Séduits, le Service des canaux a décidé de l’expérimenter sur les voies d’eaux parisiennes. Après des études de faisabilité,« car il y a des contraintes hydrauliques et techniques », il a été décidé de positionner un premier rideau de bulle au niveau du Pont de Crimée, sur le canal de l’Ourcq, en amont de bassin de la Villette. Un lieu qui «accueille » traditionnellement une accumulation de déchets et … l’activité Paris Plage.
Si la Ville de Paris a passé un appel d’offres pour cette opération, le nombre de candidats fut limité : l’invention est brevetée par une entreprise canadienne, Canadian Pond, et seule une société en France travaille sur ce sujet, The Searial Cleaners. « Nous avons signé un contrat d’exclusivité sur la partie marinas et collectivités pour déployer cette technologie en France », explique Cyril Boissy, responsable marketing de The Searial Cleaners. « Au fil du temps, le groupe, qui a, notamment, pour mission de fabriquer des collecteurs de déchets pour les cours d’eau et marinas, a vu le littoral se dégrader dans le monde entier. C’est pour contribuer à lutter contre ce phénomène qu’il a développé une gamme dont fait partie Invisibubble, puisque tel est le nom de ce dispositif. »
Mais comment fonctionne-t-il ? « Des tuyaux percés sont posés au sol, reliés à un compresseur qui y envoie de l’air. Les trous permettent alors de générer un rideau de bulle qui piège les déchets », détaille Cyril Boisy. Positionné de manière oblique, il permet de renvoyer les déchets vers un point de collecte déterminé, et d’en faciliter l’extraction.
Les canards et les cygnes adorent !
« Le rideau a été adapté à son environnement parisien et à la façon dont nous voulions l’intégrer à notre dispositif de nettoyage, explique Patrick Duguet. Car nous avons déjà quatre bateaux nettoyeurs qui interviennent tous les jours sur nos plans d’eau et il n’était pas question de déployer des moyens matériels ou humains supplémentaires pour intervenir sur le dispositif. Il fallait que le bateau puisse passer et récupérer facilement les déchets. » Et si les plongeurs du service des canaux de Paris doivent procéder régulièrement à des réglages pour avoir une pression homogène, « cela ne nuit en rien à l’efficacité du système », assure Patrick Duguet.
Deuxième contrainte, et pas des moindres : le rideau de bulle ne devait en aucun cas déranger la faune aquatique. « Il était impératif que le système ne fasse pas peur aux oiseaux et qu’il ne génère pas une barrière pour les poissons », commente Patrick Duguet. The Searial Cleaners a donc installé quatre tuyaux au sol en ménageant des espaces entre chaque, pour créer des chicanes permettant aux poissons qui seraient gênés par les bulles de passer par ce chemin. Quant aux oiseaux… « canards et cygnes adorent les bulles et viennent jouer dedans ! », s’amuse Patrick Duguet. Et, bonus supplémentaire : « le dispositif peut aussi permettre d’oxygéner et donc, de régénérer l’eau, ce qui constitue une forme de lutte contre la sédimentation », ajoute Cyril Boissy.
La troisième contrainte prévue au cahier des charges était de ne pas perturber le voisinage avec le bruit du compresseur qui envoie de l’air dans les tuyaux. « Bien qu’il soit performant au niveau sonore, il n’est pas silencieux. Heureusement, au niveau du Pont de Crimée, nous avons un local hermétique en sous-sol qui nous a permis de l’enterrer. De dehors, on ne l’entend pas. Nous n’avons jamais eu de plainte des riverains », constate Patrick Duguet.
Le dispositif devrait être dupliqué
Après sept mois d’utilisation, le Service des canaux se dit très satisfait de son rideau de bulle, qui bloque quasiment tous les déchets dérivant dans la zone. « La volumétrie de déchets récoltés est au-delà des 80% », précise Patrick Duguet. Il est à présent question de déployer Invisibubble sur d’autres sites. « Nous avons deux installations potentielles en tête : une au niveau du Canal Saint-Denis, mais cette option est compliquée, et la deuxième, en amont de la Darse, quai de la Marne, non loin du rond-point des canaux. Nous voudrions positionner le rideau en amont de la réserve écologique, la Darse du fond du Rouvray. L’étude de faisabilité de ce projet est en cours, mais nous aimerions le développer en 2025. » Le dispositif pourrait aussi faire des émules en dehors de la Ville Lumière: « Nous avons d’autres projets avec d’autres collectivités qui cherchent à lutter contre la pollution du milieu marin », glisse Cyril Boissy.
Au niveau du Pont de Crimée, un panneau a été installé qui explique le rideau de bulles aux Parisiens. Ils peuvent ainsi comprendre ce que sont ces bulles qui arrivent à la surface et ce qu’est cet amas nouveau de déchets sur la rive gauche. « Nous avons eu des signalements de gens surpris de voir des déchets là où ils ne s’accumulaient pas auparavant, relate Patrick Duguet. Corollaire évident, nous avons eu moins de signalements concernant les sites en aval, où les déchets stagnaient auparavant. »
Cyril Boissy veut croire à la vertu pédagogique du système qui, pense-t-il, pourrait avoir un impact sur le comportement des Parisiens… « Le rideau se voit, ainsi que l’agglomérat de déchets qui en découle : les gens posent des questions et réalisent le niveau de pollution Habituellement, ces déchets passent plus ou moins inaperçus, mais pas lorsqu’ils sont ainsi réunis ; les gens prennent conscience de leur importance. On voit ainsi le résultat de notre mode de vie. » Reste à espérer que l’avenir lui donne raison. Car le Service des canaux de Paris, qui traite donc cours d’eau et berges, enlève entre 300 et 400m3 de déchets par an ! Dans cette masse, des déchets verts qui restent à la surface, mais aussi moult déchets de la vie quotidienne tels cannettes, emballages, etc. « Nous avons initié une démarche avec un laboratoire de recherches pour qualifier les déchets que nous ramassons afin de mieux en comprendre l’origine et tenter d’agir sur ces sources de pollution », espère Patrick Duguet. Et peut-être réussir à les valoriser. Car pour l’heure, tout est mélangé, et l’ensemble, envoyé en centre de stockage.
Paris a été distinguée dans le cadre du Prix Territoria 2024 pour son dispositif : la Ville a reçu le prix bronze de la catégorie « Ville durable ».