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« Les chocs environnementaux présents et à venir appellent à construire un compromis politique avec toutes et tous »

31/08/2024

« Les chocs environnementaux présents et à venir appellent à construire un compromis politique avec toutes et tous »

Comment faire avancer la transition écologique, engluée dans les oppositions politiques alors que tous les indicateurs sont au rouge ? Quelles devraient être les priorités du futur gouvernement, sans majorité absolue au Parlement et dans une France fracturée par l’extrême droite ?

Paru peu avant la tourmente de la dissolution, le livre des économistes Emmanuel Combet et Antonin Pottier posait le diagnostic et proposait des pistes pour sortir de l’ornière (Un nouveau contrat écologique, PUF, mai 2024).

Non des énièmes mesures à prendre mais une négociation politique pour surmonter les obstacles socio-économiques inhérents à toute politique environnementale efficace. Une réflexion plus que jamais d’actualité.

Quel est votre regard sur la place de l’écologie dans le débat politique aujourd’hui ?

Antonin Pottier : Ce sujet est passé au second plan. Mais plus préoccupant encore est le changement dans la manière de l’aborder. Les débats ne portent plus tellement sur la nature des décisions à prendre face à l’urgence environnementale. Il faut maintenant se positionner « pour ou contre » l’écologie.

L’extrême droite attise ce clivage pour gagner du terrain, particulièrement depuis la protestation des agriculteurs au début de l’année. Or, il n’existe aucune donnée nouvelle qui permette de dire qu’on ne devrait plus se soucier du changement climatique ou de l’effondrement de la biodiversité, pour parler seulement de ces enjeux de premier ordre pour notre avenir commun !

Emmanuel Combet : D’un côté les défenseurs du Pacte vert, de l’autre les dénonciateurs d’une écologie punitive : cette polarisation du débat tend à se renforcer. L’écologie ne saurait pourtant être un sujet de division, elle doit au contraire être un sujet d’œuvre commune.

Les chocs environnementaux présents et à venir appellent une unité d’action résolue et constante, quelle que soit la couleur du pouvoir en place. Cela implique de construire un compromis politique entre des intérêts apparemment contradictoires, avec toutes et tous.

Il nous faut articuler et concilier des objectifs économiques, sociaux et écologiques qui se confrontent en permanence entre eux. C’est le message principal de notre livre.

Justement, le programme écologique du Nouveau Front populaire et notamment la mesure emblématique d’un ISF climatique ne traduisent-ils pas une volonté de concilier « fin du monde et fin du mois » ?

E. C. : Il y a bien dans le programme du NFP une forme d’articulation d’ambitions écologiques et socio-économiques. Cela va dans le sens de cette nécessaire conciliation d’objectifs. En revanche, la méthode pose question.

Le NFP met l’accent sur la redistribution des richesses, entre autres avec la proposition d’un ISF assorti d’une composante climat. Il n’est pourtant pas sûr que ce projet suscite l’adhésion au-delà de son électorat.

Pour réussir la transition écologique, il faudra pourtant rassembler au-delà, embarquer plus largement la société, y compris des patrons, y compris des électeurs de droite et d’extrême droite, y compris des « riches ».

L’écologie engage des transformations qui concernent tout le monde, à tous les niveaux de la société, sur un temps très long. On ne peut pas gagner ce combat de façon temporaire, avec une base électorale trop étroite.

L’ISF climatique renvoie à l’idée de transition juste, où les plus aisés d’entre nous devraient prendre leurs responsabilités. Mais il y a différents points de vue sur ce qui est juste ou non. Un dirigeant d’entreprise trouverait injuste une politique climatique qui l’obligerait à mettre la clé sous la porte et licencier ses salariés. Chercher à imposer une mesure, si bonne paraît-elle, risque d’entraîner des blocages. Elle doit être le résultat d’une négociation politique plus large.

A. P. : Une concertation élargie est également nécessaire pour élaborer des mesures pertinentes. L’ISF climatique dont on parle beaucoup aujourd’hui est-il une si bonne idée ? Mieux vaudrait en discuter d’abord plutôt que de vouloir l’instaurer dans les 100 premiers jours. Déterminer le bilan carbone d’un patrimoine particulier en vue de le taxer n’a en effet rien d’évident et il n’existe pas aujourd’hui de cadre méthodologique solide pour le faire.

Si l’objectif est que les plus riches contribuent davantage à la transition, pourquoi se compliquer l’existence ? Un simple ISF suffirait, ou encore une contribution exceptionnelle, comme proposé dans le rapport Pisani-Mahfouz. Une mesure mal ficelée par défaut de discussion sur son bien-fondé scientifique comme sur ses implications socio-économiques a peu de chance de tenir dans le temps.

N’êtes-vous pas un peu iréniques ? Qu’est-ce qui pourrait me convaincre, moi qui ne suis pas pauvre, de contribuer davantage ?

A. P. : Quand nous parlons de négocier un compromis politique, nous ne nions pas les rapports de force, et ils sont puissants. Mais l’idée que les plus aisés d’entre nous puissent échapper aux impacts du changement climatique est erronée.

On préfère toujours que ce soit le voisin qui paye plutôt que soi, mais on voit bien que si la transition n’a pas lieu, autrement dit si nous ne sortons pas des énergies fossiles très rapidement, le monde se portera beaucoup plus mal qu’aujourd’hui, y compris les milliardaires. Si nous subissons tous des catastrophes en série et que l’économie périclite, il n’est pas sûr que leurs fortunes résistent.

L’idée que les plus aisés contribuent davantage pourrait être coconstruite avec les intéressés sur la base de l’argument d’une responsabilité commune et d’un intérêt partagé. Mais ce n’est pas de cette manière que la proposition d’un ISF climatique est présentée par le Nouveau Front populaire. Au risque d’entretenir un clivage qu’il faut au contraire arriver à surmonter.

E. C. : On a vu à d’autres époques que ces clivages pouvaient être réduits par des accords négociés : la protection sociale et le fordisme dans la première moitié du XXe siècle, les mécanismes de régulation et de redistribution des Trente Glorieuses… Accroître les rémunérations au bas de l’échelle était aussi une condition de la reproduction de la situation sociale des plus riches et ils l’ont bien compris. Nous avons besoin avec la crise écologique d’une approche comparable.

Du coup, quelles mesures prendre pour dépasser les blocages actuels et engager pour de bon la transition écologique ?

A. P. : La question n’est pas de « prendre des mesures » mais de « concerter la transition ». C’est la conclusion à laquelle nous arrivons dans notre livre, à partir de l’analyse des échecs répétés de la taxe carbone en France, en particulier des travaux de la Commission Rocard en 2009 à la crise des gilets jaunes en 2018.

Cette taxe, destinée à renchérir le coût des énergies fossiles pour en diminuer la consommation et favoriser les alternatives a longtemps été présentée comme une mesure clé de la transition. Or, on voit bien que derrière cette simple mesure, il y a de multiples sujets conflictuels qui s’imbriquent les uns dans les autres et qui touchent au pacte social : conditions de compétitivité des entreprises, coût des déplacements, justice fiscale, inégalités socio-économiques…

Le problème, c’est de s’être focalisé sur la mesure, souvent de manière technocratique, sans organiser la discussion sur ce qu’elle engageait implicitement, une refonte du contrat social.

E. C. : C’est cela qui nous semble manquer dans les politiques de la transition, hier comme aujourd’hui : on prend le sujet par le petit bout de quelques mesures – on le voit dans les programmes des partis politiques –, sans traiter des fondamentaux : quel est le projet de société derrière ces mesures ? Quel compromis social et politique pour le soutenir ? Et comme on n’engage pas ce travail sur le fond, alors, inévitablement, les désaccords reviennent, paralysant l’action ou la révisant à la baisse.

Après la crise des gilets jaunes, le chef de l’Etat n’a-t-il pas engagé un débat de fond ?

A. P. : Des outils de la démocratie participative ont certes été mobilisés avec le Grand débat puis la Convention citoyenne sur le climat, mais l’exécutif s’en est d’abord servi comme instruments de communication pour éteindre une crise politique, au risque de les discréditer.

A quoi bon de grandes consultations si l’on en tire relativement peu de choses ? Les cahiers de doléances issus du Grand débat sont restés sans suite. Et la Convention citoyenne lancée par le président de la République a entraîné beaucoup de déceptions, en raison du flou entretenu sur l’articulation de son travail avec celui des instances de la démocratie représentative.

L’exercice récent de planification écologique sous la houlette du Premier ministre tient-il compte des échecs passés ?

E. C. : C’est un travail très important de coordination des acteurs publics, d’une part, d’identification exhaustive des leviers d’action dans tous les domaines pour atteindre nos objectifs nationaux en matière d’écologie, d’autre part. Mais cette institution n’a pas pour mandat d’œuvrer à ce qui fait principalement défaut : la négociation politique de la transition et de ses implications.

Engager cette concertation est indispensable. Et particulièrement chez nous. En France, la production électrique est déjà décarbonée, il faut s’attaquer aux émissions de CO2 de millions de citoyens, de collectivités, d’entreprises, dans les transports, les bâtiments, les chaînes de production…

Pour les faire chuter rapidement puis les éliminer autour de 2050, il paraît indispensable d’accélérer les économies d’énergie, par progrès technologique ou actes de sobriété, car le déploiement des énergies décarbonées se heurte aussi à des limites.

Une certaine sobriété permet ainsi clairement de réduire les contraintes sur le système énergétique. Faut-il y recourir et jusqu’où ? A quelles conditions ? Et comment ? Pour certains, ce n’est pas très compliqué de se passer d’une voiture individuelle, pour d’autres si.

Ce sont toutes ces discussions que nous devons avoir ensemble d’une façon ou d’une autre, à partir d’une analyse honnête et objective, pour voir où se situent précisément les pistes de synergie, les points de désaccord et de blocage et comment y remédier.

« Concerter la transition », donc. Mais comment engageriez-vous cette démarche ? A quoi ressemblerait-elle ? Que feriez-vous dans les 100 jours si vous étiez au gouvernement ?

A. P. : Nous avons procédé à l’analyse des échecs passés et en avons tiré des recommandations générales. Notre livre n’est pas un mode d’emploi détaillé. Nous ne présentons pas « les dix mesures à prendre par le nouveau gouvernement pour concerter la transition », ce qui serait contraire à notre démarche, qui est précisément de laisser la place à la coconstruction !

Ceci posé, nous avons proposé dans notre dernier chapitre des pistes à suivre pour concerter la transition. Retenons deux mesures symboliques – au sens premier de ce mot –, qui pourraient être prises dans les fameux 100 jours.

La première serait une allocution solennelle du chef de l’Etat, soutenu par les représentants politiques, sur l’urgence écologique appelant chacun à se mobiliser. Etrangement, cela n’a jamais été fait.

Cette déclaration expliquerait notamment aux Français quelles sont les difficultés qui les attendent en matière d’adaptation au changement climatique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elle leur expliquerait combien la situation qui est devant eux est grave, car beaucoup ne le comprennent pas, voire pensent que parler du climat sert juste à faire plaisir aux écolos.

Elle dirait que face à l’ampleur du défi, chacun a le devoir de s’engager, selon ses possibilités et ses responsabilités, à tous les niveaux : dans sa famille, son immeuble, son quartier, son entreprise, son syndicat, son siège d’administrateur ou d’élu…

Une autre mesure du même ordre serait d’instituer un nouveau jour férié qui symboliserait le temps que nous devrions nous donner pour concerter la transition. Ce jour pourrait permettre de prendre un temps collectif pour discuter en famille, entre collègues, dans les quartiers, au niveau de la commune…

E. C. : Ces mots sont nécessaires, mais bien entendu, ils doivent être suivis d’action. La transition concertée ne peut se limiter à un grand moment collectif. Elle doit être permanente, réalisée au plus près de toutes décisions et à tous niveaux : foyers, entreprises, collectivités locales, Parlement… Avec reddition de comptes régulière pour mesurer les progrès et voir comment poursuivre face aux obstacles rencontrés.

Le débat parlementaire sur la prochaine loi de finances pourrait être l’un des moments de cette concertation. On pourrait reconnaître que l’actuelle programmation des finances publiques est caduque, entre autres par rapport aux besoins de financement de la transition documentés dans différents rapports. Il faut se donner deux ou trois ans de discussion pour trouver une réponse globale, largement négociée, aux multiples défis – économiques, sociaux, écologiques – que nous devons affronter.

Antoine de Ravignan / alternatives-economiques

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