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L’IA sauvera-t-elle la planète ?

22/12/2024

L’IA sauvera-t-elle la planète ?


L’intelligence artificielle est la révélation de ces dernières années, aucun secteur n’y échappant. Et si la technologie se mettait au service de l’environnement et pouvait contribuer à réduire les effets néfastes de l’activité humaine et du réchauffement climatique ? De nombreuses initiatives existent à travers la planète, où elles témoignent d’un progrès réel. Cependant, il s’agit souvent d’innovations éparses. L’impact ne serait-il pas plus bénéfique avec une approche systémique ? De plus, l’IA demeure gourmande en énergie. Si la technologie peut encore évoluer, ses cas d’usage également.

Au Brésil, des drones survolent la périphérie côtière de Rio de Janeiro. Leur objectif ? Repérer les zones qui nécessitent un reboisement. Ils sont associés à des ordinateurs boostés à l’intelligence artificielle, qui définissent les cibles et les graines à déposer dans des espaces souvent très difficiles d’accès. Grâce à ce combo technologique, l’initiative, issue d’un partenariat entre la mairie de Rio et la startup Morfo, peut permettre de déposer 180 capsules de graines par minute, ce qui serait 100 fois plus rapide qu’une intervention humaine. Et pour s’assurer du succès de l’opération, Morfo veille au grain : un suivi forestier évaluera régulièrement la croissance et la santé des plantations. Là aussi, l’intelligence artificielle viendra en appui pour mesurer les retombées concrètes sur la biomasse et la biodiversité, tout en mesurant la qualité du sol.

À des milliers kilomètres de là, au fin fond des océans, les chercheurs du MIT (Massachusets) observent avec attention leur « Soft Robot Fish », un poisson-robot destiné à suivre un banc de poissons en totale autonomie grâce à l’IA. Autre exemple, celui de l’organisation néerlandaise The Ocean Cleanup qui utilise l’intelligence artificielle pour détecter les déchets perdus dans les océans, via des cartes détaillées des fonds marins. Désormais, l’IA est presque partout. En quelques années, cette technologie s’est imposée comme une véritable révolution. La taille du marché mondial de l’intelligence artificielle était évaluée à 136,55 milliards de dollars en 2022, d’après Grand View Research qui estimait aussi sa croissance annuelle à 37,3 % entre 2023 et 2030.

Concrètement, la capacité de l’IA à traiter de vastes ensembles de données et à en extraire des informations exploitables pourrait transformer la manière dont nous appréhendons le changement climatique. Elle peut notamment aider à nettoyer les océans, mieux protéger l’environnement, prédire les grandes variations météorologiques ou encore réduire l’empreinte carbone dans de nombreux secteurs. Les algorithmes des IA aident à concevoir des bâtiments économes en énergie, à planifier des itinéraires de transport à faibles émissions ou à mettre au point des technologies de captage du carbone. L’intelligence artificielle se met au service des entreprises pour favoriser l’adoption d’habitudes plus écologiques, en repensant les opérations et en identifiant -entre autres- les domaines où des économies d’énergie peuvent être réalisées.

Des usages à repenser

Toutefois, si la technologie semble très prometteuse et les cas d’usage nombreux, les bonnes pratiques doivent se généraliser pour en percevoir les effets tangibles. « Il y a beaucoup de petites solutions… mais on attend les « grosses », souligne Gilles Babinet, entrepreneur et auteur de Green IA, l’intelligence artificielle au service du climat (éditions Odile Jacob). Par exemple, il existe des systèmes d’optimisation des batteries dans les voitures, sur la base d’intelligence artificielle. Ainsi, avec une charge similaire, la voiture a plus d’autonomie. Quelque part, c’est une solution favorable à l’environnement. Or, ce qui est vraiment intéressant, c’est l’approche systémique, c’est-à-dire prendre un système de transport, y placer de l’IA et le modifier fondamentalement. » Pour l’expert, les initiatives sont plutôt éparses, à l’image de ces modèles prédictifs pour agir sur les feux de circulation ou la mise en place d’une accessibilité partielle des routes à forte densité, ouvertes uniquement aux véhicules transportant plusieurs personnes – le comptage étant réalisé de façon aléatoire par des caméras. « Rares sont les villes qui disposent d’un système réellement intégré permettant de moduler le trafic de façon dynamique et de reporter du trafic en masse d’un mode à l’autre, en ayant une compréhension fine ce qu’il se passe, estime Gilles Babinet. Les initiatives actuelles sont à la fois très efficaces, mais invisibles. Cela vaut aussi pour la supply chain, où grâce aux systèmes prédictifs, les grandes entreprises comme Amazon améliorent les taux de remplissage de leurs camions. » L’écueil à prévenir ? Que les gains de productivité amenés par l’IA ne soient pas clairement dirigés vers l’environnement, mais vers plus de consommation. D’où la nécessité d’un triptyque régulateur, innovateur, usage. « Probablement, la bonne voie, c’est une sorte de voie du milieu où on utilisera beaucoup de technologie, mais moins de ressources, selon une logique de décroissance. À condition d’accepter de faire bouger les usages », poursuit Gilles Babinet, pointant ainsi du doigt l’un des griefs portés à l’encontre de l’intelligence artificielle : sa propre consommation en ressources.

Le coût écologique de l’IA

Selon les estimations de l’Arcep, rien que l’empreinte environnementale du numérique se situe entre 3 à 4 % des émissions des gaz à effet de serre dans le monde et 2,5 % en France. Ces émissions pourraient augmenter de 60 % d’ici 2040, d’autant plus que l’IA fait appel à des algorithmes qui ont besoin d’être entraînés pour fonctionner. Le deep learning est très énergivore, bien plus que les moteurs de recherche standards. L’Ademe estime que l’IA pourrait générer 50 millions de tonnes de CO2 en 2050 en France, soit trois fois plus qu’aujourd’hui. Pour réduire l’impact environnemental de l’IA, plusieurs acteurs planchent sur le sujet. À commencer par l’institut AI for Sustainability qui travaille notamment sur un projet d’optimisation de l’IA, moins consommatrice d’énergie.

Un autre projet porte sur les cas d’usage, ou comment les entreprises peuvent utiliser l’intelligence artificielle pour atteindre des objectifs de développement durable. « Nous avons présenté un baromètre au Sénat, en juin dernier, où nous y détaillions ce que font les entreprises de l’IA, comment elles l’utilisent et comment elles traitent la question en lien avec la durabilité, intervient Dejan Glavas, directeur de l’institut AI for Sustainability. Nous avons observé que, pour l’instant, en matière d’intelligence artificielle, les entreprises tâtonnent. Et parmi elles, seulement un tiers affirme se préoccuper de l’impact environnemental de l’IA ou l’utiliser pour atteindre des ODD (Objectifs de développement durable). Peu disent limiter ce qu’on appelle la « sur-ingénierie », c’est-à-dire utiliser un modèle trop complexe pour une tâche où un modèle simple suffit. »

Comment changer une telle orientation et rendre les entreprises plus sensibles à la question environnementale ? Pour l’expert, l’un des premiers arguments est économique : « Le prix du cloud est lié à sa consommation et à celle d’IA : si le prix du cloud augmente, c’est donc dans l’intérêt des entreprises d’utiliser une IA plus frugale, moins consommatrice d’énergie. Un autre élément, c’est à la fois un push de la réglementation et de la société civile qui inciteront probablement les entreprises, comme cela a été le cas pour les critères ESG, à regarder ces questions-là de plus près. » Actuellement, l’IA peut donc être employée pour des usages en faveur de l’environnement, mais le déploiement d’une technologie qui soit à la fois réelle et positive est encore faible. La distinction perdure, pour combien de temps ? L’enjeu est d’orienter la discussion dans le bon sens, avec des systèmes d’intelligence artificielle tels qu’ils se pratiquent effectivement, tels qu’ils existent aujourd’hui, mais sans atteindre un niveau de trop grande généralité, soulevant ainsi cette question essentielle : l’IA oui, mais pour quel usage ?

Pour mener la transition écologique, un certain nombre d’infrastructures sont nécessaires, qu’elles soient énergétiques, de transport ou de données. Pour constituer ces infrastructures en un temps limité, l’intelligence artificielle demeure une alliée importante. « L’avènement de l’IA a déjà ouvert tout un champ des possibles, qu’il s’agisse d’IA générative, mais surtout d’IA du développement des réseaux de neurones, qui permet (sans forcément inventer quelque chose de nouveau en termes d’outils) d’agir en faveur de l’environnement, glisse Dejan Glavas. Il existe des « quick wins » prêts à être utilisés sur des modèles déjà développés. C’est le cas par exemple de l’INRIA qui, avec le projet « Ouragan », cherche à mieux comprendre ces phénomènes météorologiques. Ils vont disrupter ce milieu de la prévision climatique en utilisant l’IA, mais sans non plus le révolutionner : ils adaptent l’IA à leurs données. » À partir d’un modèle, les chercheurs vont en effet intégrer la force du vent, des données météorologiques, de terrain ou physiques. L’IA permet alors de gagner en précision et en rapidité sur la prévision de la force des ouragans, en vue d’avoir un impact positif.

L’IA au service des territoires

Le paradoxe réside dans la structure et la dynamique même du champ de l’intelligence artificielle. C’est un domaine qui progresse par expansion et par agrandissement de la taille des modèles, comme progresse la puissance nécessaire pour les faire fonctionner. Il s’agit donc de concevoir une manière de faire de l’intelligence artificielle, en organisant cet écosystème-là sans qu’il ne carbure à la croissance incontrôlée. Cela nécessite d’interroger l’usage, mais aussi l’innovation technique. « Cela doit se traduire aussi, à notre sens, par des lignes d’ouverture, commente Matthieu Porte, coordinateur des activités IA à l’IGN (Institut national de l’information géographique et forestière). Soit ouvrir des données, ouvrir des modèles, ouvrir des méthodes sur l’intelligence artificielle : cela contribue à la lisibilité sur ce qu’il se fait et cela ouvre aussi la technologie à plus d’acteurs, pour éviter la concentration entre quelques acteurs hégémoniques aux enjeux financiers probablement très importants. Autrement dit, il y a la possibilité de faire autre chose que de la course à l’armement en intelligence artificielle. »

Sans jeux de données significatifs, pas de recherche en IA ni de déploiement de systèmes pertinents. Aussi, il s’agit de prendre en compte des jeux de données parmi les plus significatifs dans des domaines cibles pour faire en sorte d’obtenir une donnée de qualité, afin de travailler sur l’intelligence artificielle elle-même. « Sans cela, on n’ira collectivement pas bien loin, reprend Matthieu Porte. À l’IGN, nous avons une dizaine de systèmes d’intelligence artificielle en production, afin de pouvoir parler d’intelligence artificielle telle qu’elle est, telle qu’elle se pratique, et non telle qu’on la fantasme. Toutefois, il reste des défis importants qui sont des verrous techniques. Ce sont par exemple les bonnes manières de mobiliser différentes sources de données associées aux méthodes techniques, pour tendre vers des modèles intelligents qui fonctionnent, qui apportent quelque chose, mais qui ne sont pas trop gourmands en énergie. »

Parmi ses travaux, l’IGN emploie l’intelligence artificielle dans le suivi d’occupation des sols. L’IA lui permet ainsi de mieux accompagner les politiques de lutte contre l’artificialisation des sols et de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. En ce sens, l’institut produit un référentiel d’occupation des sols qui décrit, en chaque endroit du territoire, le nombre de bâtiments, de routes, de zones agricoles ou industrielles, entre autres. Cette production de données permet de mesurer les consommations d’espace. Les systèmes d’IA interviennent notamment dans la lecture de photos de territoires. L’enjeu est alors de passer de ces visuels à de véritables informations de contenu. « Pour définir la quantité de bâtiments, de routes, d’eau, de végétation, nous utilisons des traitements algorithmiques. Ces derniers sont compliqués à mettre en place et sont obtenus par l’intelligence artificielle, grâce à l’entraînement de modèles, souligne Matthieu Porte. Cette donnée est un outil, qui vient en préambule à une action humaine. Il faut que cela nourrisse des processus de décision. Et c’est ce que rendra possible la création du jumeau numérique de la France. »

Un « jumeau numérique » est la représentation virtuelle d’un produit, d’un processus, d’une personne ou d’un lieu physique, créé à partir de données collectées en temps réel et traitées par des algorithmes. Ainsi, l’Institut géographique national travaille sur la création d’un tel jumeau à l’échelle nationale, en collaboration avec le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), à horizon 2030. Le but de réaliser un jumeau numérique de la France et de ses territoires, c’est non seulement d’avoir ces descriptions instantanées, ou même ces descriptions qui permettent de tracer dans le temps ce qui s’est passé, mais de pouvoir simuler différents scénarios et d’aider, donc, à la prise de décision. Par exemple, comment évoluera tel territoire si le niveau de la mer augmente significativement ? Le jumeau numérique permettra de simuler et de visualiser de manière dynamique des hypothèses sur les infrastructures et les biens menacés. Il permettra aussi de disposer de projections pour connaître très précisément le nombre de logements, de personnes et d’équipements touchés. Pour le coordinateur de l’IA, « il y a toute une médiation entre ces données et l’action humaine qui se passe derrière la carte de la France, aidant ainsi les humains et les sociétés à avoir prise sur leur destin. »

Un accès équitable à l’IA

L’intelligence artificielle peut donc s’avérer une alliée précieuse dans la préservation des ressources et la cohabitation harmonieuse entre la nature, l’environnement et les humains. Reste à savoir trouver un juste équilibre entre ses propres besoins en énergie et l’impact bénéfique réel. L’enjeu des prochaines années n’est pas tant de faire aller la technologie toujours plus loin, mais bien de définir les bons usages qui autoriseront cet équilibre. L’IA peut-elle alors sauver l’environnement ? Probablement, si la technologie n’est pas utilisée à de pures fins de productivité et de profit. Sans oublier qu’il faut un accès équitable à l’IA : si dans un même secteur, certains l’utilisent et d’autres pas, se dessineront alors des écarts de productivité et de marges qui augmenteront les inégalités. Le secteur pour lequel ce risque est le plus probable : l’agriculture. « On assiste à des initiatives prometteuses, avec des systèmes plus vertueux grâce à l’intelligence artificielle, notamment par le biais de la robotique. Par exemple, des startups se spécialisent dans le développement de robots chargés de doser la juste quantité d’eau en fonction des besoins de la plante », mentionne Gilles Babinet. De son côté, Dejan Glavas s’inquiète de la différence d’usage d’un continent à l’autre : « Le modèle agricole américain, qui est quand même assez technologique, n’aura pas de mal à absorber les avancées de l’IA. En revanche, la question se pose en Europe, voire en France où les exploitations sont plus petites, où la perception de la valeur technologique sera moins évidente et la mise en place plus compliquée… » Attention, donc, au décrochage technologique. L’IA, oui, mais for good et pour tous.

thegood

L’IA au service d’initiatives innovantes à travers la planète

BreezoMeterutilise l’IA pour réunir des données sur la qualité de l’air en temps réel : elle combine des données satellites, des données de capteurs au sol, des données météorologiques.
Rainforest Connectiondéploie des modèles de surveillance acoustique pour détecter la déforestation illégale et le braconnage. L’IA écoute des milliers d’heures de schémas acoustiques et repère la moindre anomalie.
Blue River Technologydéveloppe un système d’IA pour les tracteurs qui identifie les mauvaises herbes et permet de pulvériser les herbicides uniquement où cela est nécessaire.
DeepMindpermet de prévoir la production d’énergie générée par des éoliennes jusqu’au moins 36 heures à l’avance, augmentant ainsi de 20 % la valeur de l’énergie produite.
Greyparrotdéveloppe un logiciel de reconnaissance des déchets, pour en optimiser le recyclage. La jeune pousse britannique avance le chiffre de 75 milliards d’objets analysés chaque année.
The Ocean Cleanupest capable de repérer et de prévoir l’emplacement des plus grandes quantités de plastiques flottants : grâce à un système de cartographie sous-marine et à l’IA, elle facilite ainsi leur collecte.


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