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Réemploi : comment la France s’apprête à relancer la consigne
09/05/2025

Bien qu'adoptée par quelques fabricants, la consigne pour réemploi reste encore rare en France. @ROMEO BOETZLE / AFP
D’ici le mois de juin, 16 millions de Français vivant dans quatre régions pourront expérimenter le retour de la consigne en magasin. Porté par Citeo, le dispositif devra dépasser de nombreux freins avant d’être déployé à l’ensemble du pays. L’objectif est considérable : multiplier par dix le taux de réemploi d’ici deux ans.
Quasi disparue depuis plusieurs décennies au profit des emballages jetables, la consigne fait son retour dans quatre régions françaises. D’ici quelques semaines, la Bretagne, les Hauts-de-France, la Normandie et les Pays de la Loire seront le théâtre d’une expérimentation à grande échelle visant à démocratiser le réemploi. Au total, 16 millions de Français pourront bénéficier de ce dispositif, baptisé ReUse.
A partir du mois de juin, les habitants du quart Nord-Est du pays pourront trouver dans leurs supermarchés une gamme de produits conditionnés dans des emballages réutilisables en verre, comme des soupes, des boissons ou encore de la compote, qu’ils pourront ensuite rapporter pour qu’ils soient lavé et remis en circuit. Huit distributeurs rassemblant environ 750 magasins, dont Biocoop déjà engagé sur le sujet, mais aussi Carrefour ou Intermarché, participent à l’initiative. Du côté des industriels, une quarantaine de grandes marques sont également mobilisées, à l’instar de Danone, Andros et Coca-Cola.
L’ambition est claire : changer d’échelle. Car si "l’offre de réemploi existe", elle "reste marginale", souligne Citeo. "Encore aujourd’hui, elle est majoritairement portée par des acteurs locaux et/ou vendue dans des enseignes de distribution sélective et ne concerne que quelques catégories de produits", résume l’éco-organisme en charge de la logistique et du financement du projet. Résultat, les chiffres ne sont pas au rendez-vous. En 2023, le taux de réemploi s’élevait à 2,22% pour l’ensemble des emballages et atteignait seulement 1,1% pour les emballages ménagers.
Coup d’accélérateur
Une réalité bien loin des objectifs fixés par la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) adoptée en 2020. Cette dernière prévoyait un taux de réemploi de 5% en 2023, devant passer à 10% en 2027. "Avec cette première phase de déploiement, on met un coup d’accélérateur, avec un triple objectif : réduire les déchets d’emballages jetables, recréer de l’emploi dans les territoires et atteindre les objectifs législatifs", appuie auprès de Novethic Célia Rennesson, co-fondatrice du réseau Vrac et Réemploi. Citeo table sur 30 millions d’emballages réemployables mis en circulation durant l’initiative, qui s’étendra sur dix-huit mois.
Mais les défis sont nombreux, à commencer par l’adoption du dispositif par les Français. "Pour massifier le réemploi, il faudra repenser le quotidien des gens", souligne Marine Bonavita, chargée de plaidoyer au sein de Zero Waste France, interrogée par Novethic. Varier les modes de collecte, créer une signalétique claire ou encore proposer une offre suffisamment large sont autant de leviers essentiels à un déploiement efficace estiment les spécialistes du secteur. Le prix de la consigne entre également en jeu. Durant l’expérimentation, il devrait se situer entre dix et vingt centimes selon le type de contenants. "Avec ce montant, on commence à donner une vraie valeur aux emballages, sans alourdir le panier de course", note Célia Rennesson.
Dépasser l’expérimentation
Ce retour à la consigne demande par ailleurs de structurer un écosystème qui a progressivement disparu depuis les années 50. L’industrialisation du processus nécessite notamment une standardisation des contenants, permettant de fluidifier les étapes de stockage, de tri, de transport et de lavage. Or, si la France est censée disposer d’une liste d’emballages standardisés réemployables depuis 2022, cette dernière "se fait toujours attendre", regrette Marine Bonavita. Par conséquent, "dans le cadre du projet ReUse, Citeo a dû lui-même créer un standard de quelques contenants", ajoute-t-elle.
Autre sujet d’interrogation : le territoire est-il suffisamment équipé pour accueillir le flux d’emballages à venir ? Sur ce point, le réseau Vrac et Réemploi se veut optimiste. "Actuellement, beaucoup de centres de lavage tournent en sous régime. En moyenne, ils sont à 20% de leur capacité, on en a largement sous le pied pour accueillir une montée en puissance", affirme Célia Rennesson. Car l’objectif est de dépasser l’expérimentation pour généraliser la consigne à l’ensemble des régions, bien qu’aucune date n’ait été communiquée par le gouvernement.
"Le réemploi va dans le sens de l’histoire"
"Il faut absolument aller plus vite, nous sommes déjà en retard", presse néanmoins Marine Bonavita. Pour passer à l’étape supérieure, Zero Waste appelle à la définition d’une feuille de route du réemploi, à l’obligation de la reprise des contenants réemployables par la grande distribution et à l’instauration de pénalités pour les marques ne proposant que des emballages à usage unique lorsque des alternatives réutilisables existent. L’association estime également que le montant collecté par Citeo et consacré aux solutions de réemploi est trop faible. "Nous prônons une augmentation de cette enveloppe, pour que Citeo attribue 10% de son budget annuel au développement du réemploi, contre 5% aujourd’hui", explique Marine Bonavita.
D’autant plus que le règlement emballage européen (PPWR), entré en vigueur en février dernier, pourrait venir ralentir les efforts menés pour massifier le réemploi en France. Dans le cas où les taux de collecte de bouteilles en plastique et de canettes seraient en deçà de 90% à horizon 2029, l’UE obligera en effet les Etats membres à mettre en place une consigne pour recyclage. Une mesure "contre-productive" selon Zero Waste qui pourrait pousser les industriels à se concentrer principalement sur le recyclage "au détriment de la prévention et du réemploi".
En outre, le texte prévoit de supprimer tout objectif de réemploi dans le cas où les pays atteindraient un certain taux de recyclage. "Nous appelons à ne pas appliquer cette exemption et à bien poursuivre les objectifs fixés par la loi Agec, fait valoir Célia Rennesson. Il faut bien comprendre que le réemploi va dans le sens de l’histoire, pour des raisons de souveraineté et de résilience. De gré ou de force, tout le monde ira dans cette direction".