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"Le seul moyen de lutter contre les gaz à effet de serre est de montrer comment la transition est bonne pour le portefeuille et la compétitivité"

02/06/2025

"Le seul moyen de lutter contre les gaz à effet de serre est de montrer comment la transition est bonne pour le portefeuille et la compétitivité"

Ombrière agrivoltaïque testée dans le Calvados pour envisager le retour des vaches laitières au pâturage lors des étés chauds. Photo d'illustration. (MATHIS HARPHAM / OUEST-FRANCE / MAXPPP)

Tous les samedis, franceinfo décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.

François Gemenne revient cette semaine sur un paradoxe de la physique du climat : même quand nos émissions de gaz à effet de serre sont en baisse, la situation empire. Un élément de physique du climat qui reste mal intégré, alors que ce phénomène a d'énormes conséquences sur la manière dont on aborde la transition.

"Nous sommes face à un problème de stock, et non face à un problème de flux", répète le professeur. Même si les gaz à effet de serre émis sont moindres, ils s'accumulent sans décroître. Ralentir les émissions ne permet donc pas d'améliorer la situation, juste de l'empirer moins vite.

François Gemenne : Jusqu'à la Révolution industrielle du XIXe siècle, ce niveau était d'environ 280 parties par million dans l'atmosphère, et on est désormais autour de 425 parties par millions. Ce taux augmente chaque année, parce que chaque année, nous envoyons des gaz à effet de serre dans l'atmosphère. 

"À l’exception du méthane, les gaz à effet de serre ont une durée de vie très longue dans l’atmosphère, qui se compte en centaines, voire en milliers d’années."

François Gemenne à franceinfo

C'est comme si vous faisiez couler un bain dans une baignoire : tant qu'il y a de l'eau qui sort du robinet, même si ce n'est plus qu'un mince filet ou plus que quelques gouttes, ça suffit à faire monter continuellement le niveau du bain. Et même si vous coupez complètement l'arrivée d'eau, vous savez qu'il faudra encore plusieurs heures, sinon plusieurs jours, avant que l'eau du bain ne s'évapore et que le niveau ne baisse. C'est exactement pareil avec les gaz à effet de serre dans l'atmosphère.

franceinfo : Et pour les gaz à effet de serre, c'est quand le moment où on arrête le robinet ?

C'est le moment où on atteint la neutralité carbone au niveau mondial. C'est-à-dire le moment où la Terre retrouve un équilibre entre les quantités de gaz à effet de serre qui sont envoyées chaque jour dans l'atmosphère, et les quantités de gaz à effet de serre que la Terre est capable d'absorber, notamment via les forêts et les océans.

"Actuellement, on émet environ deux fois plus de gaz à effet de serre que la Terre n’est capable d’en absorber."

François Gemenne à franceinfo

Mais on s'est fixé un objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050. C'est l'objectif retenu par le gouvernement, par la Commission européenne, par la plupart des grandes entreprises, et surtout par l'ensemble des gouvernements, dans l'accord de la COP28, à Dubaï en 2023. On ne va pas se mentir, on en est encore trop loin. Mais même si on respecte cet objectif – soyons optimistes – ça voudrait dire qu'on ne peut pas vraiment espérer une amélioration de la situation climatique avant 2050, c'est-à-dire avant 25 ans.

C'est complètement décourageant...

Oui. Quoi qu'on fasse, tant qu'on n'a pas atteint la neutralité carbone, la situation va empirer. C'est pour cela qu'il faut l'atteindre le plus vite possible. Il y a un énorme décalage dans le temps entre nos actions et leurs effets. Et pour compliquer encore plus l'affaire, il y a aussi un décalage dans l'espace entre nos actions et leurs conséquences. Nous dépendons des émissions d'avant, et des émissions d'ailleurs. On touche là aussi aux limites d'un discours fondé sur la peur, parce qu'il n'y a pas de corrélation entre notre niveau personnel d'émissions et les impacts du changement climatique auxquels nous serons exposés. 

"Ce n'est pas en insistant sur les risques liés à l'inaction qu'on va déclencher l'action, parce que ces risques ne dépendent pas directement de nos émissions personnelles."

François Gemenne à franceinfo

Et donc, comment faire ?

Nous devons insister sur les bénéfices immédiats et tangibles de la transition, et faire en quelque sorte comme si le changement climatique n'existait pas, ou était un problème réglé. Il faut montrer qu'il y a plein de bénéfices au niveau individuel : pour la santé, pour le confort, pour le portefeuille. Et aussi des bénéfices pour les entreprises, en termes de compétitivité, d'attractivité ou de baisse de certains coûts.

Mais il faut surtout insister sur des bénéfices pour l'Europe, en termes de souveraineté et de géopolitique. Ces bénéfices sont très nombreux, et ils sont liés à la modernité, tout simplement. Et si on veut que ça marche, il va falloir renverser la table en termes de communication.

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