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Décarbonation. Le ciel ne peut plus attendre

10/06/2025

Décarbonation. Le ciel ne peut plus attendre

Heart Aerospace X1, Elise-test, Gothenburg, 2024

Avions électriques, ailes volantes, méga-hélices… Constructeurs et compagnies aériennes s’engagent dans une véritable révolution technologique pour réduire leur empreinte carbone. Objectif ? Atteindre zéro émission nette en 2050.

À la fin de la décennie, Heart Aerospace devrait faire décoller le premier avion de ligne électrique court-courrier avec à son bord 30 passagers. La société suédoise a en effet présenté en septembre dernier un aéronef hybride-électrique sous la forme d’un prototype grandeur nature. Avec ses 32 mètres d’envergure, cet avion du futur commercialisé sous l’appellation ES-30 est à ce jour le plus grand avion de ligne électrique jamais conçu, mais prévu pour de courtes distances : 200 kilomètres en propulsion électrique seulement. Ensuite, ce sont des turbo-propulseurs classiques qui prennent le relai pour pousser l’aéronef jusqu’à 400 km. Un saut de puce susceptible pourtant de redynamiser les liaisons locales d’après Anders Forslund, cofondateur et PDG de Heart Aerospace, convaincu que « les avions commerciaux hybrides sont une formidable opportunité de rétablir des liaisons aériennes régionales qui stimulent les économies locales, le tourisme et améliorent l’accès aux centres urbains ». Confiant, Air Canada a déjà manifesté son intérêt pour le modèle hybride avec une commande de 30 appareils doublée d’une prise de participation de 5 millions de dollars dans la société suédoise.

Une batterie Lithium-ion puissante

Le n° 1 mondial Airbus rêve également d’un ciel où les avions ne laisseraient aucune trace de CO2. À travers son projet Ecopulse, un petit avion hybride élaboré en collaboration avec Daher et Safran, l’avionneur vient de faire un saut vers le futur en utilisant une nouvelle technologie qui a vu le jour au sein d’Airbus Defence and Space : une batterie Lithium-ion surpuissante. « Habituellement, sur un avion léger, nous utilisons une batterie de 28 volts. Sur un avion commercial, nous utilisons du 115 volts alternatif comme norme. Ce que nous utilisons sur EcoPulse, c’est du 800 volts en continu, et c’est une tout autre histoire », commente Christophe Robin, responsable de la conception aéronautique chez Daher.

C’est également une tout autre histoire que celle de concevoir un long-courrier entièrement électrique avec 200 passagers à son bord. Chez Airbus, on y travaille d’arrache-pied. L’industriel vient de présenter en mars dernier à Toulouse, lors de son Sommet 2025, une feuille de route revue et corrigée de son projet d’avion à hydrogène ZEROe.

Intégrer l’hydrogène dans l’écosystème

Cet avion commercial grande ligne se présente sous la forme d’un monocouloir propulsé par quatre moteurs électriques de deux mégawatts. La nouveauté ? C’est la pile à combustible qui a été choisie pour alimenter chacun des moteurs. « À l’instar du secteur automobile, les avions entièrement électriques alimentés par des piles à combustible à hydrogène ont le potentiel, à plus long terme, de révolutionner le transport aérien, expliquait lors du sommet Bruno Fichefeux, responsable des programmes Futurs d’Airbus. Nous savons que cela est possible, mais nous savons aussi que l’écosystème économique et industriel qui permettra de rendre ces avions compétitifs n’existent pas encore. » De nombreux points bloquants risquent ainsi d’entraver les efforts de l’avionneur, car au-delà de la certification de ces technologies de rupture, il s’agit surtout d’intégrer l’hydrogène dans tout l’écosystème du transport aérien depuis les fournisseurs d’énergie aux infrastructures aéroportuaires, et même jusqu’à l’ensemble du secteur des transports terrestres et maritimes européens d’après Guillaume Faury, PDG d’Airbus.

Les compagnies à la manœuvre

En attendant l’avion électrique, les compagnies aériennes sont à la manœuvre pour réduire dès aujourd’hui l’empreinte carbone de leurs vols, notamment grâce à l’utilisation des carburants durables ou SAF (Sustainable Aviation Fuel) (Lire l’encadré ci-après).

Problème : les SAF coûtent beaucoup plus cher que le kérosène. Abaisser au maximum la consommation de carburant pour des questions économiques devient un enjeu majeur, et si cela permet aussi de réduire l’empreinte carbone, alors le bénéfice est double.

À l’instar du secteur automobile, les compagnies prônent les conduites vertueuses. Les pilotes se forment par exemple à l’éco pilotage. Ils naviguent avec plus de souplesse, ne poussent les gaz que lorsque cela est nécessaire, n’utilisent qu’un seul moteur lors du roulage au sol ou encore optimisent les plans de vol avec des trajectoires plus directes. Alléger le poids de l’avion permet également de faire des économies, en utilisant par exemple des plateaux- repas plus légers ou en réduisant les kilos de bagages autorisés par passagers.

Des ailes repliables Des avions plus légers, c’est également l’une des directions prises par les constructeurs qui annoncent déjà des aéronefs radicalement différents de ceux d’aujourd’hui. Conçus avec des matériaux innovants, leur design et leur aérodynamisme s’inspireront de la nature. Une tendance au biomimétisme que l’on retrouve notamment chez Bombardier avec le projet EcoJet, un jet privé en forme d’aile volante intégrée au fuselage doublée d’une démarche d’éco-conception. Le constructeur annonce ainsi une baisse de 50 % les émissions des avions d’affaires, alors même que ce secteur représente en France 0,09 % des émissions de CO2 selon le Ministère des transports. Dans cette même logique inspirée de la nature, Airbus réfléchit pour sa part à la conception d’ailes de grande envergure destinées à augmenter la portance et à réduire la traînée. Un peu trop encombrantes au sol, ces ailes d’albatros, encore en phase de recherche au sein du Centre technologique des ailes d’Airbus au Royaume-Uni, devraient se replier le long du fuselage pour faciliter l’embarquement. Du jamais vu.

Des moteurs sans carénage Côté propulsion, l’hélice fait son grand retour, mais dans une version augmentée. En amplifiant le taux de dilution des flux d’air, ces moteurs à soufflante ouverte permettraient de réduire la consommation de carburant de 20 %. L’open rotor de Safran, par exemple, se présente sous la forme de deux rangées d’hélices contrarotatives positionnées l’une derrière l’autre.

D’une taille deux fois supérieure à celle des turboréacteurs actuels, soit près de 4,50 m de diamètre, et sans nacelle pour atténuer le bruit des pales, cette solution prometteuse reste toutefois la plus complexe à mettre en œuvre. « L’un des scénarios envisagés serait de placer ces moteurs à l’arrière, et non plus sous les ailes », expliquait Mohamed Ali, Vice-président et directeur de la technologie et des opérations chez GE Aerospace qui s’est associé à Safran pour mettre au point le CFM Rise, un moteur ouvert compatible avec la pile à combustible et destiné au nouveau monocouloir d’Airbus prévu à l’horizon 2035. « Les derniers tests réalisés en Hollande sur supercalculateur sont extrêmement encourageants, conclut le directeur. Tant en termes de performance que de vibration et de niveau sonore. »

2,4 milliards d’euros d’investissements

La révolution de l’industrie aéronautique semble bien en phase de décollage. Mais son billet vers une aviation civile totalement neutre en émission de gaz à effet de serre a un prix. D’après le rapport récent de DESTINATION 2050, l’alliance industrielle qui regroupe l’ensemble des acteurs de l’aviation civile, y compris les services aéroportuaires, la décarbonation totale du secteur nécessitera 2,4 milliards d’euros d’investissements.

Et le PDG de Heart Aerospace, constructeur de l’avion électrique hybride suédois, d’alerter : « Sans action gouvernementale et financements audacieux, les technologies révolutionnaires nécessaires pour respecter les engagements climatiques de l’industrie à l’horizon 2050 risquent d’être retardées au point d’être inaccessibles. » À bon entendeur.

CARBURANTS DURABLES : Une goutte de SAF dans un océan de Kérosène

Les SAF (Sustainable Aviation Fuel), sont des carburants durables spécialement conçus pour l’aviation et destinés à être mélangés au kérosène. Fabriqués en version bio à partir de déchets agricoles, d’huiles usagées ou encore d’algues, et en version de synthèse avec des déchets industriels comme les plastiques, ils sont compatibles avec les motorisations actuelles et les infrastructures de carburant des aéroports. La compagnie Air France estime ainsi que l’utilisation des SAF lui a permis d’éviter l’émission de plus de 150 000 tonnes de CO?, soit l’équivalent de 496 allers-retours Paris - New York. Poussés par des directives européennes contraignantes, les fournisseurs d’énergie ont inscrit les SAF à leur catalogue. En France, Total Energie a notamment démarré la transformation de sa raffinerie de Grandpuits, en Seine-et-Marne, en plateforme « zéro pétrole » uniquement dédiée à la production de carburant aérien durable. D’ici à 2026, le site devrait être en capacité de produire 230 000 tonnes de e-SAF par an. De l’autre côté de l’Atlantique, la compagnie Phillips 66, traditionnellement fournisseur de Kérosène, s’est quant à elle tournée vers la production de bio-SAF, sous l’impulsion des subventions d’État de l’administration Biden. En décembre dernier, elle signait avec United Airlines un contrat garantissant l’approvisionnement de 11 millions de litres de bio-SAF au départ des aéroports de Chicago O’Hare (ORD) et de Los Angeles (LAX). Pour autant, la production mondiale reste encore très limitée. En 2023, les carburants durables ne représentaient que 3 % de la production de carburant d’aviation.

« Une question de volonté politique »

Paul Chiambaretto, Directeur de la Chaire Pégase (Économie et management du transport aérien et de l’aérospatial), Montpellier.

Depuis combien de temps l’industrie aéronautique se préoccupe-t-elle de son empreinte carbone ?

Paul Chiambaretto : En réalité, cela fait plusieurs décennies que les constructeurs travaillent à produire des aéronefs de moins en moins énergivores. Tout simplement pour répondre à la demande de leurs clients, les compagnies aériennes, pour qui le carburant constitue l’un des postes de dépense les plus importants. Les constructeurs ont donc contribué, je dirais presque sans le vouloir, à réduire l’empreinte carbone de l’aviation civile grâce notamment à des motorisations de plus en plus économes. Le problème vient plutôt de l’augmentation constante du trafic aérien international et avec lui de la progression des émissions de CO2 générées par l’ensemble du secteur, en particulier dans les pays à forte croissance tels que la Chine ou l’Inde.

La « honte de prendre l’avion » n’a donc pas impacté la fréquentation des aéroports ?

Paul Chiambaretto : Pas vraiment. Par contre, le hashtag « Flygskam », qui s’est répandu sur les réseaux sociaux en 2019, a eu le mérite de braquer les projecteurs sur les émissions carbones du transport aérien. Par exemple en 2020, lorsque l’État a voulu soutenir les compagnies en grande difficulté du fait de la crise sanitaire, les ONG ont mis la pression sur les gouvernements européens pour conditionner ces aides ou prêts à des engagements forts en faveur de la réduction de leurs émissions de CO2. Puis, en parallèle de l’interdiction de certaines routes aériennes, l’Europe a imposé en 2023 aux compagnies d’utiliser une part croissante de SAF pour l’avitaillement des avions au départ des aéroports européens. Cela montre que le développement d’une aviation propre est aussi une question de volonté politique.

La solution n’est-elle pas également dans les innovations technologiques ?

Paul Chiambaretto : Les innovations telles que les rotors sans carénage, les profilages d’ailes volantes, ou encore l’avion à hydrogène, sont très prometteuses. Mais ces ruptures technologiques ne sont pas encore matures et il est difficile de prévoir dans quels délais elles seront homologuées et disponibles. Ce n’est pas seulement une question technique, mais une question de financement. En France, la R&D bénéficie d’un soutien de l’État, mais pour passer à l’échelle industrielle, les entreprises sont moins soutenues et doivent trouver des fonds privés. Dans l’immédiat, la seule technologie disponible et facile à utiliser, c’est le carburant durable, les SAF et e-SAF. Le problème, c’est que les SAF coûtent quatre à six fois plus cher que le kérosène et que la production reste insuffisante. Seule une vraie politique industrielle permettra de structurer cette filière pour la développer et ainsi abaisser les coûts.

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