Le salon des Solutions
environnementales & énergétique du Sud-Ouest

Les Actualités

Inondations, sécheresse : le régime Cat-Nat cherche un second souffle

29/06/2024

Inondations, sécheresse : le régime Cat-Nat cherche un second souffle

Le régime Cat-Nat a été très fortement impacté ces dernières années par les inondations et les conséquences des sécheresses.    © muriel joly

Pour faire face à l'augmentation de la fréquence des sécheresses ou des inondations, le régime d'indemnisation Cat-Nat doit évoluer. Les manques du dispositif et les pistes d'évolution ont été explorés lors d'un colloque du Cercle français de l'eau.

3,24 mètres : c'est le niveau atteint par le débordement de l'Oudon dans le centre-ville de la commune de Craon, en Mayenne, après les pluies diluviennes des 18 et 19 juin derniers. Une crue historique, dont les conséquences devraient être toutefois amorties grâce au régime d'indemnisation Cat-Nat. Le Gouvernement a en effet lancé la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle pour les communes touchées, une étape clef pour accéder à l'indemnisation des sinistres.

Créé en 1982, ce dispositif permet de prendre en charge les risques « inassurables » par le marché privé seul : les assureurs sont en effet eux mêmes couverts par la Caisse centrale de réassurance (CCR). Cette société détenue par l'État français prend globalement en charge la moitié du coût supporté par les assureurs liés chaque année aux catastrophes naturelles, soit plus d'un milliard d'euros.

Ce dispositif de mutualisation et de solidarité est toutefois menacé. « Le régime a été très fortement impacté ces dernières années. Disons que depuis 2016, il est déficitaire : les primes ne couvrent plus les sinistres sept années sur huit, note Nicolas Bauduceau, directeur département conseil en prévention et Fonds publics de la CCR, à l'occasion d'une conférence organisée par le Cercle français de l'eau (1) sur le système assurantiel, mercredi 19 juin. Cela a entraîné une fonte des réserves de la CCR avec des événements comme Irma, qui a coûté près de 2 milliards d'euros, mais aussi des (…) retraits-gonflements d'argile, qui en 2022 ont coûté près de 3 milliards d'euros. »

Et l'augmentation de la fréquence des événements extrêmes prévue par les projections climatiques devraient encore accentuer ces difficultés. Parmi les conséquences liées, les forts différentiels météos, avec de fortes pluies mais également de fortes chaleurs, fragilisent et facilitent les casses des équipements, notamment dans les réseaux d'eau. « L'évaluation des coûts actuels et futurs de l'adaptation est encore trop souvent lacunaire (…), avec des difficultés méthodologiques, indique Sophie Cahen, directrice influence de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP). Une fois ces précautions dites, [le cabinet] Carbone 4 a évalué à 4,5 milliards d'euros d'investissement additionnels par an le coût de la résilience des infrastructures, dont plus de 3 milliards sur l'eau. » Ceci sans prendre en compte les conséquences d'une dégradation ou d'une rupture du service. Un enjeu fort réside dans la prise en compte des infrastructures dans les réflexions sur l'assurabilité des territoires.

Vers un observatoire de l'assurabilité

Nous constatons un changement d'approche fort des assureurs, qui ne garantissent plus les risques pour certains bâtiments dans les zones les plus à risques ” - Régis Banquet, Intercommunalités de France

Car certaines zones semblent d'ores et déjà confrontées à « une fuite » des assureurs. « Nous constatons un changement d'approche fort des assureurs, qui ne garantissent plus les risques pour certains bâtiments dans les zones les plus à risques, témoigne Régis Banquet, vice-président chargé de l'eau à Intercommunalités de France, maire d'Alzonne, dans l'Aude, et président de Carcassonne Agglo. Un phénomène encore mal délimité et qui n'est pas reconnu par certains assureurs. « Le consensus qui est en train de se nouer, c'est le fait de se dire : "Nous ne sommes pas d'accord, alors observons, créons un observatoire de l'assurabilité pour voir s'il y a la même offre d'assurance dans les Alpes-Maritimes post-tempête Alex ou dans une zone calme de Bretagne", souligne Nicolas Bauduceau. Cet observatoire, malgré la dissolution [de l'Assemblée nationale] et le fait que tout s'arrête, devrait être lancé très rapidement… On va voir s'il l'est effectivement. »

Outre un éclairage sur le phénomène « d'évasion » des assureurs, le système devra également revenir sur certaines de ses contradictions. « Alors que tout est fait pour végétaliser, pour amener de la fraîcheur en ville, les assureurs indiquent qu'ils ne souhaitent rien autour des bâtiments, car les arbres retiennent l'eau au niveau de leurs racines et peuvent provoquer le gonflement des argiles, regrette Régis Banquet. Il faudrait que tout le monde se mette autour de la table pour avoir une cohérence de traitement vis-à-vis du changement climatique (…) au-delà de l'aspect curatif, travailler sur le préventif et amener beaucoup plus vite et plus fort les collectivités vers une adaptation. »

Certains risques dans l'angle mort des assureurs

Des garde-fous devront également être mis en place pour éviter des phénomènes de maladaptation ou d'exclusion des plus fragiles. « L'assurance ne fait qu'appuyer l'adaptation, compenser des pertes résiduelles que nous ne pouvons pas éviter, mais ça reste une mesure d'adaptation qui comprend des risques (…) : elle peut exclure ou fragiliser les plus pauvres, notamment si les assureurs se désengagent des zones les plus à risques, fait remarquer Gonéri Le Cozannet, directeur risques et prévention au BRGM. L'assurance peut aussi favoriser ou perpétrer des pratiques maladaptatives (…). Par exemple en agriculture, nous avons malheureusement un arbitrage entre l'adaptation et l'assurance : avec des acteurs qui s'adaptent et vont vers des pratiques agroécologiques, mais qui ne s'assurent pas, et d'autres qui s'assurent, mais qui sont dans un système agricole qui n'est pas compatible avec la transition. »

Certains risques sont encore dans l'angle mort du système assurantiel, comme le ruissellement. Pour les acteurs, le Fonds Barnier devrait être élargi pour le prendre en compte. « Tout n'est pas parfait (…). Mais nous n'observons pas d'augmentation de la sinistralité liée aux inondations, les coûts des dommages n'augmentent pas et c'est sans doute le résultat de la politique publique de contrainte sur l'urbanisme, constate Nicolas Bauduceau. Parmi les carences, figurent les inondations par ruissellement ; elles ne sont pas cartographiées à l'échelle nationale (…). Des constructions sont en train de se faire dans des zones à risques, sans savoir qu'elles le sont. »

La question de la reconstruction se pose également. « Si je prends l'exemple de mon territoire [l'Aude], les inondations ont coûté des centaines de millions d'euros de dégâts, précise Régis Banquet. Le remboursement par les assureurs privés n'était pas suffisant pour reconstruire. »

Des pistes pour améliorer le système

Face à ces constats, depuis quelques années, des travaux se sont penchés sur une évolution du régime Cat-Nat : par exemple, en février 2019, la mission sénatoriale d'information de Nicole Bonnefoy, ou encore, en décembre 2023, le rapport dit Langreney coécrit par Thierry Langreney, président de l'association environnementale Les Ateliers du futur, Gonéri Le Cozannet, expert au BRGM, et Myriam Merad, directrice de recherche au CNRS, et plus récemment, en mai dernier, la mission de contrôle budgétaire de Christine Lavarde. Parmi les solutions portées figure un réajustement des supprimes pour le redressement des comptes du système Cat-Nat. Une proposition entendue par le Gouvernement, qui va la concrétiser au 1er janvier 2025 avec l'augmentation de 12 à 20 % du taux de la surprime Cat-Nat.

Ce qui va permettre de dégager des marges de manœuvre. Jusqu'à présent, un taux de 12 % permettait de récolter 270 millions d'euros par an, somme sur laquelle l'État a affecté 205 millions au Fonds Barnier. Avec la hausse prévue, cette somme devrait atteindre 450 millions d'euros. À voir toutefois le montant que l'État flèchera vers le fonds. « Nous allons avoir une dérive liée au changement climatique que nous estimons à 1 % par an, c'est-à-dire qu'il faudra ajouter 0,2 % par an au taux de surprime Cat-Nat », explique Gonéri Le Cozannet.

Autre piste : systématiser les clauses vertes en matière d'indemnisation. Ainsi, celle-ci pourrait être augmentée en cas de travaux de rénovation par exemple. Par ailleurs, pour contrer le phénomène d'évasion des assureurs, le rapport Langreney propose de les identifier et d'exposer publiquement ces pratiques. Autre levier d'action : la taxe sur la prime Cat-Nat. « La taxe sur la prime Cat-Nat pourrait être modulée en fonction des pratiques : plus les assureurs s'évadent des zones à risques, plus cette taxe va augmenter jusqu'à atteindre la totalité de ce qu'ils reçoivent sur la prime Cat-Nat », ajoute Gonéri Le Cozannet. Autre idée : une plateforme d'aide à la mise en œuvre de type MaPrimeRénov' par l'intermédiaire de laquelle des associations pourraient accompagner et fournir de l'information aux usagers après un sinistre sur le bâti.

« Si vous ne faites pas une transition fiscale qui encourage les bonnes pratiques, la conservation des talus et des haies, du bocage, la préservation des zones humides, du ralentissement de l'écoulement de l'eau dans nos territoires, vous passez à côté du sujet de la prévention, conclut Thierry Burlot, président du Cercle français de l'eau. Il faudra mettre en place des solidarités amont-aval, ville-campagne pour appréhender ces sujets (…). Laisser penser que la politique de l'eau va pouvoir payer ce qui nous arrive n'est pas possible. (…) 300 millions d'euros pour Gemapi, du même ordre de grandeur pour le Fonds Barnier… Nous ne sommes pas au bout de la facture : il va falloir faire preuve d'imagination. »

1. Visionner l'enregistrement de la conférence

Dorothée Laperche / actu-environnement

Annonce Publicitaire