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Les installations classées IED doivent être suspendues en cas de graves dangers
28/06/2024
L'aciérie Ilva, le plus grand complexe sidérurgique d'Europe installé à Tarente, dans les Pouilles, s'étend sur 1 500 hectares et emploie 11 000 salariés. © Massimo Todaro
La CJUE interprète strictement la directive sur les émissions industrielles à la suite de questions préjudicielles posées dans l'affaire de l'aciérie Ilva, en Italie. Une interprétation qui intéresse les 52 000 installations les plus polluantes de l'UE.
C'est une décision importante relative à l'interprétation de la directive sur les émissions industrielles, dite directive IED, que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendue ce mardi 25 juin. Celle-ci répond à trois questions préjudicielles posées par le tribunal de Milan dans le cadre d'un contentieux portant sur le plus grand complexe sidérurgique d'Europe, l'aciérie Ilva, située à Tarente (Italie) qui s'étend sur 1 500 hectares et emploie 11 000 salariés.
Au-delà de la résolution de ce contentieux, les interprétations de la Cour éclaire le cadre juridique applicable aux quelque 52 000 établissements qui relèvent de cette directive dans l'UE, dont 6 607 installations classées (ICPE) françaises. Un cadre qui se renforce donc sous le double effet de cette décision de justice et de la révision de la directive approuvée par le Conseil le 12 avril dernier.
« Catastrophe environnementale »
Au cœur d'un conflit entre intérêts économiques et environnementaux, d'une part, décisions judiciaires et gouvernementales, d'autre part, l'usine Ilva défraie la chronique depuis de nombreuses années. Exploitée depuis 1965, elle a été mise sous séquestre en juillet 2012 et a fait l'objet d'une enquête pour catastrophe environnementale. En 2011, une étude épidémiologique avait en effet établi un excès de mortalité par cancer évalué entre 10 et 15 % aux alentours de l'usine, dont un pic de 30 % de cancers des poumons.
Malgré la décision judiciaire de mise sous séquestre, l'usine a été autorisée en 2012, en vertu de règles dérogatoires spéciales, à poursuivre son activité pendant une durée de trois ans à condition de respecter un plan de mesures sanitaires et environnementales. Ce délai n'a en fait jamais été respecté et l'établissement a poursuivi son exploitation malgré les graves dangers identifiés pour l'environnement et la santé humaine. Des évaluations des dommages sanitaires effectuées en 2017, 2018 et 2021 avaient établi un lien de causalité entre l'altération de l'état de santé des habitants et les émissions de l'aciérie, en particulier de particules fines PM10 et de dioxyde de soufre (SO2), rappelle la CJUE dans un communiqué.
“ Seules les substances polluantes considérées comme ayant un effet négligeable sur la santé humaine et sur l'environnement peuvent ne pas être soumises à des valeurs limites d'émission dans l'autorisation d'exploitation ” - CJUE
Environ 300 000 habitants touchés par la pollution ont saisi le tribunal de Milan dans le cadre d'une action collective. Ils demandent de faire stopper l'exploitation. Ils ont fait valoir que ses émissions industrielles nuisent à leur santé et que l'établissement n'est pas conforme aux prescriptions de la directive IED. La juridiction italienne a alors saisi la CJUE afin de savoir si une évaluation des incidences sur la santé était obligatoire, quelles émissions l'autorité compétente devait prendre en compte lors de l'instruction du dossier d'autorisation, et quel délai pouvait être accordé à un exploitant pour se conformer aux prescriptions fixées dans l'autorisation délivrée.
Prendre aussi en compte les incidences sur la santé
Sur le premier point, la Cour affirme le lien entre protection de l'environnement et protection de la santé humaine « qui constituent des objectifs clés du droit de l'Union, garantis dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ». La directive contribue ainsi à « la sauvegarde du droit de tout un chacun de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être », affirme la décision.
Pour la Cour, la notion de pollution au sens de la directive inclut donc aussi bien les atteintes à l'environnement qu'à la santé humaine. L'évaluation préalable de l'impact de l'activité d'une installation, qui fait partie intégrante des procédures de délivrance et de réexamen de l'autorisation d'exploitation, doit donc porter sur ces deux composantes. L'exploitant doit aussi évaluer ces incidences tout au long de la durée d'exploitation de son installation. « La périodicité du réexamen de l'autorisation en cause doit être adaptée à l'étendue et à la nature de l'installation », précise la décision. Et d'ajouter : « Il convient de prendre en considération, notamment, les spécificités locales de l'endroit où se développe l'activité industrielle. Tel est, en particulier, le cas si cette dernière se situe à proximité d'habitations. » Dans un arrêt du 24 janvier 2019 portant sur l'aciérie Ilva, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) avait d'ailleurs relevé que l'usine avait des incidences néfastes importantes sur l'environnement et la santé des riverains, rappelle la CJUE.
Sur le deuxième point, la Cour relève que l'exploitant d'une installation doit fournir, dans sa demande d'autorisation initiale, des informations sur la nature, la quantité et l'effet néfaste potentiel des émissions susceptibles d'être produites par son installation. « Seules les substances polluantes considérées comme ayant un effet négligeable sur la santé humaine et sur l'environnement peuvent être exclues de la catégorie des substances qui doivent être assorties de valeurs limites d'émission dans l'autorisation d'exploitation », indique la décision. La procédure de réexamen, quant à elle, ne peut pas se borner à fixer des valeurs limites pour les substances polluantes dont l'émission était prévisible. Il faut également tenir compte des émissions effectivement générées par l'installation concernée au cours de son exploitation et portant sur d'autres substances polluantes.
Enfin, en cas de non-respect des conditions d'autorisation d'exploitation de l'installation, l'exploitant « doit prendre immédiatement les mesures nécessaires pour rétablir dans les plus brefs délais possibles la conformité de son installation [à ces] conditions », juge la Cour. En cas de dangers graves et importants pour l'intégrité de l'environnement et de la santé humaine, le délai pour appliquer les mesures de protection prévues par l'autorisation d'exploitation ne peut pas être prolongé de manière répétée, et l'exploitation de l'installation doit être suspendue.
Vers une suspension de l'établissement ?
En l'espèce, il revient donc au tribunal de Milan de régler le contentieux en prenant en compte les réponses de la Cour à ses questions préjudicielles. La juridiction italienne doit « apprécier si les règles spéciales adoptées à l'égard de l'usine Ilva ont eu pour effet de différer de manière excessive (…) la mise en œuvre des mesures nécessaires pour se conformer à l'autorisation environnementale intégrée de l'année 2011, compte tenu du degré de gravité des atteintes à l'environnement et à la santé humaine qui ont été mises en évidence ».
Cela devrait vraisemblablement le conduire à suspendre l'autorisation de l'aciérie, puisqu'il avait déjà relevé que l'évaluation préalable des incidences de l'établissement sur la santé humaine n'avait pas été réalisée, et que cette évaluation doit être réalisée tout au long de la durée d'exploitation. En outre, les règles spéciales dont bénéficie l'aciérie lui ont permis de recevoir une autorisation environnementale qui ne prend pas en compte certains polluants émis et leurs effets nocifs sur la population environnante.
Ces exigences devraient renforcer également la pression sur les établissements IED qui prennent des libertés avec la réglementation applicable dans toute l'UE. En particulier, en France, ceux qui ont été identifiés dans le cadre du dispositif de vigilance renforcée qui vise des sites faisant l'objet de non-conformités ou d'incidents récurrents.
Laurent Radisson / actu-environnement