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Limites planétaires : la terra incognita des entreprises
15/11/2024
L'ensemble des sociétés commerciales hexagonales excèdent de près de 300 % leurs quotas théoriques moyens pour respecter les limites planétaires. © Antony Weerut
Mêmes pour les plus engagées dans la RSE, les progrès des entreprises en matière de respect du capital naturel restent très en deçà des efforts nécessaires pour éviter de graves perturbations du système Terre, selon une étude de l'agence Lucie.
Des entreprises françaises encore très loin de respecter les limites planétaires : tel est le bilan de l'étude de l'agence de labellisation en RSE Lucie (1) , réalisée avec le cabinet GoodWill Management et l'écosystème Kerlotec, publié ce jeudi 7 novembre. Selon ses experts, l'ensemble des sociétés commerciales hexagonales excèdent leurs quotas théoriques moyens de près de 300 % : 377 % pour les émissions de gaz à effet de serre, 181 % pour l'artificialisation des sols et la perte de biodiversité, 282 % pour la consommation d'eau… Comme si elles commençaient déjà au mois de mai à entamer leur contingent de l'année suivante. Mais en réalité, « comme la situation n'est pas nouvelle, elles ont déjà consommé leurs quotas de plusieurs décennies à venir », soulignent les auteurs du rapport.
“ Pour rentrer dans les limites planétaires, les entreprises devraient en moyenne diviser leurs impacts par trois ” - Alan Fustec, agence Lucie
Pour rappel, les limites planétaires sont les seuils au-delà desquels les équilibres naturels terrestres pourraient être déstabilisés et les conditions de vie devenir défavorables à l'humanité. On en compte neuf : la concentration de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, l'augmentation de la présence d'aérosols, l'appauvrissement de la couche d'ozone, l'introduction d'entités nouvelles dans la biosphère, la perturbation des cycles de l'azote et du phosphore, le changement d'usage des sols, le cycle de l'eau douce, l'acidification des océans, la perte de biodiversité. Aujourd'hui, le monde en a déjà franchi six et la septième est en passe de l'être également. « Cela s'est fait très vite, nous sommes passés de trois à sept en quinze ans », s'inquiète Alan Fustec, fondateur de l'agence Lucie.
Des calculs en série
Afin d'évaluer l'impact des activités de l'ensemble des sociétés commerciales hexagonales, quelle que soit leur taille, sur les écosystèmes, ses experts ont traduit ces plafonds mondiaux en critères applicables aux organisations : émissions de GES, de pollution atmosphérique, de déchets solides, consommation de matières fossiles et minérales, d'eau, pollution de l'eau, artificialisation des sols, destruction de la biodiversité. En s'appuyant sur les seuils quantitatifs définis en 2009 par les chercheurs du Stockholm Resilience Centre (université de Stockholm), ils ont déterminé des quotas pour chaque pays au prorata de sa population, puis pour chaque entreprise, selon son secteur d'activité et au prorata de son PIB.
Nos économies doivent se situer au-dessus d'un plancher social et en dessous d'un plafond environnemental pour rester soutenables, Pour la chercheuse britannique Kate Rayworth, autrice de la théorie du donuts. © Agence Lucie et Kate Rayworth
Pour chaque critère, ils ont mesuré l'écart entre les quotas alloués aux entreprises et les effets de leurs activités, directs et indirects. D'abord en unités physiques (tonnes, hectares, mètres cubes, etc.), puis sous une forme financiarisée : en coût de destruction de PIB actuelle et future provoquée par cette surconsommation du capital naturel par rapport au potentiel de la nature. « Pour rentrer dans les limites planétaires, les entreprises devraient en moyenne diviser leurs impacts par trois et non pas se contenter d'un effort de quelques pourcents ou de faire mieux que l'année précédente, indique Alan Fustec. Mais c'est difficile. »
Un effort insuffisant
Les entreprises labellisées font-elles mieux que les autres ? Pas suffisamment, constatent les rapporteurs de l'agence. Les quelque 1 400 entreprises de sa communauté n'auraient réduit leur empreinte que de 20 à 30 % quand il faudrait arriver à 66 %. Sur plus de 50 entreprises « fortement engagées » testées, aucune ne respecte ses quotas de limites planétaires. « À ce jour, nous ne connaissons pas d'entreprise en France qui y parvienne, commente Alan Fustec. Même notre écosystème d'entreprises modèles de Kerlotec, en Bretagne, entièrement consacré à l'économie soutenable, n'y arrive pas encore. Pourtant, nous y mettons le paquet ! »
L'écart à combler reste d'autant plus vertigineux que l'agence estime à 0,5 % seulement la proportion des entreprises susceptibles d'être créditées d'un engagement réellement crédible dans le domaine de la RSE (15 % des entreprises de 10 salariés et plus) et à 0,3 % la part de celles qui manifestent un engagement fort (8 % pour 10 salariés et plus). Or, la France figure dans le top quatre des « premiers de la classe » dans ce domaine, à l'échelle mondiale, aux côtés de la Finlande et de la Suède. « Cela donne une idée de la marche à franchir », observe Alan Fustec. Une marche gigantesque car, aussi limité soit-il, ce résultat est malgré tout huit fois plus important qu'il y a six ans…
Un label qui pose des limites
Afin de faire naître des vocations, l'agence Lucie met la dernière touche à la nouvelle version de son label le plus exigeant intégrant des indicateurs de soutenabilité, Lucie Positive, en gestation depuis deux ans et demi. Objectif : offrir aux entreprises, grâce à une sélection d'indicateurs, la possibilité d'inscrire dans leur bilan carbone une trajectoire leur permettant d'atteindre un seuil respectueux des limites planétaires à l'horizon 2030, 2040 ou 2050. Cette nouvelle version ne porte pas encore de nom officiel, la notion de positive étant désormais trop galvaudée selon les dirigeants de l'agence, mais une promotion de cinq sociétés s'est lancée dans l'aventure de cette certification.
Elle devrait notamment s'appuyer sur la structure d'un nouveau label Lucie ESG qui intègre les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) de la directive La CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) entrée en vigueur le 1er janvier 2024. « Si elles sont lourdes à gérer, elles sont bien conçues et mettent bien en avant les thématiques environnementales, la biodiversité, les ressources aquatiques ou l'économie circulaire », remarque Philippe Vachet, directeur de l'agence. N'en déplaise aux tenants d'un moratoire sur l'application de cette directive, les entreprises s'en sont en outre très bien saisies...
1. Lire l'étude de l'agence Lucie
Nadia Gorbatko / actu-environnement