Le salon des Solutions
environnementales & énergétique du
Nord
Les Actualités
Crise énergétique, une opportunité de mettre en œuvre une politique énergétique à la hauteur des enjeux climatiques ?
19/09/2022
Une tribune signée Marc Maindrault, responsable ENR chez Best énergies.
Avec l’explosion des prix des énergies fossiles et de l’électricité constatée depuis la fin de l’année 2021 et la multiplication des aléas climatiques qui touchent le sol français depuis plusieurs années (incendies, stress hydrique, canicules, grêles, inondations…), nous assistons à une prise de conscience écologique d’une partie de l’opinion publique, des grands industriels et des politiques.
Reste à savoir si l’essai sera transformé par l’Etat sous la forme d’un grand programme de transition écologique et énergétique, comme les rapports du GIEC, de l’IEA ou de l’ONU nous y invitent unanimement…
Le virage à 90° des grands acteurs de l’énergie
L’incertitude sur les capacités des réseaux gaz et électrique français à assurer les besoins de chaleur dans le résidentiel, le tertiaire et l’industrie l’hiver prochain a récemment poussé les PDG des grands groupes français de l’énergie, Total, EDF et Engie à prôner la sobriété dans nos usages de l’énergie.
Ce positionnement vient renforcer l’évolution des stratégies de développement de ces grands groupes en faveur de la transition énergétique. On avait en effet pu constater qu’ils effectuaient depuis plus d’une dizaine d’années des rachats d’entreprises ou des déploiements de filiales spécialisées dans l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables (EnR).
Il paraît loin le temps où EDF assumait de tirer un câble électrique de 10 km pour éclairer symboliquement la croix du Nivolet, qui surplombe la Ville de Chambéry, pour empêcher la réalisation d’un projet photovoltaïque risquant de lancer une filière concurrente à celle du nucléaire.
Ce temps où GDF (devenu Engie) s’opposait systématiquement aux projets d’injection de biométhane dans le réseau de gaz français… Depuis la fin des années 2000 en effet, Engie affiche ouvertement son soutien au développement des EnR et notamment du « gaz vert »…
Même Total, mis en en difficulté notamment pour avoir fait preuve de climato-scepticisme entre les années 1 970 et 2 000, arbore depuis 2021 le nom de « TotalEnergies » et porte des projets ambitieux de déploiement des EnR électriques, de production d’hydrogène vert, d’usines de batteries…
Un revirement palpable dans la société civile et la classe politique
La société civile change également, avec en fer de lance des jeunes diplômés (à l’instar de ceux d’Agro-ParisTech ou de Polytechnique) qui revendiquent leur volonté de construire des projets professionnels dont l’objet est compatible avec la conservation d’un monde vivable et vivant. Cette tendance est par ailleurs confirmée par certains grands industriels et énergéticiens français, qui peinent à recruter dans les métiers traditionnels des secteurs de la chimie lourde, de l’agro-industrie, des énergies fossiles…
Le pouvoir politique se montre également dynamique sur le sujet. Le Président-Candidat Emmanuel Macron n’hésitait pas, dans l’entre-deux tours d’avril 2022, à affirmer que « le prochain quinquennat sera écologique ou ne sera pas ». Comme promis dans ce même discours, il a confié après sa réélection à sa cheffe de gouvernement « la planification écologique ». Quelques mois après le démarrage de la crise en Ukraine, Emmanuel Macron et Elisabeth Borne invitent solennellement les Français à participer à des efforts partagés de sobriété énergétique. Le Président a même annoncé mi-juillet que son gouvernement préparait « un plan pour se mettre en situation de consommer moins ».
Quelques ombres au tableau subsistent
Malgré ces constats positifs dans la perspective d’atteindre la neutralité carbone en 2050, le logiciel de fonctionnement de notre société et de nos grandes entreprises est régi par un raisonnement économique qui n’est pas forcément en accord avec les efforts à produire pour lutter contre le réchauffement climatique.
En partie poussé par ses actionnaires, Total a par exemple récemment pris la décision d’aller au bout de son projet EACOP (mégaprojet d’extraction et de transport de pétrole à travers l’Ouganda et la Tanzanie, à l’aide de pipelines chauffés…), en opposition avec les conclusions du sixième rapport du GIEC et les déclarations du président de l’AIE, qui indiquent clairement que tout nouveau projet d’extraction de pétrole ou de gaz est incompatible avec la limitation à 1.5 degrés de l’élévation de la température moyenne du globe en 2 100 par rapport aux débuts de l’ère préindustrielle…
Dans le même temps, et derrière des discours résolument portés sur le développement des EnR, le groupe Engie a conservé ses activités historiques d’extraction et de vente de gaz fossile. Au-delà de l’incompatibilité entre ces activités et les conclusions scientifiques évoquées ci-avant, on constate l’existence de luttes intestines entre les filiales du groupe qui développent des réseaux de chaleur renouvelable et de récupération vertueux, et celles qui vendent des contrats de gaz fossile dans les mêmes périmètres…
Notons d’ailleurs que la communication de l’énergéticien sur les perspectives d’avoir un réseau gaz « 100% vert » en 2050 pose question, dans la mesure Engie continue à vendre massivement du gaz fossile, le biométhane représentant moins de 2 % du gaz transitant dans le réseau de distribution français…
Malgré les discours incisifs du Président et de la Première ministre, on peut également regretter qu’à ce jour l’ADEME, bras armé de l’État pour la transition énergétique et écologique, soit dépourvue de gouvernance (avec un président et un Directeur général délégué nommés en intérim) et par conséquent de réels pouvoirs dans cette période clé, alors que leurs prédécesseurs avaient annoncé leurs départs depuis près d’un an.
En lien avec les risques de pénurie de gaz russe l’hiver prochain et plus généralement d’énergies fossiles dans les prochaines années, le gouvernement français a conclu en juillet plusieurs contrats de fourniture de pétrole avec différents pays (Azerbaïdjan, Emirats Arabes Unis, Arabie Saoudite…) et prévoit d’augmenter ses importations de gaz naturel (notamment de GNL issu des gaz de schiste nord-américains, la loi « pouvoir d’achat » votée par les députés fin juillet prévoyant la construction d’un nouveau terminal méthanier au Havre).
Il apparaît cependant difficile de critiquer le pragmatisme de telles mesures d’approvisionnement, lorsqu’on connaît la dépendance aux énergies fossiles de notre société et de notre économie. On peut néanmoins s’inquiéter qu’un plan concret d’investissement ne soit pas proposé en parallèle pour limiter rapidement les consommations d’énergies fossiles dans le transport et l’agriculture, mais également pour diminuer et substituer les besoins de chaleur dans le logement, le tertiaire et l’industrie. Une « Loi d’urgence écologique » permettrait par ailleurs de nous prémunir des conséquences directes du réchauffement climatique mais également de l’augmentation des contraintes sur les approvisionnements en énergies fossiles.
Des perspectives d’augmentation des usages thermiques de l’électricité qui posent question
La cheffe du gouvernement a proposé comme l’un des piliers de la planification écologique du prochain quinquennat la nationalisation d’EDF, afin de lancer un programme de construction de six nouveaux EPR (et au passage sauver une entreprise surendettée, dont le cours de l’action s’est effondré ces dernières années). Emmanuel Macron avait d’ailleurs annoncé en février 2022 que le programme pourrait être porté à 14 EPR à horizon 2050 en cas de succès concernant la construction des 6 premiers EPR.
Si les faibles niveaux d’émissions de CO2 d la production d’électricité nucléaire ne posent aucune question, de même que la nécessité d’électrifier certains usages, notamment dans l’industrie et les transports, on peut raisonnablement s’interroger sur cette stratégie lorsqu’on fait le bilan des difficultés rencontrées par la filière sur le parc existant (coût et délais de Flamanville, problématique des rejets des eaux de refroidissement au-dessus de 30°C dans les fleuves, capacités de stockage de déchets de la Hague quasi-atteintes, projet CIGEO de stockage profond dans la Meuse qui prend du retard, fonctionnement partiel du parc pour problèmes génériques de corrosion, vieillissement du parc…) et les incertitudes sur la maîtrise industrielle du déploiement des EPR en France au vu des retards et défauts rencontrés sur les références en construction ou en fonctionnement, en Europe et dans le monde (France, Finlande, Royaume-Uni, Chine…).
Le Ministère de la transition énergétique soutient en parallèle le déploiement des Pompes à chaleur (PAC) dans l’habitat et le tertiaire via les dispositifs Maprim’Rénov, les certificats d’économie d’énergie mais également en favorisant le chauffage électrique dans le logement neuf (à travers la nouvelle réglementation thermique (- RE 2020), puisque le poids des énergies renouvelables va fortement augmenter dans le mix électrique Français lors des 50 prochaines années.
Cette stratégie de déploiement conjoint du parc nucléaire et du chauffage électrique a de fortes similitudes avec ce que la France a connu dans les années 70-80. L’opération avait été un succès, comme en témoigne cette particularité française qu’est le « chauffage électrique », avec plus d’un tiers des logements équipés en France.
Le diable se nichant dans les détails, il ne faut pas croire que le chauffage électrique est décarboné au motif que le mix électrique Français l’est. Le chauffage électrique étant fortement sollicité en période hivernale, celui-ci engendre des pics d’appels de puissance sur le réseau qui génèrent en conséquence un fonctionnement soutenu des centrales à gaz fossiles (voire à charbon) en relais du nucléaire et de l’hydroélectricité…
Ce constat est amplifié depuis 2020 à cause des opérations de maintenance curatives à répétition et le décalage de certaines opérations de maintenance préventive. Ainsi, le développement massif des PAC (notamment air-air et air-eau) en substitution des moyens de chauffage fioul ou gaz devrait malheureusement accroître les pics d’appels de puissance électrique hivernaux et carbonés dans les prochaines années, d’autant plus que dans certaines régions d’altitude, ou au nord de la Loire, le coefficient de performance de ces équipements en hiver est loin de correspondre à celui annoncé par les constructeurs en conditions de tests en usine…
D’autres solutions pour diminuer voire substituer nos recours au gaz et au fioul pour la production de chaleur dans le logement, le tertiaire et l’industrie existent pourtant.
La chaleur renouvelable et de récupération, un pilier de la transition énergétique à développer
Bien que représentant environ 45 % de nos besoins finaux d’énergie, la chaleur (logement, tertiaire, industrie…) est peu abordée dans les débats sur la transition énergétique, accaparés par les transports et l’électricité, qui ne représentent pourtant chacun qu’environ 30 % des besoins finaux d’énergie.
Comme pour les transports, la chaleur est très dépendante des énergies fossiles (à près de 80 %). Dans le contexte actuel de tension sur les approvisionnements en gaz, il est utile de rappeler que le gaz consommé en France est destiné pour moitié au chauffage du parc résidentiel et tertiaire.
Au-delà de la rénovation énergétique du bâti dans le logement et le tertiaire, largement connue du grand public et désignée comme l’un des principaux objectifs des pouvoirs publics depuis plusieurs quinquennats, la substitution des énergies fossiles (gaz, fioul…) par de la chaleur renouvelable ou de récupération représente une seconde voie pour décarboner la « chaleur » au sens large. Bien que plus efficace en termes d’investissement à la tonne de CO2 évitée, le recours à la chaleur renouvelable ou de récupération est absente des discours politiques et des débats concernant la transition énergétique.
Les moyens financiers publics dédiés au développement de la chaleur renouvelable et de récupération demeurent d’ailleurs infimes (2,6 milliards d’euros sur 2009-2020) par rapport à ceux déployés pour l’électricité renouvelable (entre 4 et 5 milliards par an sur 2019-2020) , ou les 46 milliards d’euros annoncés pour le déploiement des 6 EPR à horizon 2050.
Ce faible soutien au développement des EnR thermiques et de récupération explique en partie sa lente progression depuis 10 ans, alors même qu’il faudrait doubler dès maintenant son développement annuel pour atteindre les objectifs 2030 fixés par la Loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte d’août 2015.
Notons toutefois que l’un des obstacles principaux rencontrés dans le développement de la chaleur renouvelable et de récupération est le faible prix des énergies fossiles, surtout du gaz naturel, tombés très bas sur la période 2013-2020.
Même si la bascule penche désormais pour un déploiement plus important de la chaleur renouvelable et de récupération sur le territoire français, avec l’augmentation simultanée des prix des énergies fossiles et des aides publiques (passage du Fonds chaleur à 370 puis 500 M€ respectivement en 2022 et 2023), cela ne suffira pas sur la durée pour réussir le pari de décarboner massivement et dans un temps relativement court les besoins de chaleur… Le baril de pétrole a par exemple déjà baissé de 40 % entre mars et août 2022. Ainsi des mesures incitatives complémentaires doivent être mises en place pour lever les principaux obstacles au développement des énergies renouvelables et de récupération (EnR&R). Parmi elles, deux sont à privilégier :
- Le retour d’une contribution climat (ex-taxe carbone) qui soit juste et équitable(en épargnant notamment les ménages plus pauvres), dont les recettes seraient affectées de manière transparente à la transition énergétique et à la baisse des charges sociales.
- Une aide aux propriétaires d’appartements et/ou gestionnaires de résidences dont les logements sont équipés de modes de chauffage individuels carbonés (chaudières gaz ou convecteurs électriques => environ 7,8 millions de logements concernés) pour passer en chauffage collectif dans le cadre d’un raccordement à un réseau EnR&R voire la mise en place d’une installation EnR dédiée.
De nombreux voyants au vert pour enclencher une réelle transition énergétique
Entre la prise de conscience généralisée de l’urgence climatique, l’envolée des prix des énergies fossiles et de l’électricité, et désormais les perspectives de pénurie de gaz l’hiver prochain, nous sommes à un moment charnière de la transition énergétique en France et plus généralement en Europe.
La situation énergétique actuelle n’est pas sans rappeler le choc pétrolier de 1979. A l’époque, la situation avait déjà suscité un engouement pour les alternatives EnR. Certaines technologies, notamment dans le bois énergie et le biogaz, n’étaient pas prêtes technologiquement, et ont été tenues à bout de bras quelques années avant d’être arrêtées.
Les écueils d’alors devraient cette fois être évités, dans la mesure où les savoir-faire en termes de rénovation thermique du bâtiment, la maîtrise des technologies dans l’efficacité énergétique industrielle, dans la production d’électricité renouvelable (éolien, solaire photovoltaïque…) et de chaleur renouvelable et de récupération (bois énergie, géothermie, solaire thermique, biogaz…) sont désormais tout autre.
La convergence entre les recommandations des travaux du GIEC, de l’Agence de la transition écologique (Ademe), du Haut Conseil pour le Climat, mais également des associations Negawatt ou encore du Shift Project, sur la nécessité de mener un grand plan de transition écologique et énergétique, ne laisse plus d’autre solution à l’exécutif que d’agir, et de relever le défi de la transition énergétique et écologique.
Conclusion
Condamné par le Tribunal administratif de Paris en 2021 pour son manque d’action pour préparer le territoire aux impacts actuels et futurs du changement climatique et mis à l’index par la Commission européenne pour ne pas avoir respecté son engagement de 23 % d’ENR en 2020, l’exécutif saura-t-il bénéficier du contexte favorable actuel pour se rattraper et mener une politique ambitieuse de transition énergétique et écologique, devenant ainsi un grand leader européen en matière de lutte et d’adaptation face au changement climatique ?