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Un plan d'action européen pour l'automobile plein de promesses, mais avec peu de mesures concrètes
11/03/2025

Le plan européen pour l'automobile balaie l'ensemble des enjeux de la filière pour répondre aux difficultés des constructeurs du Vieux Continent. © 24K-Production
Garantir au secteur automobile européen un avenir durable axé notamment sur l'innovation : telle est la promesse du plan d'action présenté, mercredi 5 mars, par la Commission. Une feuille de route très riche, mais finalement peu consistante.
En lançant son dialogue stratégique sur l'avenir de l'automobile, jeudi 30 janvier, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s'était engagée à présenter un plan d'action (1) mercredi 5 mars. Elle a tenu parole. Elle a aussi rempli sa promesse de balayer l'ensemble des enjeux de la filière, confrontée à un ralentissement critique de ses ventes sur le Vieux Continent et à une concurrence féroce.
Mais pour se concilier les bonnes grâces des constructeurs, elle a d'abord commencé par accéder à leur demande d'assouplir les règles en matière d'objectifs de réduction de CO2. Demande d'ailleurs soutenue de manière pressante par les ministres français de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, de l'Industrie, Marc Ferracci, et des Affaires européennes, Benjamin Haddad. Dès ce mois de mars, l'exécutif proposera donc une modification « ciblée » du règlement sur ces normes pour les voitures et les camionnettes, permettant aux industriels de calculer leurs performances sur une période de trois ans (2025-2027) au lieu d'un seul et d'éviter une amende à ceux qui n'étaient pas encore prêts cette année, comme c'était initialement prévu. Ceci « tout en maintenant l'ambition globale par rapport aux objectifs de 2025 », précise-t-il, en appelant les colégislateurs à parvenir sans délais à un accord sur cet amendement, afin de ne pas laisser le secteur dans l'incertitude.
Si l'Association des constructeurs européens (ACEA) salue cette flexibilité, « premier pas bienvenu vers une approche plus pragmatique de la décarbonation dictée par les réalités du marché et géopolitiques », la fédération Transport & Environment (T&E) ne partage pas cet avis. Le réseau d'ONG regrette, au contraire, une décision qui « sape la plus grande incitation des constructeurs automobiles européens à rattraper leur retard dans la course à l'électrification » et pourrait conduire ces derniers à vendre jusqu'à 880 000 voitures électriques de moins entre 2025 et 2027. « Cela ne fera que donner à la Chine une avance encore plus grande sur les voitures électriques », estime Julia Poliscanova, directrice principale des véhicules et de l'électromobilité de T&E.
Un approvisionnement en matières premières
Mais pour assurer l'avenir et la performance de l'ensemble de la filière, la Commission aligne surtout une large série de mesures, à 360 degrés ou presque, appuyées sur son Pacte pour une industrie propre (Clean industrial deal) et sa Boussole pour la compétitivité (Competitiveness Compass). Afin de garantir aux batteries un approvisionnement sûr et meilleur marché en matières premières, sa feuille de route prévoit ainsi la création, en 2025, d'une plateforme d'agrégation de l'offre et de la demande et d'une entité spéciale chargée de mutualiser les engagements et les investissements. Ce mois de mars 2025, dans le cadre de la loi sur les matières premières critiques (CRMA), l'Union européenne publiera également une liste de projets stratégiques dans le domaine du raffinage qui bénéficieront de procédures d'autorisation simplifiées et d'un accès plus large au financement.
“ Cela ne fera que donner à la Chine une avance encore plus grande sur les voitures électriques ” - Julia Poliscanova, Transport & Environment
La coopération dans ce domaine devrait se renforcer. La Commission travaille par exemple avec des partenaires internationaux pour soutenir des investissements conjoints, avec le Canada notamment, à hauteur de 10 milliards d'euros. Ses services ont par ailleurs mis à jour la liste des déchets, en particulier des batteries déchiquetées, en veillant à ce que ces « black mass » restent plus longtemps sur le territoire de l'UE en raison de leur caractère dangereux et alimentent l'économie circulaire.
Les batteries favorisées
Les batteries représentant 30 à 40 % du prix du véhicule, « il est essentiel que l'Europe parvienne à une production européenne de cellules compétitives », estime la Commission. Leur fabrication bénéficie par conséquent, elle aussi, d'une attention toute particulière, traduite par le soutien accordé à la filière, via le Fonds pour l'innovation et le partenariat Horizon Europe BATT4UE gratifié d'un budget de 350 millions d'euros. En complément, le plan d'action envisage un ensemble plus complet de mesures « Battery Booster », comme un allègement de l'encadrement des aides d'État aux investisseurs privés, prochainement à l'étude, ou l'ouverture à des aides apportées par des acteurs non européens moyennant un partage des compétences et des expertises.
Par ailleurs, toute aide publique devrait désormais être conditionnée à des critères de résilience et de durabilité, dans le cadre de la future loi sur l'accélération de la décarbonation industrielle. Des mesures seront prises pour améliorer l'état et la réparabilité des batteries, d'autres pour compléter la loi sur les données et faciliter l'accès à ces informations. « Les défis sont grands pour maîtriser un processus industriel à grande échelle qui n'existait pas sur notre sol il y a moins de cinq ans, commente l'eurodéputé Renew Pascal Canfin sur Linkedin. C'est essentiel de soutenir ces premières usines dans leur montée en puissance, tout en continuant à investir dans de nouveaux projets pour augmenter nos capacités. Le Battery Booster proposé par la Commission européenne est un pas dans la bonne direction. »
T&E salue également cet effort, mais regrette son peu d'envergure et son caractère tardif. « Au moins 100 GWh de capacité de batteries ont été supprimés l'année dernière, alors que les producteurs européens ont du mal à rivaliser avec la concurrence mondiale », souligne-t-elle. Si l'UE veut vraiment que cette technologie propre soit produite en Europe, « un soutien financier axé sur la mise à l'échelle et les exigences de contenu local est nécessaire dès maintenant », précise Julia Poliscanova.
Soutien à la demande
Parallèlement, la Commission s'emploie à trouver des moyens de stimuler la demande de véhicules européens à émissions nulles, en s'appuyant toutefois essentiellement sur la bonne volonté des États membres et la mise en avant des bonnes pratiques : sur la décarbonation des flottes d'entreprise, qui fait l'objet d'une recommandation (2) spécifique, ou sur les incitations fiscales par exemple. Ursula von der Leyen compte aussi encourager l'adoption de systèmes de leasing social pour les véhicules neufs à zéro émission dans le cadre de sa prochaine recommandation sur la précarité liée aux transports, prévue pour le premier trimestre 2025. Cette mesure pourrait s'appuyer sur le Fonds social pour le climat.
La Commission réexaminera également la directive sur l'étiquetage des voitures sur la base d'une évaluation qui sera publiée avant l'été, afin d'offrir aux consommateurs des informations plus précises et plus complètes sur l'impact environnemental de leur choix de véhicule. Elle aidera par ailleurs les États membres à accélérer la mise en œuvre du règlement sur les infrastructures pour carburants alternatifs (Afir) et de la directive sur la performance énergétique des bâtiments pour les points de recharge privés. Elle travaillera avec les États membres sur l'accélération du déploiement de plateformes de recharge des véhicules lourds le long des principaux corridors logistiques du RTE-T en se concentrant sur la rationalisation des permis et sur l'optimisation du financement. Elle flèchera en outre 570 millions d'euros supplémentaires sur ces infrastructures critiques, au titre du Mécanisme pour les infrastructures de carburants alternatifs. « Au cours des deux dernières années, la capacité de recharge a augmenté plus de 30 % plus vite que le nombre de véhicules, note la Commission. Cependant, le déploiement des infrastructures de recharge n'est pas également développé dans les États membres et leurs régions. »
Une concurrence équitable
Afin de rendre l'industrie automobile de l'UE plus résiliente face à une concurrence étrangère féroce, la Commission promet de garantir des conditions de concurrence équitables, via des mesures antisubventions, par exemple, sans fermer la porte au marché pour les investissements étrangers. Elle examinera avec les États membres et l'industrie « comment articuler au mieux les conditions des investissements étrangers entrants dans le secteur automobile », indique-t-elle. Il pourrait s'agir, par exemple, d'exigences en matière de coentreprise, de direction, de propriété intellectuelle ou d'engagements de fourniture d'intrants critiques.
Des programmes existants à optimiser
Dans son plan d'action, la Commission a souhaité mettre l'accent sur des « conditions-cadres adéquates pour la transition de la chaîne de valeur » plus que sur les financements. Mais il devrait permettre, selon ses promoteurs, d'optimiser aussi l'utilisation des programmes de financement existants. Les systèmes de crédit-bail social ainsi que le déploiement d'infrastructures, par exemple, peuvent être financés dans le cadre du Fonds social pour le climat, du Fonds pour la résilience et la relance et des instruments de la politique de cohésion. Les infrastructures de recharge le long des principaux corridors de transport européens le seront par le biais du Mécanisme pour les infrastructures de carburants alternatifs (Afif) existant.
Le volet « compétences » n'est pas oublié. Les besoins et les manques en la matière seront étudiés par l'Observatoire européen de la transition équitable. Le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation en faveur des travailleurs licenciés (FEM) sera mobilisé pour aider les employés menacés de perte d'emploi et le Fonds social européen plus (FSE+) renforcé pour favoriser les reconversions.
Pleins phares sur les véhicules autonomes
Enfin, la Commission n'imagine pas la consolidation du secteur automobile sans développer l'innovation et la transition « vers des véhicules plus intelligents (alimentés par l'IA), plus propres et plus connectés ». Dans ce but, elle introduira en 2025 des mesures sur l'accès aux données, aux fonctions et aux ressources des véhicules, permettant un développement plus rapide des services tels que la recharge intelligente, le diagnostic à distance, l'autopartage ou la gestion de flotte. Le renforcement des capacités industrielles pour les logiciels et matériels informatiques, nécessaire, passera par la coopération entre les acteurs.
Il en sera de même pour la conduite autonome : une nouvelle piste de développement du secteur sur laquelle l'exécutif s'attarde particulièrement. Susceptible de générer 400 milliards d'euros d'ici à 2035, elle accuse un net retard en Europe, en termes de technologies clés, comparée à ses concurrents américains et asiatiques. Les constructeurs sont donc invités à se rassembler au sein d'une « alliance européenne » consacrée aux véhicules connectés et autonomes, afin de développer grâce à leur masse critique les logiciels en code source ouvert et les matériels nécessaires, puis l'architecture de ces véhicules de nouvelle génération.
La Commission soutiendra aussi les travaux techniques des États membres pour identifier un éventuel projet important d'intérêt européen commun (Piiec) pour ces véhicules. Leurs homologations devraient être facilitées pour lancer des essais et des séries illimitées dès 2025. Moyennant des évolutions réglementaires, l'exécutif européen envisage également de créer trois bancs d'essais transfrontaliers à grande échelle, des bacs à sable et des corridors de circulation sur le territoire de l'UE, incluant des villes de taille moyenne candidates.
Une stratégie mise en doute
Les activités de l'Alliance ainsi que la technologie des batteries de nouvelle génération seront soutenues par des investissements publics et privés conjoints d'environ 1 milliard d'euros dans le cadre de partenariats pertinents d'Horizon Europe au cours de la période 2025-2027. « Il y a tellement de potentiel inexploité sur le marché mondial en matière d'innovation et de solutions propres. Je veux que notre industrie automobile européenne prenne les devants », insiste Ursula von der Leyen.
En revanche, cette dernière ne mentionne plus l'alliance en faveur du développement d'un petit véhicule propre abordable qu'elle avait évoquée lors du lancement du dialogue stratégique. Son plan ne met d'ailleurs jamais en question les stratégies des industriels axées sur la vente de véhicules les plus rentables, les plus lourds, peu conformes aux besoins réels et aux moyens de la majorité des ménages, selon les ONG. « La réponse du gouvernement français et de la Commission européenne se résume à une position de défense des constructeurs automobiles historiques, Renault et Stellantis, et de leurs intérêts à court terme », juge le Réseau Action Climat (RAC).
L'ONG fustige ainsi une politique « dans la continuité de ce qui été fait depuis plusieurs décennies, avec des aides financières conséquentes au secteur, sans contrepartie, et des ajustements court-termistes (…). Ces mêmes ingrédients qui ont conduit, en France, à une destruction méthodique du tissu industriel et des savoir-faire ».
Si l'ACEA se félicite d'un « tournant pragmatique » dans un contexte de turbulences sur les marchés mondiaux, elle ne se déclare pas non plus satisfaite. « Des éléments clés manquent encore », prévient-elle, réclamant des actions ambitieuses, notamment pour les véhicules lourds et en matière de révision des normes. Par le bais de différentes analyses, la Cour des comptes européenne avait elle-même sévèrement jugé les résultats du secteur automobile en matière de transition, pointant une réduction insuffisante des émissions de carbone des véhicules à moteur thermique, des carburants alternatifs peu viables et un manque d'appétences des consommateurs pour les véhicules électriques.
L'efficience accrue des moteurs a été contrebalancée par l'augmentation de la masse moyenne des véhicules, de plus de 10 % environ, et de la puissance des moteurs nécessaire, de plus de 25 % environ, avait-elle noté en particulier. Pour disposer d'un parc automobile constitué de véhicules à zéro émission à l'horizon 2035, l'UE risque de n'avoir d'autres choix que de recourir en grande partie à l'importation de batteries ou de véhicules électriques, avait-elle alerté dans un rapport de juin 2023. La Commission devra donc faire de gros efforts pour convaincre les citoyens et les colégislateurs que sa nouvelle feuille de route représente bien « un ensemble de mesures qui permettent de répondre à toutes les dimensions du problème », comme l'estime Pascal Canfin.
1. Lire le plan d'actions (en anglais).
2. Lire la recommandation sur les flottes d'entreprise (en anglais).
Nadia Gorbatko / actu-environnement