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« Zéro émission nette », cet objectif ambitieux favorisera-t-il l'accaparement des terres ?

06/08/2021

« Zéro émission nette », cet objectif ambitieux favorisera-t-il l'accaparement des terres ?

Les programmes visant le zéro émission nette "gourmands en terres" pourraient augmenter 80 % du prix des denrées alimentaires, selon Oxfam. Photoagriculture

Les gouvernements et les entreprises misent sur les terres pour compenser leurs émissions de carbone afin d'atteindre zéro émission nette d'ici 2050. Une stratégie critiquable selon Oxfam qui pourrait menacer la sécurité alimentaire au niveau mondial.

En amont de la Conférence mondiale sur le climat (COP 26) en novembre prochain à Glasgow, les États et les entreprises sont de plus en plus nombreux à afficher l'ambition de parvenir à « zéro émission nette » ou à la neutralité carbone d'ici à 2050. Cet objectif doit permettre de limiter la température mondiale à 2°C voire 1,5°C d'ici la fin du siècle, comme le prévoit l'Accord de Paris sur le climat. Mais les pays et les entreprises qui s'engagent doivent également montrer comment ils y parviendront. Car cet objectif peut avoir des contours flous, pointe du doigt l'ONG Oxfam dans un rapport publié le 3 août : « L'objectif « zéro émission nette » ne doit pas devenir un « vernis vert », mais s'accompagner de véritables actions climatiques synonymes de changement », prévient-elle.

Plus de 120 pays engagés dans le « zéro émission nette » en 2050

À l'heure actuelle, 61 % des pays, 9 % des États et des régions parmi les pays fortement émetteurs, et 13 % des villes de 500 000 habitants (ou plus) auraient défini des objectifs zéro émission nette, selon l'inventaire d'Oxfam. Le gouvernement britannique figurait parmi les premiers pays du G7 à prendre un tel engagement en 2019 et « profite de sa présidence de la COP 26 pour obtenir des engagements similaires d'autres pays », rappelle l'association. Aujourd'hui plus de 120 pays, dont les États-Unis, le Japon et l'Union européenne se sont engagés à atteindre le zéro émission nette à l'horizon 2050 (et 2060 pour la Chine). Mais « leurs promesses sont pour la plupart imprécises et ne s'appuient pas sur des plans assortis de résultats mesurables », critique l'ONG.

Beaucoup d'entreprises et d'investisseurs se sont également fixés cet objectif pour leurs activités. Oxfam cite par exemple British Airways, Mars, Unilever, Citigroup, BlackRock ou encore Shell, BP, Eni ou TotalEnergies. Ainsi, un cinquième des 2 000 plus grandes sociétés cotées en bourse dans le monde ont prévu des objectifs « zéro émission nette » « qui dépendent, eux aussi, des puits de carbone terrestres », ajoute Oxfam.

Les pays et les entreprises misent sur les puits de carbone mais…

Dans la pratique, un objectif climatique zéro émission nette signifie réduire les émissions de gaz à effet de serre et « compenser » les émissions qui ne peuvent être réduites en stockant le CO2, explique Oxfam. Son analyse montre que plusieurs pays et entreprises misent en effet sur les terres et les puits de carbone naturels. Or, « l'utilisation des terres pour stocker le carbone à grande échelle entre inévitablement en conflit avec la production et la sécurité alimentaire », alerte l'ONG.

Chaque piste qui limite le réchauffement à 1,5°C, définie par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), suppose des volumes importants de stockage du carbone compris entre 5 et 40 gigatonnes d'équivalent carbone (Gt CO2e) par an, rappelle l'ONG. Toutefois, la superficie des terres disponibles serait « insuffisante pour stocker la fourchette haute de cette estimation », estime Oxfam.

…quid des terres disponibles ?

Selon ses calculs, le stockage de 40 Gt CO2e par an nécessiterait environ 3,8 milliards d'hectares de terres. Soit « plus de deux fois la superficie totale des terres actuellement cultivées dans le monde ».

« Même un pays aussi petit que la Suisse aurait besoin d'une superficie équivalente à celle de l'île de Porto Rico pour planter suffisamment d'arbres afin d'atteindre son objectif zéro émission nette », illustre par exemple Oxfam. La Suisse a récemment conclu des accords de compensation des émissions de carbone avec le Pérou et le Ghana. La Colombie vise aussi cet objectif « qui exige le reboisement de plus d'un million d'hectares de terres d'ici 2030, alors même que le pays est en proie à une déforestation galopante », critique également l'ONG.

De même, les plans de l'UE s'appuient sur les forêts et la nature pour absorber 225 millions de tonnes équivalent CO2. « Ce qui nécessiterait jusqu'à 90 millions d'hectares si les pays de l'Union s'en remettaient uniquement à la reforestation pour atteindre cet objectif », ajoute Oxfam.

L'association a en outre ciblé, dans son étude, les engagements des quatre plus grandes sociétés pétrolières et gazières du monde : BP, Eni, Shell et TotalEnergies. Pour atteindre l'objectif zéro émission nette d'ici 2050, ces dernières devraient « reboiser une superficie équivalente à plus de deux fois la superficie du Royaume-Uni », estime l'ONG. « À elle seule, la société TotalEnergies aura besoin d'une superficie équivalente à celle du Rwanda d'ici à 2050 ».

Le rapport d'Oxfam ajoute que si l'ensemble du secteur de l'énergie - « dont les émissions continuent de grimper en flèche - se fixait des objectifs « zéro émission nette » similaires, il lui faudrait une superficie à peu près équivalente à celle de la forêt amazonienne ». Soit un tiers de toutes les terres arables du monde.

Ces solutions (pour piéger le carbone) risquent de provoquer encore plus de faim, d'accaparement de terres et d'atteintes aux droits humains, tandis que les pollueurs s'en servent comme alibi pour continuer à polluer.

 Armelle Le Comte, responsable du plaidoyer climat à Oxfam France

 Menace sur la sécurité alimentaire

Ainsi, Oxfam estime que les terres utilisées exclusivement pour stocker le carbone, et susceptibles d'entrer en concurrence avec la production alimentaire, pourraient couvrir jusqu'à 1,62 milliard d'hectares. Soit « plus que la totalité des terres arables actuelles ». L'ONG craint que « l'explosion » des engagements « zéro émission nette » provoque une nouvelle flambée de la demande en terres, « surtout dans les pays à revenu faible et intermédiaire, ce qui pourrait entraîner des déplacements de masse et une faim aiguë ».

Les méthodes de stockage du carbone, reposant sur l'utilisation des terres à grande échelle, pourraient entraîner une flambée des prix alimentaires mondiaux de l'ordre de 80 % d'ici 2050, estime Oxfam. Ces solutions « risquent de provoquer encore plus de faim, d'accaparement de terres et d'atteintes aux droits humains, tandis que les pollueurs s'en servent comme alibi pour continuer à polluer », déplore Armelle Le Comte, responsable du plaidoyer climat à Oxfam France.

À moins de 100 jours de la conférence des Nations Unies sur le climat à Glasgow, les gouvernements et les entreprises « doivent accorder beaucoup plus d'importance à une réduction drastique et rapide des émissions de carbone à court terme [d'ici 2030], en commençant par leurs propres activités et chaînes d'approvisionnement », souligne Armelle Le Comte.

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