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Que sont devenus les déchets radioactifs que la France (et d’autres) ont balancés dans l’Atlantique ?

06/06/2025

Que sont devenus les déchets radioactifs que la France (et d’autres) ont balancés dans l’Atlantique ?

Le navire océanographique « L'Atalante » de la Flotte océanographique française partira de Brest le 15 juin pour cartographier et étudier des fûts de déchets radioactifs immergés dans l'Atlantique. - S. Lesbats / Ifremer

Mission scientifique / Dans le cadre du projet Nodssum, une équipe de chercheurs prendra la mer le 15 juin afin de localiser, cartographier et étudier des fûts de déchets radioactifs plongés dans l’océan Atlantique entre 1949 et 1982 par plusieurs pays européens

L'essentiel

  • Le projet scientifique Nodssum, porté par le CNRS, part étudier des déchets radioactifs immergés dans l’Atlantique Nord-Est entre 1949 et 1982 par huit pays européens, dont la France.
  • Ces déchets ayant été peu étudiés, la mission va cartographier la zone d’immersion principale, étudier la radioactivité de la zone et évaluer ses interactions avec l’écosystème.
  • L’immersion de déchets a été pratiquée par 14 pays jusque dans les années 1980, avant son interdiction totale en 1993. Plus de 80 sites aux quatre coins du globe sont concernés, mais l’Atlantique Nord-Est concentre la moitié de l’activité.

Des déchets radioactifs vieux de cinquante ans, des chercheurs de différentes disciplines, et un mois en pleine mer au large des côtes françaises. Ce mélange un peu curieux, c’est celui du projet scientifique Nodssum, dont la première phase débutera le 15 juin avec le départ, depuis Brest, d’un bateau de la Flotte océanographique française. La mission, portée par le CNRS, partira à la recherche des fûts de déchets radioactifs immergés entre 3.000 et 5.000 mètres de profondeur dans les eaux internationales de l’Atlantique Nord-Est par huit pays européens, dont la France, entre 1949 et 1982.

« On ne cherche pas à juger l’Histoire », précise Patrick Chardon, chercheur CNRS au laboratoire de physique de Clermont-Auvergne et coresponsable du projet. « Notre but est d’utiliser les déchets radioactifs qui ont été faits pour mieux comprendre l’océan profond », complète Javier Escartin, chercheur CNRS au laboratoire de géologie de l’Ecole normale supérieure, également coresponsable du projet. Intégrant des spécialistes de différents domaines comme la physique, la mesure de la radioactivité ou la biologie, Nodssum vise à cartographier la zone d’immersion principale de ces déchets et à comprendre le comportement des éléments radioactifs dans l’océan et leurs interactions avec l’écosystème.

Des déchets peu surveillés

A l’époque où elle était pratiquée, l’immersion des déchets radioactifs était jugée « sûre par la communauté scientifique car la dilution et la durée présumée d’isolement apportées par le milieu marin étaient suffisantes », indique l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) dans un dossier sur le sujet. Les analyses menées dans les années 1980 et 1990 ayant relevé « des faibles niveaux d’exposition et d’irradiation » qui « se [confondent] aux fluctuations de la radioactivité naturelle de ces fonds marins », il a été décidé qu’une surveillance continue de ces déchets n’était pas nécessaire.

Ceux-ci sont donc très peu étudiés, d’autant que l’immersion de déchets radioactifs a été définitivement interdite en 1993. « Lorsque les études ont été faites dans les années 1980, on a échantillonné à l’aveugle, on n’avait pas d’appareil sous-marin pour repérer les barils », explique Javier Escartin. « Les prélèvements ont été faits sans cartographie précise des fûts, et potentiellement à très grande distance », précise Patrick Chardon.

Une cartographie nécessaire

Sans compter que la localisation précise des fûts n’est pas connue : « Ils ont été jetés en mer sans qu’il y ait de données et on ne sait pas s’ils sont éparpillés, par amas… » poursuit le chercheur. Compte tenu du peu d’informations disponibles, les scientifiques ont ciblé un périmètre « à l’intersection de deux zones utilisées pendant des décennies », « où on a le plus de probabilités de retrouver des fûts » pour éviter de « chercher une aiguille dans une botte de foin », décrivent-ils.

Lors du premier volet de la mission Nodssum, « la première chose à faire sera d’envoyer des robots autonomes pour faire des cartes au sonar », explique Javier Escartin. Des prélèvements d’eau, de sédiments et de faune pour mesurer la radioactivité seront aussi réalisés, le tout permettant « d’identifier une zone ou deux de référence » sur lesquelles les chercheurs travailleront en détail.

Ce seront des opérations « à proximité des fûts mais en champ lointain », précise Patrick Chardon, « pour s’assurer de ne pas remonter quelque chose qui pourrait être problématique en termes de radioprotection » sur le bateau. C’est sur la base de ces données que la deuxième campagne du projet partira réaliser des prélèvements et des études à proximité des fûts.

Mesurer l’évolution de la radioactivité

Mis à l’eau entre 1949 et 1982, les fûts de déchets radioactifs présents dans l’Atlantique Nord-Est « ont été dimensionnés spécifiquement pour faire du confinement [c’est-à-dire pour enfermer la radioactivité], dont on a estimé la durée de vie entre quinze et vingt-cinq ans », pose le chercheur. Cette durée étant largement dépassée, les scientifiques évalueront donc les effets potentiels de ces déchets sur les fonds océaniques, tout en comparant ces résultats avec ceux des études effectuées dans les années 1980 « pour voir comment [la radioactivité] a évolué ».

Les déchets immergés représentant un niveau d’activité faible à moyen, les scientifiques ne s’attendent pas à trouver une forte radioactivité, mais à en trouver quand même. « Les études des années 1980 avaient déjà détecté des marquages environnementaux, expose Patrick Chardon. Aujourd’hui, le confinement apporté par les contenants est moindre, donc on s’attend aussi à avoir un signal. » L’un des robots sous-marins effectuera aussi des photos des fûts de bonne qualité, qui permettront d’analyser leur état et de repérer d’éventuelles fuites.

Une pratique courante

L’Atlantique Nord-Est, bien qu’il représente la moitié de l’activité totale, n’est pas la seule zone concernée par les immersions de déchets radioactifs. Avant l’interdiction totale de ce procédé en 1993, 14 pays, notamment européens – comme le Royaume-Uni, la Belgique, la Suède, l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, l’Italie et la Suisse –, mais aussi les Etats-Unis et l’ex-URSS, ont mené des campagnes d’immersion. Plus de 80 sites, situés dans les océans Pacifique, Atlantique et Arctique, sont concernés, indique l’Andra dans son dossier thématique.

D’où l’intérêt de la mission du CNRS, dont les résultats seront communiqués en toute transparence. « On est dans l’optique de partager toutes les données qu’on obtiendra, on n’a aucune raison de les conserver », conclut Patrick Chardon.

20minutes