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Dérèglement climatique : les pistes pour financer le grand cycle de l'eau
07/01/2025
L'adaptation au changement climatique pose la question du financement des investissements nécessaires pour gérer le grand cycle de l'eau. © Thierry RYO
En s'appuyant sur une étude et l'organisation d'un colloque, le Cercle français de l'eau a ouvert les réflexions sur le financement de la gestion du grand cycle de l'eau, dans le contexte du dérèglement climatique. Zoom sur les pistes explorées.
Inondations, sécheresses… les conséquences du dérèglement climatique sur la gestion de l'eau se feront de plus en plus sentir et posent de façon accrue la question de comment s'adapter… et notamment comment financer les investissements rendus nécessaires pour gérer le grand cycle de l'eau. D'autant plus qu'à cette facture s'ajoute celle de la contamination généralisée des milieux.
Si pour l'instant les pistes restent en friche, la question mobilise depuis quelques temps les acteurs de l'eau et les parlementaires. Le sujet aurait dû d'ailleurs être au cœur de la Conférence nationale sur l'eau annoncée en octobre dernier par Michel Barnier, alors Premier ministre, dans son discours de politique générale devant l'Assemblée.
Le Cercle français de l'eau a remis la question sur la table en commandant une étude à l'économiste spécialisée dans le domaine de l'eau, Maria Salvetti, en novembre dernier, et en organisant le même mois un colloque sur le sujet. Et le premier constat a été sans appel : les flux de financement actuels ne suffisent plus pour répondre aux enjeux, de nouveaux dialogues doivent s'ouvrir.
Une taxe Gemapi insuffisante
La taxe Gemapi (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations), envisagée initialement pour financer la nouvelle compétence du même nom attribuée aux communes, peine à jouer pleinement son rôle. « La taxe Gemapi permet un effet levier pour chercher des subventions et des emprunts bancaires, mais elle ne suffira pas pour financer les investissements des cinq, dix ou quinze prochaines années, a constaté Régis Banquet, vice-président chargé de l'eau à Intercommunalités de France. Il faut repartir d'une feuille blanche et identifier les besoins nécessaires pour engager cette révolution par rapport à la protection des populations, la façon dont nous abordons la politique de l'eau : la protection des zones humides, rivières et fleuves à préserver, etc. »
Par ailleurs, la répartition de l'assiette de cette taxe (1) est contestée et sa gouvernance reste à consolider. « Tant que la gouvernance n'est pas stabilisée, nous aurons du mal à avoir un financement dédié et stabilisé », a noté Maria Salvetti. De nouveaux travaux devraient toutefois proposer des pistes d'évolution dans le courant de l'année 2025. « Nous allons lancer une mission d'information dont je serai le rapporteur en janvier, a indiqué Hervé Gilles, sénateur Socialiste, écologiste et républicain de la Gironde et rapporteur d'une mission sur la gestion de l'eau. Quand vous êtes obligé de mettre en place un grand programme de prévention de ces inondations avec des digues qui coûtent un million d'euros au kilomètre, vous ne pouvez pas financer, même si vous bénéficié d'un peu de Fonds vert. Vous prenez la responsabilité juridique car vous êtes obligé de faire sur injonction de l'État, mais vous n'avez pas les moyens pour faire. »
La réduction de la facture par la prévention
Parmi les pistes envisagées pour le grand cycle, figure en premier lieu la réduction de la facture grâce à des mesures de prévention. « Il faut mettre les moyens et travailler par anticipation, préserver plutôt que traiter. La préservation par anticipation, c'est ce qui coûtera le moins cher », a rappelé Thierry Burlot, président du Cercle français de l'eau, à l'occasion du colloque.
“ Il faut mettre les moyens et travailler par anticipation, préserver plutôt que traiter ” - Thierry Burlot, Cercle français de l'eau
Et dans ce domaine, les axes de travail sont nombreux. Sur la question des incitations à la sobriété par exemple, Maria Salvetti préconise de privilégier la recherche de fuites à la tarification incitative. « Si nous regardons les prélèvements et non plus la consommation, nous intégrons les fuites – près de 20 % d'eau se perdent en fuites et jusqu'à 50 % dans certains endroits. L'OCDE a estimé que cela coûterait 750 millions d'euros pour avoir un minimum de 80 % de rendement du réseau partout en France, a-t-elle indiqué lors d'une audition devant la Commission du développement durable de l'Assemblée sur le financement de la politique de l'eau en décembre dernier. Si nous mettons des compteurs intelligents individuels pour inciter les gens à moins consommer, par exemple un « Linky de l'eau », vous aurez dépensé un milliard et demi pour installer des compteurs sans qu'il ne se passe rien pour le consommateur… »
Une approche identique pourrait être adoptée dans le secteur de l'aménagement. « Un terrain avec une zone humide ne vaut rien pour le propriétaire, l'exploitant ou la commune, qui ne percevra pas de dotation globale de fonctionnement (DGF). Pourquoi n'intègre-t-on pas un critère de protection de la nature dans les critères d'attribution de la DGF aux collectivités ? a interrogé Thierry Burlot. Il faut renverser la table de la fiscalité, l'environnement n'est pas une politique publique à coté ! Il faut mettre des aides sur ce qui protège le bien commun. »
« Un vieil impôt est un bon impôt »
Pour dégager de nouvelles sources de financement, l'idée de créer de nouvelles taxes semble toutefois être une impasse. « Il est très difficile d'inventer un nouvel impôt, politiquement, mais aussi tout simplement pour son fonctionnement : un vieil impôt est un bon impôt, car nous savons comment il marche, a souligné Alain Richard, conseiller d'État, rapporteur pour la commission de l'économie verte dans la note « Pour élargir la biodiversité à la fiscalité des agences de l'eau ». Notre idée était de partir de la taxe d'aménagement – qui rapporte maintenant un petit milliard – et d'apporter un couche supplémentaire collectée par l'État et ventilée entre les agences. Toutefois, par rapport à ce que nous avions envisagé dans notre rapport il y a deux ans, les besoins sont plus grands. »
Pour faire face aux investissements nécessaires, il préconise, comme d'autres acteurs, de s'intéresser au prix de l'eau. « Le prix de l'eau n'est pas encore un élément déterminant sur la question du pouvoir d'achat, ou du taux d'effort, a souligné Hervé Gilles. Nous avons une marge de manœuvre pour financer la politique de l'eau, mais nous devons faire la différence en fonction des taux d'effort. » Pour accompagner les augmentations du prix de l'eau, la tarification sociale a été envisagée. Mais les retours d'expérience montrent qu'un certain nombre d'obstacles restent à lever pour parvenir à sa généralisation. « Nous pouvons moduler le prix du mètre cube d'eau de manière équitable et crédible en fonction des saisons ; en revanche, en matière de revenu, pour faire quelque chose d'équitable, il faut connaître la composition familiale de chaque logement. Ce qui se heurte à deux ou trois problèmes, a averti Alain Richard. Pour une meilleure compréhension, il faut garder une tarification qui ne soit pas affectée par la composition de la famille, mais en instaurant le chèque eau. »
D'autres pistes sont également envisagées, comme une tarification différente entre résidence principale ou secondaire, mais également en fonction des saisons. Certains questionnent également la possibilité de déplafonner la part fixe de la facture d'eau. « Avant de déplafonner ou d'enlever la part fixe, il faut comprendre l'économie des services eau et assainissement : c'est 80 % de coûts fixes et 20 % de parts variables, a toutefois opposé Maria Salvetti. S'il n'y a pas de part fixe, vous allez faire exploser le prix du volume vendu ! »
Mettre en place de nouveaux paiements pour service rendu
Certains explorent d'ores et déjà la mise en place de paiements pour services rendus (PSE). Ainsi, l'établissement public territorial de bassin (EPTB) Seine Grands Lacs a mis en place une redevance pour soutien d'étiage. « Les contributeurs sont les producteurs d'eau potable, donc Veolia à travers le Sedif (122 millions de mètres cubes prélevés en 2023, une redevance de 2,46 millions d'euros, soit plus de 25 % du total), la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine (14 % du montant) et Eau de Paris (14 % de la redevance pour soutien d'étiage), a expliqué Denis Larghero, vice-président de l'EPTB Seine Grands Lacs. Elle est fixée en fonction des consommations attendues des redevables et fait l'objet d'une estimation, confirmée en année N+1. » Au total, l'ETPB reçoit 10 millions d'euros de contribution des membres, 10 millions de redevance soutien d'étiage et 30 millions de taxe Gemapi. « La limite de l'exercice, c'est que [la redevance pour soutien d'étiage] est assez peu dynamique pour l'EPTB, si ce n'est à l'arrivée de nouveaux redevables », a pointé Denis Larghero. Dans le futur, de nouveaux prélèvements pourraient être envisagés avec la candidature de Nogent-sur-Seine pour obtenir deux nouveaux EPR.
Une idée qui avait également été envisagée pour Bordeaux Métropole, qui puise son eau en dehors de son territoire, dans les landes du Médoc, (2) afin d'épargner la nappe profonde de Gironde et permettre aux autres syndicats d'eau, qui n'ont pas d'autres solutions, de s'alimenter dans celle-ci. « Ce que nous avions envisagé avec le président du Smegreg [Syndicat mixte d'études et de gestion de la ressource en eau du département de la Gironde], c'était que comme Bordeaux rend services aux autres, qu'une redevance pour services rendus puisse apporter une aide pour les nouveaux forages », a expliqué Bernard Barraqué, directeur de recherche émérite du CNRS.
Car la facture du projet - près de 110 millions d'euros - nécessite de trouver des leviers de financement. « Nous avons une aide de l'agence de l'eau, mais encore faut-il qu'elle dispose d'une vision à court, moyen et long terme pour accompagner et donc avoir les fonds suffisants pour les inscrire d'année en année car nous sommes sur de gros programmes », a opposé Hervé Gilles. Et pour l'instant, les annonces de suppression du plafond de dépenses et de rehausse du plafond de recettes des agences de l'eau ne se sont pas encore totalement concrétisées.
Outre la question financière, le projet soulève également la question de l'adhésion des premiers usagers de la nappes de landes du Médoc et de l'acceptabilité d'un tel projet. « Toute la discussion au niveau de ce territoire rural, c'est de dire : nous allons abaisser la nappe d'un mètre et quel va être l'impact sur les milieux de ce secteur ? a détaillé Hervé Gilles. C'est un sujet de solidarité territoriale… Nous avons d'ores et déjà des Scot [schémas de cohérence territoriale] qui limitent l'accueil des populations car nous n'avons pas la ressource [en eau] suffisante. »
Les réflexions sur la gouvernance s'avèrent alors indissociables de celles sur le financement. « Il est important de réfléchir aux solidarités amont-aval, ville-campagne, complète Thierry Burlot. Je prends l'exemple des inondations : à Quimperlé, ce n'est pas là où nous pouvons régler les problèmes, c'est là où nous les subissons. C'est plus en amont qu'il faut commencer à mettre des haies, à préserver les zones humides. »
Perfectionner le système existant
« Il faut partir du système existant et le perfectionner, garder le modèle des agences, qui est fondamental, a quant à lui estimé Nicolas Portier, enseignant à SciencesPo et président du Cercle pour l'aménagement du territoire. Il faut un système en circuit fermé, où les redevances prises par les agences sur les usagers du service public local de l'eau reste dans le circuit du bassin, et des solidarités interbassins. Je pense que c'est dans des logiques d'assurabilité des biens, de taxes nationales… La grande priorité dans les prochaines années, c'est de bien structurer la maîtrise d'ouvrage avec des solidarités financières villes-campagnes. »
Sans oublier certains outils existants, qui restent à mieux mobiliser, comme les fonds européens, ou la sollicitation de certains acteurs, comme les industriels.
Des pistes de réflexions qui inaugurent de futurs riches travaux en 2025.
1. Lire Financement de la Gemapi : la taxe en question<br /><br />
2. Se renseigner sur le projet des champs captant des Landes du Médoc
Dorothée Laperche / actu-environnement