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Changements climatiques : le Tribunal international du droit de la mer affirme le devoir d'action des États

02/06/2024

Changements climatiques : le Tribunal international du droit de la mer affirme le devoir d'action des États

L'avis du Tribunal est l'une des premières prises de position d'une juridiction internationale sur les changements climatiques et les océans.    © The Ocean Agency

« Le Tribunal international du droit de la mer entre dans l'histoire en rendant le tout premier avis d'une juridiction internationale sur le changement climatique et les océans. » C'est par ces mots que la Commission des petits États insulaires (Cosis) accueille l'avis rendu, ce mardi 21 mai 2024, par le tribunal, installé à Hambourg (Allemagne), chargé de régler les différends liés à l'application de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite Convention de Montego Bay.

La Cosis, créée en octobre 2021 et composée de neuf petits États insulaires (1) , avait posé deux questions au Tribunal en décembre 2022. Elles portaient sur les obligations des États parties à la Convention, au nombre de 169, de prévenir et réduire la pollution du milieu marin, et de protéger ce milieu, compte tenu de l'action des émissions de gaz à effet de serre anthropiques sur le réchauffement et l'acidification des océans, et sur l'élévation du niveau de la mer.

Le Tribunal se juge compétent pour rendre cet avis consultatif et répond à l'unanimité à la Cosis. Un avis important dans la construction du droit climatique international, d'une part, parce qu'il s'agit de l'une des premières prises de position d'une juridiction internationale sur la question, d'autre part, parce qu'il va dans le sens des revendications des petits États insulaires, victimes de la hausse du niveau des océans résultant du réchauffement climatique dont ils ne sont pas responsables.

Une pollution du milieu marin

« Les émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES) dans l'atmosphère constituent une pollution du milieu marin [au sens de la Convention] », estiment tout d'abord les juges en répondant à la première question. Les États parties ont l'obligation de « prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES et de s'efforcer d'harmoniser leurs politiques à cet égard ». Ces mesures doivent tenir compte « des meilleures connaissances scientifiques disponibles » et des règles internationales pertinentes telles que l'Accord de Paris , « en particulier l'objectif de limiter l'augmentation de la température mondiale à 1,5°C ».

L'avis du Tribunal ne laisse aucun doute : les États ont le devoir de protéger les océans des facteurs et des impacts du changement climatique ” - Nikki Reisch, Ciel

Il s'agit, ajoute l'avis, d'une obligation de « diligence requise ». Et le niveau de diligence « est élevé, compte tenu des risques aigus de préjudice grave et irréversible au milieu marin que font peser ces émissions », indiquent les juges. Cette obligation de diligence requise s'oppose toutefois à une obligation de résultat qui exigerait que le milieu marin ne soit contaminé par aucune pollution. Elle correspond à la demande qu'avait exprimée la France au cours de la procédure, explique le professeur de droit Arnaud Gossement (2) .

Les États parties, précise l'avis, ont également l'obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les émissions anthropiques de GES relevant de leur juridiction « ne causent pas de préjudice par pollution à d'autres États et à leur environnement » et pour que la pollution liée à de telles émissions « ne s'étende pas au-delà des zones où ils exercent des droits souverains ». Le niveau de « diligence requise » peut être ici encore plus élevé « en raison de la nature de la pollution transfrontière ».

Le Tribunal interprète également d'autres dispositions de la Convention en mettant à la charge des États une série d'obligations supplémentaires : adoption et application des lois et règlements nécessaires ; coopération avec les autres États ; aide aux États en développement dans leur lutte contre cette pollution ; surveillance continue, publication des rapports correspondants et réalisation d'évaluation d'impact environnemental.

Obligation de protection du milieu marin

L'obligation de protéger et de préserver le milieu marin « a un champ d'application étendu, englobant tous types de dommages au milieu marin et toutes menaces pesant sur ce dernier », indique le Tribunal en répondant à la deuxième question. En conséquence, les États parties ont l'obligation de « protéger et de préserver le milieu marin des incidences du changement climatique et de l'acidification des océans ». Et, là où le milieu marin a été dégradé, cette obligation peut « appeler des mesures de restauration des habitats et des écosystèmes marins ». Les États sont également tenus « d'anticiper les risques liés aux incidences du changement climatique et à l'acidification des océans ».

Le Tribunal met, là-aussi, une série d'autres obligations à la charge des États : protéger les écosystèmes rares ou délicats, et les habitats des espèces en régression des incidences du changement climatique ; conserver les ressources biologiques marines menacées ; prévenir, réduire et maîtriser l'introduction d'espèces non indigènes.

« Cela fait déjà partie du droit international »

« Le Tribunal international du droit de la mer a franchi une première étape cruciale en reconnaissant que ce pour quoi les petites nations insulaires se battent depuis des décennies lors des négociations de la COP fait déjà partie du droit international. Les principaux pollueurs doivent éviter des dommages catastrophiques aux petites nations insulaires, et s'ils n'y parviennent pas, ils doivent compenser les pertes et les dommages », réagit Payam Akhavan, représentant de la Cosis devant le Tribunal.

« L'avis du Tribunal ne laisse aucun doute : les États ont le devoir de protéger les océans des facteurs et des impacts du changement climatique, confirme Nikki Reisch, directrice du programme climat et énergie du Centre pour le droit international de l'environnement (Ciel). Pour ceux qui se cachent derrière les faiblesses des traités internationaux sur le climat, cet avis montre clairement que le seul respect de l'Accord de Paris ne suffit pas. » Et d'avertir : « Les engagements et les promesses formulés lors des conférences annuelles sur le climat ne satisfont pas aux obligations légales des États (…). Nous savons que cela nécessite l'élimination rapide de tous les combustibles fossiles. Les États qui ne s'y conforment pas encourent une responsabilité juridique. »

Même s'il ne s'agit que d'un avis, celui-ci contribue à forger le droit international climatique. « Il crée un précédent juridique clair pour lutter contre le changement climatique dans les cadres internationaux existants et renforce les responsabilités des États dans la lutte contre le changement climatique », estime ainsi Louise Fournier, conseillère juridique pour la justice climatique et la responsabilité chez Greenpeace International.

D'autant que cet avis fait suite à la récente décision de la Cour européenne des droits de l'homme consacrant un droit à une protection effective des individus par les États contre les effets du changement climatique. Il s'inscrit également dans le cadre de deux procédures en cours devant la Cour américaine des droits de l'homme, d'une part, et devant la Cour internationale de justice, d'autre part. La Commission des petits États insulaires participe d'ailleurs à la demande d'avis consultatif lancée par l'un de ses membres, le Vanuatu, et adressée par l'Assemblée générale des Nations unies devant cette dernière juridiction.

« Ces cours et tribunaux internationaux clarifieront les obligations des États d'agir contre le changement climatique en vertu du droit international pour les décennies à venir », estime Greenpeace International.

1. Antigua-et-Barbuda, Tuvalu, Niue, Palaos, Sainte-Lucie, Vanuatu, Saint-Vincent-et-Grenadines, Saint-Kitts-et-Nevis, Les Bahamas

2. Consulter le commentaire d'Arnaud Gossement

Laurent Radisson / actu-environnement

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