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Pollution plastique : pourquoi ne rien faire nous coûterait bien plus cher que d’agir

04/12/2024

Pollution plastique : pourquoi ne rien faire nous coûterait bien plus cher que d’agir

La pollution plastique accumulée dans les écosystèmes mondiaux depuis 1950 pourrait coûter jusqu'à 281 800 milliards de dollars en dommages environnementaux, soit 93 fois le PIB de la France en 2023. Shutterstock

Alors que les États du monde entier s’apprêtent à discuter d’un traité mondial sur le plastique, certains font valoir une crainte : celle du coût économique causé par une réduction possible de la production de plastique. Mais ne rien faire coûterait bien plus cher en nettoyage de la pollution marine, gestion des impacts sur la santé publique et des déchets montre une nouvelle étude.

Acheter une bouteille de Coca-Cola ou une barre de Snickers ne pèse pas lourd sur le portefeuille. Ces produits sont relativement bon marché. Mais que se passerait-il si le coût réel de leur emballage plastique était inclus dans le prix que nous payons à la caisse ? Prenons par exemple le coût de nettoyage de la pollution générée par la fabrication de ce plastique, ou encore celui de la gestion de l’emballage une fois que vous l’avez jeté. Sans oublier les frais médicaux liés aux menaces sanitaires provoquées par les plastiques, ainsi que les dommages infligés à la faune terrestre et marine, et aux écosystèmes tout entiers. Ce ticket de caisse serait longuissime.

Du 25 novembre au 1er décembre 2024, 175 pays se réuniront à Busan, en Corée du Sud, pour la cinquième et dernière session de négociations sur un traité mondial sur les plastiques. Au cœur des débats : la question de savoir si le traité inclura des objectifs contraignants pour réduire la production de plastiques.

Bien que la communauté scientifique s’accorde sur le fait que réduire la production plastique est essentiel pour résoudre les crises climatiques, environnementales et sanitaires qu’elle engendre, certains pays s’inquiètent des impacts potentiels sur leur économie nationale. Mais les travaux de recherche que nous sommes plusieurs à mener en France et dans le monde en économie et en sciences de l’environnement montrent que ces pays devraient s’inquiéter de l’inverse : l’absence de réduction de la production de plastiques pourrait poser une menace économique bien plus grande.

La production effrénée de plastiques engendre une pollution aux impacts croissants, qui entraînera des coûts considérables à mesure que les crises qu’elle suscite se multiplieront. En ce qui concerne la crise climatique, l’industrie plastique est responsable de 5,3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (chiffres de 2019). Si rien ne change, ces émissions pourraient doubler, voire tripler d’ici 2050.

En matière de crise environnementale, les conséquences sur la biodiversité sont alarmantes. Des microplastiques, issus de la dégradation des déchets plastiques, sont désormais présents (assimilés par ingestion) dans 26 % des poissons marins, un chiffre qui a doublé au cours des dix dernières années. Enfin, la crise sanitaire est déjà là. Dans l’Union européenne, par exemple, au moins 1,8 million de personnes souffrent de maladies liées à l’exposition aux produits chimiques contenus dans les plastiques (chiffres de 2010). Face à ces constats, réduire la production plastique devient une urgence environnementale et sanitaire.

Le coût astronomique de la crise plastique

Les coûts liés à la pollution plastique dans le monde sont vertigineux. Dans notre dernière étude, nous avons tâché d’analyser les données existantes pour estimer ces coûts. Nous avons constaté que, dans un scénario d’inaction, la pollution plastique accumulée dans les écosystèmes mondiaux depuis 1950 pourrait coûter entre 13 700 milliards et 281 800 milliards de dollars américains en dommages environnementaux entre 2016 et 2040. À titre de comparaison, cela équivaut à 4 à 93 fois le PIB de la France en 2023, ou à 5 à 113 fois les pertes économiques mondiales causées par la chute du PIB liée à la crise du Covid-19.

Derrière ces sommes faramineuses, on trouve une large gamme de dépenses et de dommages. Premièrement, il y a les coûts de gestion des déchets plastiques : la collecte, le tri, le recyclage et l’élimination des déchets municipaux. Ces coûts, compensés en partie par les revenus tirés de la vente de plastiques recyclés et de l’électricité générée par l’incinération, sont estimés entre 643 milliards et 1 612 milliards de dollars dans le monde entre 2016 et 2040. Ils sont principalement supportés par les municipalités ou les entreprises privées chargées de gérer les déchets ménagers, mais sont en fin de compte payés par les contribuables.

Ensuite, il y a les dommages aux écosystèmes, notamment marins. Des animaux comme les tortues, les poissons, les oiseaux marins et de nombreuses autres espèces subissent des dégâts en ingérant des déchets plastiques. Les coûts de ces dommages écologiques sont estimés entre 1 862 milliards et 268 498 milliards de dollars pour la même période.

La pollution plastique a également des impacts importants sur la santé humaine. Les additifs présents dans les plastiques, tels que les perturbateurs endocriniens, sont liés à de graves problèmes de santé : troubles hormonaux, infertilité, cancer, obésité, diabète et déficiences intellectuelles. Les coûts des maladies liées à ces substances chimiques ont été estimés à 384–403 milliards de dollars par an aux États-Unis, 44 milliards de dollars par an dans l’Union européenne, et 18 milliards de dollars par an au Canada (en prix de 2010). Ajustés à 2021 et cumulés sur la période 2016–2040, ces coûts de santé s’élèvent à 11206–11692 milliards de dollars. Mais ces chiffres sont probablement très sous-estimés, car les coûts annuels augmenteront avec la production croissante de plastiques et la croissance démographique.

En résumé, lorsque nous additionnons ces trois catégories – pollution marine, impacts sur la santé publique et gestion des déchets – le coût total mondial de la pollution plastique pour la période 2016–2040 se situe entre 13 700 milliards et 281 800 milliards de dollars, soit l’équivalent de 548 à 11 272 milliards de dollars par an sur cette période de 25 ans. Ces chiffres montrent l’énorme poids économique de la crise plastique, bien au-delà du prix d’une bouteille de Coca ou d’une barre chocolatée.

Mais ces coûts ne semblent pas pris en compte par les pays qui cherchent à diluer l’ambition du traité en se concentrant uniquement sur la gestion des déchets, négligeant ainsi la racine du problème, à savoir la production de plastiques. Avec une production en augmentation constante, les systèmes de traitement auront de plus en plus de mal à suivre, ce qui entraînera une fuite croissante de plastiques dans la nature. Or si rien ne change, le volume de plastique rejeté dans les écosystèmes pourrait doubler d’ici à 2050 et atteindre 121 millions de tonnes par an (contre 62 millions de tonnes par an en 2020). Si nous ne réduisons pas la production de plastiques, nous continuerons donc à dépenser toujours plus pour nettoyer une pollution qui aurait pu être évitée – comme si nous essayions de vider une baignoire sans fermer le robinet qui l’alimente en eau.

Un coût partagé inégalement

Malheureusement, ces chiffres sont probablement très sous-estimés car nous nous sommes basés sur les données économiques disponibles, qui présentent d’importantes lacunes : elles excluent les coûts sanitaires dans les pays hors Europe, États-Unis et Canada, les dommages aux écosystèmes terrestres, le coût de nettoyage des micro et nanoparticules de plastiques (seuls les macroplastiques peuvent être nettoyés actuellement), ainsi que les frais de nettoyage des plastiques ayant coulé jusque dans les fonds océaniques, pour n’en citer que quelques-uns.

D’autres études montrent également que le coût de la pollution plastique n’est pas partagé équitablement : son coût est dix fois plus élevé dans les pays à faible revenu, bien qu’ils soient peu responsables de la production et de la consommation de plastiques. En outre, les pays du sud seront davantage impactés par la pollution plastique que les pays du nord. Dans le top 15 des pays les plus touchés par la pollution plastique des océans, on retrouve (par ordre décroissant) : la Chine, l’Indonésie, les Philippines, le Vietnam, le Sri Lanka, la Thaïlande, l’Égypte, la Malaisie, le Nigeria et le Bangladesh, l’Afrique du Sud, l’Inde, l’Algérie, la Turquie et le Pakistan.

À l’inverse, seuls quelques pays tirent profit de la production et de la vente de plastiques : 75 % des capacités mondiales de production pétrochimique, essentielle pour fabriquer des plastiques, sont détenues par dix pays seulement. En tête, on retrouve la Chine, suivie des États-Unis, de l’Inde, de la Corée du Sud et de l’Arabie saoudite. Viennent ensuite le Japon, la Russie, l’Iran, l’Allemagne et Taïwan. Les pays riches jouent donc un rôle central dans le commerce mondial des déchets plastiques en exportant une partie de leurs déchets vers des pays en développement pour y être recyclés. Cependant, ce processus ne garantit pas toujours un recyclage effectif, augmentant ainsi les risques de fuite de débris plastiques dans les écosystèmes locaux.

Les principaux importateurs nets de déchets plastiques sont aujourd’hui des pays comme la Chine, la Turquie, le Vietnam, l’Inde et la Malaisie, qui reçoivent des volumes importants en provenance de grandes nations exportatrices telles que le Japon, les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France. Malgré une réduction récente de la part des pays en développement dans ces importations, ils restent les principales destinations des flux mondiaux de déchets plastiques, avec des conséquences environnementales et sociales préoccupantes. Ce commerce met en lumière une inégalité mondiale où les déchets des pays riches alimentent des problèmes de gestion et de pollution dans les pays moins développés.

Si l’on continue de regarder ce que le plastique coûte aux différents pays, il est également important d’avoir en tête que non seulement les pays paient les coûts de la pollution plastique, mais ils financent aussi sa production. Selon un rapport du Fonds monétaire international (FMI), les subventions mondiales aux combustibles fossiles s’élevaient à 7 000 milliards de dollars en 2022, soit 7,1 % du PIB mondial. Or la majorité des plastiques sont fabriqués à partir de pétrole et de gaz naturel. Éliminer les subventions aux plastiques permettrait de récupérer 30 milliards de dollars par an rien que dans les 15 principaux pays producteurs de polymères plastiques.

Une opportunité économique

Loin d’être un frein, réduire la production de plastiques pourrait même être économiquement bénéfique. Nos recherches montrent que les coûts de l’inaction (13 700-281 800 milliards de dollars) pourraient être jusqu’à deux fois plus élevés que ceux des mesures de réduction de la production et de la pollution (18 300-158 400 milliards de dollars). Par ailleurs, une transition bien menée vers une économie post-plastiques, où seuls les plastiques essentiels seraient autorisés, pourrait stimuler la croissance économique en créant des emplois dans le secteur du réemploi et des consignes locales.

Bien que toute transition ait un coût à court terme pour le secteur privé, éviter les dommages environnementaux liés à une production continue de plastiques conduit à un bénéfice net à long terme – et peut-être même à court terme, étant donné l’ampleur sous-estimée des coûts actuels. En d’autres termes, réduire la production de plastiques pourrait non seulement éviter une facture salée, mais aussi stimuler les économies nationales et mondiales. Certains économistes vont même jusqu’à affirmer qu’un plafonnement international de la production serait bénéfique pour l’industrie plastique elle-même.

Le temps presse

Dans une économie post-plastiques, seuls les produits plastiques essentiels – comme les tubes de perfusion utilisés dans les hôpitaux, par exemple – resteraient en usage, tandis que d’autres, comme les plastiques à usage unique (bouteilles, sacs, même réutilisables, par exemple), seraient interdits. Des systèmes locaux de consigne pour les articles réutilisables (bouteilles, couverts, gobelets, contenants alimentaires, plateaux, emballages) seraient également mis en place.

Se concentrer sur des solutions locales est essentiel pour éviter les émissions de gaz à effet de serre liées aux transports longue distance. Cependant, cette approche doit être mise à l’échelle mondiale pour un impact écologique maximal, en suivant le principe « penser globalement, agir localement ». Ce changement créerait un secteur entier dédié au réemploi des contenants et des emballages, stimulant une croissance économique bénéfique pour tous sans nuire à la santé humaine ou aux écosystèmes.

Si les dirigeants ne prennent pas des mesures fortes lors des négociations du traité sur les plastiques fin novembre 2024, ce sont les citoyens consommateurs qui en paieront le prix pendant des décennies. Avec un coût de la pollution plastique qui ne cesse d’augmenter, nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre.

theconversation

Cet article est dédié au chercheur en sciences de l’environnement Juan Baztan qui nous a quitté bien trop tôt après une chute accidentelle à Lanzarote, à la fin de la conférence internationale MICRO-2024 sur la pollution plastique. Ses travaux traitaient des impacts des activités humaines sur les écosystèmes marins, notamment la question des débris plastiques dans les océans, et les interactions entre les communautés côtières et la pollution. Il explorait également les approches transdisciplinaires pour promouvoir une relation durable entre les êtres humains et l’océan. L’interface science-société était importante pour lui. Par une approche transdisciplinaire de la recherche, il voulait contribuer à la transformation de la société vers un avenir qui respecte le vivant dans son ensemble. Son travail relevait d’une éthique exigeante sur le plan humain qu’il appliquait à la recherche sur la pollution plastique avec rigueur

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