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« On pourrait atteindre les 50 degrés en Lorraine en 2050 »
18/11/2024
© R.Poulverel/CEA
Native de Nancy, la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte revient pour « La Semaine » sur l’urgence d’une prise de conscience sur la question climatique.
Membre du GIEC jusqu’en 2023, toujours membre du Haut conseil climat, elle dresse un tableau alarmant que seule une marche forcée vers la décarbonation de l’activité humaine pourrait améliorer.
Incendies dans les Vosges en 2022, inondations à répétition en 2024, la Lorraine qui pouvait sembler épargnée jusqu’alors montre-t-elle des signes du dérèglement climatique ?
Valérie Masson-Delmotte « Le réchauffement planétaire connaît un rythme toujours très élevé, à cause de l’activité humaine. La chaleur accumulée dans le système climatique modifie finalement les caractéristiques de toutes les régions. Le recul de l’enneigement en moyenne montagne, d’une année à l’autre, n’est pas forcément prévisible parce qu’il y a une variabilité. Mais quand on regarde sur une trentaine d’années, le résultat est très net, que ce soit pour les Vosges ou à moyenne altitude dans les Alpes et ailleurs. Il y a notamment une durée d’enneigement plus courte, un recul de l’enneigement, notamment au printemps, qui est vraiment une conséquence de ce réchauffement, qui est visible et qui affecte des activités qui en dépendent directement, je pense notamment aux activités récréatives d’hiver et aux emplois qui sont associés. Par ailleurs, on a des choses qui sont parfois plus spectaculaires et qui dépassent nos capacités de gestion. En premier lieu, l’augmentation des épisodes de fortes chaleurs, de canicules, avec des effets à la fois pour la santé ou pour les écosystèmes comme les forêts. En second lieu, la chute des rendements agricoles à cause d’épisodes trop chauds, secs, ou trop pluvieux. La Lorraine comme le reste de la France est durement touchée depuis plusieurs années, notamment sur la production céréalière, les vendanges, la production de fourrage. Et pour finir, parmi les événements extrêmes la région n’est pas épargnée par la baisse du débit des fleuves, les pénuries d’eau, en même temps qu’un risque d’inondations, de ruissellement, de débordement de cours d’eau. »
Peut-on avec précision savoir ce qui attend la Lorraine dans les prochaines décennies ?
« Ce qu’on voit déjà, ce sont des dépérissements de forêts, une augmentation de la mortalité d’arbres, notamment sur certaines essences, je pense aux épicéas, je pense aussi aux hêtres qui sont durement touchés. Si on table sur un réchauffement planétaire qui dépasse deux degrés vers 2050, ce serait plus de trois degrés en France métropolitaine, un peu plus en Lorraine : le réchauffement est amplifié dans les régions continentales et puis aussi un peu en altitude. Ça veut dire moins de vagues de froid, beaucoup plus de vagues de chaleur. On ne peut pas exclure d’atteindre jusqu’à 50 degrés en Lorraine en 2050. Cela pose vraiment la question d’une nouvelle gestion des forêts, mais aussi la question de la ressource en eau, y compris pour les activités agricoles, pour les activités industrielles. »
Nous sommes à un moment qu’on décrit souvent comme un moment de bascule… vous rappelez une nouvelle fois l’urgence à agir ?
« L’image qu’on doit avoir, c’est celle d’un verre que vous poussez sur une table. Chaque fois qu’on le pousse, il avance un peu, ça a l’air régulier. Et puis quand vous arrivez au bord, vous le poussez comme avant, et il tombe. Donc c’est ça l’image du point de bascule, c’est-à-dire on choque un système, comme le système climatique, et puis il y a des conséquences qui semblent graduelles. Mais au bout d’un moment, on peut avoir des conséquences brutales ou irréversibles. Les gens pensent qu’on s’adaptera à tout, mais en fait, non. »
En 2022 vous avez « formé » le gouvernement d’Élisabeth Borne. Les politiques vous semblent-ils enfin réceptifs aux questions climatiques ?
« On sortait d’une série de crises, liées à la sécheresse, aux incendies de forêt. J’ai vraiment lu de la gravité dans les yeux des ministres. On a donc eu un gouvernement qui se mettait en scène à dialoguer avec les informations issues de la recherche scientifique sur le climat et il y avait eu un ensemble d’initiatives, notamment pour renforcer l’action à la fois pour la décarbonation, la préparation du plan national d’adaptation au changement climatique. Mais force est de constater que depuis janvier dernier, tout est bloqué en fait. Quant au nouveau gouvernement, je ne peux que constater par exemple des coupes très importantes qui touchent au budget des collectivités territoriales, le fond vert, à la fois pour la transition écologique et l’adaptation au changement climatique. Donc je suis vraiment très inquiète en ce moment. »
À l’échelle régionale ou locale, quels sont les leviers pour agir ?
« Quand je participe à des rencontres, des réunions, des débats, je constate qu’il y a une prise de conscience qui est vraiment impressionnante. Il y a énormément de personnes de bonne volonté qui souhaitent agir personnellement, professionnellement, collectivement. Pour les acteurs économiques, les investisseurs il est nécessaire d’avoir une bonne visibilité, d’où l’importance d’un cap clair vers la décarbonation, comme nous l’avons écrit dans le rapport Haut conseil climat de cet été. Au niveau politique, les Régions, elles, ont un rôle de chef de file de l’action pour le climat. Elles sont en première ligne également sur les enjeux d’adaptation notamment en travaillant à articuler leur stratégie environnementale et leur stratégie industrielle. Il y a un grand défi dans ce sens, pour la région Grand Est. »