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"Cimetière de CO2" : comment des millions de tonnes de carbone vont être enfouies en mer du Nord

21/03/2024

"Cimetière de CO2" : comment des millions de tonnes de carbone vont être enfouies en mer du Nord
  • Le Danemark a inauguré ce mercredi le premier site de stockage de dioxyde de carbone importé de l'étranger.
  • Situé à 1800 mètres sous la mer du Nord, il utilise un ex-gisement de pétrole pour enfouir des millions de tonnes de CO2.
  • Ces techniques de stockage sont présentées comme un outil essentiel pour freiner le réchauffement climatique.

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La technologie est étudiée depuis une vingtaine d'année, mais connaît une accélération importante ces dernières années face au réchauffement de la planète. Alors que la Commission européenne a annoncé son intention, en décembre dernier, d'intensifier ses efforts sur le "Carbone capture and storage" (CCS), le Danemark inaugure, ce mercredi 8 mars, le tout premier "cimetière de CO2" importé de l'étranger.

Un site d'enfouissement de dioxyde de carbone situé à 1800 mètres sous la mer du Nord qui utilise un ex-gisement de pétrole. Ce projet, appelé "Greensand", devrait permettre de stocker jusqu'à huit millions de tonnes de CO2 par an à l'horizon 2030, soit l'équivalent de 1,5% des émissions françaises. Encore balbutiant et très coûteux, le CCS est pourtant désormais présenté par le Giec comme un outil essentiel pour freiner le réchauffement climatique.

Un instrument indispensable dans la boîte à outil climatique...

Le stockage de CO2 permet d'emprisonner le carbone, principal responsable du réchauffement planétaire. La plus grande partie de ce gaz est directement captée depuis les usines sur des sites très émetteurs comme les cimenteries ou les centrales à charbon, d'autres solutions consistant à récupérer ce CO2 directement dans l'atmosphère avant de l'emprisonner dans des conteneurs via un processus chimique complexe. 

Plus de 200 projets sont aujourd'hui opérationnels ou en développement à travers le monde. Mais la particularité du Danois "Greensand" est que, contrairement aux autres installations qui séquestrent du CO2 en provenance de sites industriels voisins, il va faire venir le carbone de loin. Le gaz va être acheminé par mer via la plateforme Nini West, située à la lisière des eaux norvégiennes, avant d'être transféré dans un réservoir sous la mer du Nord. Pour les autorités danoises, qui visent la neutralité carbone dès 2045, c'est un "instrument indispensable dans notre boîte à outils climatique". 

"Comme notre sous-sol contient un potentiel de stockage bien plus important que nos propres émissions, nous sommes en mesure de stocker également le carbone provenant d'autres pays", s'est félicité auprès de l'AFP le ministre du Climat et de l'Énergie, Lars Aagaard. Le Danemark bénéficie d'ailleurs d'un endroit idéal pour cela : la mer du Nord, qui abrite de nombreux gazoducs et réservoirs géologiques vides après des décennies d'exploitation pétrogazière.

"Les gisements épuisés de pétrole et de gaz présentent de nombreux avantages, car ils sont bien documentés et il existe déjà des infrastructures qui peuvent très probablement être réutilisées", explique Morten Jeppesen, directeur du Centre des Technologies Offshore à l'Université technologique du Danemark (DTU). D'autres projets sont d'ailleurs menés dans cette zone avec le géant français TotalEnergies qui va y explorer le potentiel d'enfouissement à plus de deux kilomètres sous les fonds marins avec l'objectif d'emprisonner chaque année cinq millions de tonnes de CO2 à l'horizon 2030. 

... Mais qui reste très marginal

Ces dernières années, les projets de stockage de CO2 se multiplient, notamment sous l'impulsion de la Norvège, pionnière du CCS. Principal producteur d'hydrocarbures d'Europe de l'Ouest, le pays possèderait également le plus gros potentiel de stockage de la région. Avec la plateforme Sleipner, l'État nordique enfouit déjà chaque année depuis 20 ans un million de tonnes de CO2. Mais les quantités stockées restent faibles par rapport aux émissions annuelles. 

Quand Sleipner capte un million de tonnes de CO2 par an, l'Europe en a émis, à elle seule, 3,7 milliards en 2020, année pourtant plombée par la pandémie de Covid-19, selon les chiffres de l'Agence européenne pour l'environnement. À l'échelle mondiale, selon une étude du cabinet d'études norvégien Rystad Energy, si le marché devrait quadrupler d'ici 2025 pour atteindre 50 milliards de dollars, son impact sur les émissions de gaz à effet de serre devrait rester limité. 

Portée par les investissements en Europe et en Amérique du Nord, la filière devrait ainsi être en capacité de séquestrer 150 millions de tonnes par an d'ici deux ans contre 40 millions en 2022. Une goutte d'eau comparée aux 36,8 milliards de tonnes émises en 2022 par les activités humaines à l'échelle mondiale, un chiffre record et en constante augmentation.

Quid du risque de fuites ?

Par ailleurs, le processus est gourmand en énergie, puisque selon une étude du think tank australien IEEFA, il émet lui-même l'équivalant de 21% de gaz capturé. La technique n'est pas non plus sans risque, selon le centre de recherche qui cite le risque de fuites aux conséquences catastrophiques. "Trouver des sites de stockage appropriés et les conserver est un défi majeur : le CO2 piégé dans le sous-sol doit être surveillé pendant des siècles pour s'assurer qu'il ne retourne pas dans l'atmosphère", prévient l'IEEFA. 

Enfin, certains craignent que le développement de cette technique ne détourne de précieux investissements des énergies renouvelables, indispensables pour assurer une transition énergétique et écologique efficace et maintenir le réchauffement de la planète en dessous du seuil crucial des deux degrés. "Le CCS ne doit pas être utilisé pour maintenir le niveau actuel de production de CO2, mais il est nécessaire pour limiter le CO2 dans l'atmosphère", prévient Morten Jeppesen.

"Le coût du stockage du carbone doit encore être réduit pour que cela devienne une solution durable de mitigation, à mesure que l'industrie gagnera en maturité", ajoute le scientifique. Chez les défenseurs de l'environnement, la technologie ne fait pas non plus l'unanimité. "Cela ne règle pas le problème et prolonge les structures qui sont nuisibles", a fustigé la responsable énergie de Greenpeace Danemark, Helene Hagel. Les ONG, elles, s'inquiètent d'une utilisation de cette technologie par les géants de l'agrochimie et des énergies fossiles comme "une gigantesque opportunité de compenser leurs émissions sans les réduire fondamentalement".

Annick BERGER / tf1info

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