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Inquiétudes autour de la production de carburants aériens durables en Europe

13/08/2024

Inquiétudes autour de la production de carburants aériens durables en Europe

Le secteur aérien compte principalement sur les carburants d'aviation durables (SAF) pour réduire son empreinte carbone. @Airbus

Prix élevés, demande trop faible, incertitudes : la production de carburants aériens durables en Europe traverse une zone de turbulences. Alors que le secteur aérien mise principalement sur ce levier pour se décarboner, il pourrait bien rater ses objectifs.

C’est un coup dur pour la production de carburants aériens durables. Début juillet, Shell a annoncé qu’il interrompait la construction d’une usine géante de production aux Pays-Bas, l’une des plus grandes au monde. Elle devait produire 820 000 tonnes de biodiesel et de carburants durables pour l’aviation à partir de végétaux et huiles de cuisson, à partir de 2025. La raison invoquée par l’énergéticien : la compétitivité du site alors que la demande ne décolle pas autant que prévu. Quelques jours auparavant, BP suspendait lui aussi deux nouveaux projets de biocarburants en Allemagne et aux Etats-Unis.

“Ce n’est pas une bonne nouvelle d’autant que cela est justifié par la rentabilité insuffisante supposée des SAF (Sustainable aviations fuels, en anglais)”, réagit auprès de Novethic Laurent Timsit, délégué Général de la Fnam, la Fédération Nationale de l’Aviation et de ses métiers. “Nous pensons que les volumes nécessaires à l’atteinte des objectifs européens de 2030 (6% d’incorporation) seront atteints mais nous sommes inquiets pour 2035 (20% d’incorporation) surtout si les grands énergéticiens comme Shell, Total ou BP ne se mobilisent pas dans le développement de la filière”, explique-t-il.

Disponibilité limitée et conflits d’usage

L’Union européenne s’est en effet fixé des objectifs considérés comme ambitieux par la filière pour réduire les émissions de l’aviation. La loi européenne – connue sous le nom de ReFuelEU – prévoit qu’à partir de 2025, tous les vols au départ d’un aéroport de l’UE seront obligés d’incorporer une part minimale de carburants d’aviation durables de 2% en 2025, 6% en 2030, 20% en 2035, 34% en 2040, 42% en 2045, pour monter à 70% d’ici à 2050, date à laquelle le transport aérien s’est engagé à attendre la neutralité carbone. Pour atteindre ces objectifs, le transport aérien européen aura besoin de 28 millions de tonnes de carburants d’aviation durable chaque année à l’horizon 2050, a calculé l’Académie de l’Air et de l’Espace (AAE).

Aujourd’hui, ces carburants aériens durables sont majoritairement des biocarburants avancés, produits à partir de déchets, d’huiles usagées, de plantes non alimentaires…. TotalEnergies, par exemple, fabrique des SAF à partir d’huiles usagées et de graisses animales depuis 2022 entre ses sites de La Mède (Bouches-du-Rhône), Oudalle (Seine-Maritime) et sa plate-forme de Gonfreville-l’Orcher (Seine-Maritime). Mais la production de ces biocarburants avancés est limitée par la quantité de biomasse disponible et la concurrence avec les autres usages. Un récent document du Secrétariat général à la planification écologique ne classe pas le transport aérien dans les usages prioritaires mais dans la catégorie “raisonnablement et sous-conditions”. Selon une étude de l’AAE, publiée en mai dernier, le volume de biomasse disponible pour l’aviation en Europe ne dépassera ainsi pas 20% des besoins.

En conséquence, le recours à une quantité importante d’e-fuels, ou carburants de synthèse, produits grâce à la combinaison d’hydrogène vert et de CO2 capté dans l’air, va s’avérer indispensable pour décarboner l’aviation. Mais là encore, tout ne se passe pas comme prévu et les enjeux sont énormes. Si l’ONG Transport & Environment comptabilise 45 projets industriels ou pilotes au sein de l’UE, pour l’instant, aucun d’entre eux n’a fait l’objet d’une décision finale d’investissement (FID). “Bien que la loi ReFuelEU ait créé une demande prévisible à long terme et réduit les risques liés aux investissements dans les e-fuels, les développeurs de projets doivent encore surmonter de nombreux obstacles, tels que la faible disponibilité de l’hydrogène vert et des sources de carbone durables, ou la difficulté de convaincre les compagnies aériennes de signer des accords d’achat”, explique l’ONG.

Quantité colossale d’énergie verte

La Norvège arrive en tête des projets d’e-fuels avec une capacité de production totale de 420 000 tonnes en 2030. L’Allemagne et la France ont également des projets ambitieux pouvant produire environ 300 000 tonnes de carburants de synthèse en 2030. Dans les Landes, le papetier américain Ryam, en collaboration avec la société Verso Energy, a lancé des études de faisabilité pour créer des SAF à partir des fumées de son usine combinées à de l’hydrogène vert. “L’un des principaux défis sera technologique car ce sont des usines très complexes à mettre en place avec des degrés de maturité très variables selon les procédés”, nous confie Christian Ribeyrolle, le PDG de Ryam France. “Ensuite, il faudra trouver les financements pour un projet qui dépasse le milliard d’euros. Les tours de table ne seront pas faciles“, avoue-t-il.

Une autre limite majeure à la production d’e-fuels est la quantité colossale d’énergie verte nécessaire. Toujours selon l’AAE, pour tenir les objectifs européens à 2050, il faudra 650 térawattheures d’électricité, soit l’équivalent “d’une cinquantaine de centrales nucléaires, plus environ 1 100 champs d’éoliennes offshore du type Saint-Nazaire (80 km2 chacun, ndlr), plus 12 000 km2 de panneaux photovoltaïques, autrement dit des milliers de fermes solaires de 2 à 3 km2 complétées par beaucoup de solaire disséminé sur les toits, les parkings, …”, illustrent les experts, qui s’appuient sur un partage 33/33/33 entre les différents modes de production électrique.

Dans ce contexte, le risque est que les compagnies aériennes se tournent vers l’étranger, maintenant une dépendance énergétique comme elle existe aujourd’hui pour le pétrole et le gaz. L’AAE calcule que l’importation de carburant durable avoisinerait alors les 100 milliards d’euros par an d’ici 2050. Dans son avis, l’organisme évoque enfin la sobriété comme un élément inéluctable : “de meilleurs usages, raisonnés, devraient être progressivement définis” sans toutefois tomber dans l’aviation bashing qu’elle estime “injuste“. L’AAE appelle ainsi à redéfinir “le voyage de demain”. “Il n’est plus guère possible d’éluder la question de ce qui compte vraiment, sur le plan sociétal cette fois. Comme tous nos comportements, la décision de prendre l’avion inclut du superflu et de l’inutile”. 

novethic

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