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"Dès qu’on exploite une tourbière, le milieu humide est impacté et ne fonctionne plus correctement"

03/08/2024

"Dès qu’on exploite une tourbière, le milieu humide est impacté et ne fonctionne plus correctement"

"Il y a plusieurs écoles quant aux alternatives à la tourbe, mais aucune n’est parfaite," explique Naomie Le Boursicot. © Jim Patrick/Pexels

Naomie Le Boursicot est assistante de programmes et de communication au pôle-relais tourbières de la Fédération des conservatoires naturels. ID l’a interviewée, pour comprendre les conséquences de l’extraction de tourbe, une matière organique utilisée dans la fabrication de terreau.

Chaque année, 0,1 % de la surface mondiale de tourbières disparaît. Ces zones humides sont exploitées pour récupérer la tourbe qu’elles génèrent et fabriquer du terreau. Mais cette pratique a de lourdes conséquences. Pour en comprendre les enjeux, ID a interviewé Naomie Le Boursicot, assistante de programmes et de communication au Pôle-relais tourbières de la Fédération des conservatoires naturels. 

Qu’est-ce qu’une tourbière ? 

Une tourbière est une zone humide qui a une saturation en eau quasi-permanente, ce qui va permettre à la tourbe de se former. Cette saturation va rendre l'oxygène très peu disponible, ce qui va permettre à des petites plantes de s’accumuler, bien plus vite qu'elles vont se dégrader. Et cette matière partiellement et pas entièrement dégradée : c'est ce qui s'appelle la tourbe. On peut retrouver les tourbières dans presque toute la France, même si certaines régions sont un peu plus riches que d’autres comme la Franche-Comté.

Pourquoi ces zones humides sont importantes ? 

Les tourbières sont importantes pour de nombreuses raisons. Côté biodiversité, elles vont accueillir des espèces qu'on ne trouve pas beaucoup ailleurs. Il existe différentes sortes de tourbières, mais dans certaines, on retrouve par exemple des plantes carnivores nommées les droséras. Elles se sont adaptées à ce milieu faible en nutriments et vont donc chercher leurs nutriments dans les insectes qu'elles piègent. Dans les tourbières, on retrouve aussi certains insectes qui vont avoir au moins une partie de leur cycle dans ces milieux-là, comme certaines libellules qui vont pondre dans ces milieux-là.

Les plantes qui se décomposent très lentement dans ces milieux représentent aussi des puits de carbone exceptionnels. Dans le monde, les tourbières représentent environ 3 % des sols émergés, mais on estime qu'elles retiennent un tiers des stocks de carbone dans les sols. C’est bien plus que les forêts.

"La tourbe est aussi très prisée car elle est très bon marché, cela ne coûte pas grand chose de l’exploiter"

La tourbe produite dans ces milieux est particulièrement prisée pour la production de terreau. Pour quelles raisons ? 

La tourbe a des propriétés très intéressantes en termes de culture. Elle a une forte capacité de rétention d’eau, ce qui permet aux plantes cultivées de rester hydratées. C’est aussi un substrat dans lequel se trouvent peu de micro-organismes qui pourraient contaminer les aliments cultivés. Mais la tourbe est aussi très prisée car elle est très bon marché, cela ne coûte pas grand-chose de l’exploiter. 

Comment se déroule le processus d’extraction des tourbières ?

Il y a plusieurs cas de figure possibles. Mais la plupart du temps, ce sont les tourbières de plaines qui sont exploitées. Il y a aussi les tourbières de montagne, mais celles-ci sont plus difficiles d’accès, donc forcément, moins exploitées et davantage préservées. Pour récupérer la tourbe, dans certains cas, on va drainer la tourbière. C’est-à-dire que l’on va faire en sorte que toute l'eau sorte du milieu et ne revienne pas. Des drains vont être créés : c'est comme si on débouchait une bouteille et que l'eau s'écoulait et n'était plus retenue. Cela va permettre de sécher la tourbe et donc de pouvoir la prélever. Dans d'autres cas, la tourbe est gardée en eau pendant l'extraction. C'est par exemple le cas pour la tourbière de Baupte, en Normandie.

Quelles sont les conséquences de ces extractions ?

Dans le cas de l’extraction après drainage, le problème est que l’on enlève l'élément principal qui permet à la tourbière de fonctionner. Et comme il n’y a plus d’eau, il y a davantage d’oxygène dans la zone, ce qui va démarrer le processus de dégradation des petites plantes très peu dégradées. Dès qu’on exploite une tourbière, le milieu humide est impacté et ne fonctionne plus correctement. La création de tourbe est donc complètement perturbée. L’exploitation est très mauvaise, car on ne peut pas considérer qu’une tourbière est renouvelable, tant ce renouvellement est lent. En général, cela se fait de l’ordre d’un millimètre par an. Ce qui est très peu. 

Et derrière cela, une autre conséquence est la libération du carbone stocké dans les tourbières. Dans le cas d’une tourbière drainée, tous les stocks de carbone vont être relargués rapidement dans l’atmosphère. Si, comme à Baupte, on laisse la tourbe en eau, elle va tout de même se dégrader, même si c’est plus tard dans les pots de fleurs. Alors dans tous les cas, une fois extraite, la tourbe relâchera le carbone qu’elle a stocké. 

"La tourbe que l’on trouve dans nos sacs de terreaux vient en grande partie de l’étranger"

Comment sont réglementées ces extractions ?

En France, ces réglementations relatent des zones humides de manière globale. Ces dernières sont protégées, alors si on veut les exploiter, ou intervenir d’une quelconque manière sur ces zones, il est obligatoire d’en faire la demande au préfet ou aux directions départementales des territoires (DDT). Mais en France, on tend vers de moins en moins d’autorisation d'exploitation. La tourbe que l’on trouve dans nos sacs de terreau vient donc en grande partie de l’étranger, comme le nord de l’Europe et les Pays baltes, où la protection des zones humides est moins stricte.

Quelles sont les alternatives au terreau contenant de la tourbe ? 

Il y a plusieurs écoles quant aux alternatives à la tourbe, mais aucune n’est parfaite. On peut la remplacer par de la fibre de coco par exemple, mais elle viendra forcément de loin. Il est aussi possible d'utiliser du compost, mais cela reste différent, car il va apporter des nutriments contrairement à la tourbe qui, elle, n’en apporte pas du tout. Il est également possible d’utiliser de la fibre de bois ou de pin. Cette dernière peut être très utile parce qu’elle va pouvoir retenir un peu d’eau, mais il faut faire attention, car elle peut être acidifiante. 

Dans le commerce, on retrouve des terreaux sans tourbe et qui utilisent ces éléments à la place. Et généralement, le "sans tourbe" est un argument de vente, il est donc précisé sur les paquets. Il existe beaucoup de terreaux de ce type, mais pas autant que les terreaux contenant de la tourbe, ce qui est problématique pour le consommateur. Il est même souvent difficile de les retrouver dans les magasins, car ces derniers n’ont pas conscience de la demande. Alors ce qu’il est possible de faire, c’est d’insister auprès de ces commerces pour qu’ils aient davantage de choix.

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