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Tourbières : un levier naturel face au changement climatique
20/05/2025

Le chercheur Vincent Jassey sur le terrain des tourbières en Estonie. - Crédits : Vincent Jassey.
Une étude publiée dans Nature Climate Change révèle que les tourbières, grâce à l’activité photosynthétique de leurs microalgues, pourraient compenser jusqu’à 14 % des émissions de CO₂ des tourbières. Le point avec Vincent Jassey, chercheur toulousain CNRS au Centre de recherche sur la biodiversité et l’environnement.
Et si l’une des armes les plus puissantes contre le réchauffement climatique se cachait sous nos pieds, dans les sols humides des tourbières ? C’est ce que suggère une étude parue dans Nature Climate Change, portée par le chercheur CNRS Vincent Jassey du Centre de recherche sur la biodiversité et l’environnement (CRBE) de Toulouse, avec le concours de ses collègues européens.
Un modèle inédit à l’échelle mondiale
L’étude révèle que les microalgues présentes dans ces milieux pourraient compenser jusqu’à 14 % des émissions potentielles de CO₂ des tourbières, si les conditions d’humidité sont maintenues. Ce chiffre est issu d’une expérience de transplantation inédite : des blocs de tourbes ont été déplacés à travers cinq tourbières d’Europe, dans les Pyrénées, en Pologne, en Estonie, en Finlande et en Suède, avec l’objectif de simuler différents scénarii de réchauffement. Résultat : plus la température augmente, plus la photosynthèse microbienne s’intensifie, plus les microalgues absorbent de CO₂.
À partir de ces observations, les chercheurs ont développé un modèle prédictif, appliqué aux scénarii du Giec pour l’hémisphère Nord. Ils ont ainsi pu cartographier l’évolution potentielle de la photosynthèse microbienne à grande échelle. « Ce modèle est le premier à quantifier la compensation potentielle des émissions futures de CO₂ des tourbières par les microalgues à l’échelle mondiale », explique Vincent Jassey.
Des réservoirs de carbone à protéger
Les tourbières ne couvrent que 3 % des terres émergées, mais elles renferment entre 500 et 1000 gigatonnes de carbone, soit potentiellement plus que l’ensemble du carbone actuellement présent dans l’atmosphère. Mais ces « bombes climatiques » peuvent se retourner contre nous. De fortes chaleurs ou un assèchement durable peuvent activer et stimuler des mécanismes microbiens qui relâchent du CO₂. Une canicule prolongée ou des sécheresses répétées pourraient ainsi transformer ces puits de carbone en sources d’émission importantes.
La découverte de ce mécanisme, jusqu’ici ignoré des modèles climatiques, est une bonne nouvelle toute relative. Elle ouvre certes la voie à de nouvelles approches dans la modélisation du climat, mais ne doit pas faire oublier l’essentiel. « Ce n’est pas une technosolution. Il ne s’agit pas d’en faire une machine à capter du carbone. Il faut avant tout préserver les écosystèmes existants », insiste Vincent Jassey, qui se dit méfiant face aux tentatives d’introduction artificielle de microalgues dans les sols.
Nouvelles recherches en perspective
À l’avenir, le chercheur souhaite explorer d’autres formes de fixation microbienne du carbone, la photosynthèse n’étant qu’une voie parmi d’autres. Il prévoit par exemple d’étudier la chimio-autotrophie, un processus où des micro-organismes fixent du CO₂ sans lumière. Contrairement à la photosynthèse, ce mécanisme fonctionne jour et nuit, y compris dans les zones profondes et pauvres en oxygène.
Le chercheur souhaite également élargir ses recherches à d’autres types de sols que les tourbières : sols agricoles, forestiers ou encore le permafrost, les microalgues sont présentes partout.
En attendant, les tourbières nous rappellent que la nature possède des solutions à l’émission de gaz à effet de serre… encore faut-il lui laisser la possibilité d’agir.
Valérie Ravinet / touleco-green