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Les crédits biodiversité, un nouvel outil de financement en émergence
24/10/2024
Cali, en Colombie, accueille la COP 16 du 21 octobre au 1er novembre 2024. © piccaya
Nouvelle opportunité pour financer la protection de la nature ou irruption intempestive de la finance dans la biodiversité ? La COP 16, qui débute lundi 21 octobre, va phosphorer sur le nouvel instrument financier que sont les crédits biodiversité.
« Trois grands thèmes de négociations sont au menu de la COP 16, selon une source proche des négociations : la mise en place concrète et détaillée du cadre décennal adopté à Montréal, la question des financements et le mécanisme de partage des avantages issus de la biodiversité. » La question des financements n'est pas le moindre des sujets mis à l'ordre du jour de cette sixième Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique, qui se tient à Cali (Colombie) du 21 octobre au 1er novembre et qui examinera notamment le nouvel instrument financier que sont les crédits biodiversité.
La cible 19 du Cadre mondial pour la biodiversité dit « de Kunming-Montréal », adopté lors de la COP 15 en décembre 2022, prévoit d'augmenter « substantiellement » les ressources financières pour mettre en œuvre les stratégies nationales pour la biodiversité, en mobilisant au moins 200 milliards de dollars par an d'ici à 2030. Dans ce cadre, les États parties sont invités à « stimuler des systèmes innovants », parmi lesquels figurent le paiement des services écosystémiques, les obligations vertes, mais aussi les compensations et les crédits de biodiversité.
En juin 2023, lors du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial organisé à Paris, la France et le Royaume-Uni ont lancé une initiative commune visant à mettre en place « des marchés de crédits biodiversité à haute intégrité ». Le comité consultatif international (IAPB) mis en place dans ce cadre, coprésidé par Amelia Fawcet et Sylvie Goulard, doit présenter les résultats de ses travaux le 28 octobre, à Cali. Cette question fait partie des priorités du président de la République, indique le ministère des Affaires étrangères. Le 13 septembre dernier, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s'est également prononcée en faveur d'un « marché consacré directement à la restauration de notre planète », fonctionnant sur la base de « crédits nature ».
L'IAPB n'est toutefois pas la seule initiative en la matière. « La Biodiversity Credit Alliance (BCA), la Coalition for Private Investment in Conservation (CPIC) et le Forum économique mondial ont (…) monté des initiatives similaires et participent activement à l'émergence des marchés de crédits », rapporte la CDC Biodiversité. Parallèlement, des marchés de crédits biodiversité émergent dans le monde. La mission économie de la biodiversité de la CDC dénombre ainsi une cinquantaine d'initiatives impliquées dans les crédits biodiversité, dont elle a établi une cartographie publiée dans un dossier (1) paru en juillet 2024 et qui fait référence.
Des acceptions différentes du concept
Mais le dispositif des crédits biodiversité se cherche encore, son fonctionnement n'est pas arrêté, tandis que certains le dénoncent déjà. Sa définition même est très loin de faire consensus. « Au sens le plus large, un crédit biodiversité est une unité standardisée qui quantifie et atteste d'une action positive pour la biodiversité. Elle permet aux organisations qui veulent agir pour la restauration et/ou la protection de la biodiversité de financer des porteurs de projets », indique CDC Biodiversité.
“ Les acteurs économiques, le marché, le jeu de l'offre et de la demande sont les plus efficaces pour atteindre les résultats, dès lors que l'État a fixé les règles du jeu ”
Laurent Piermont, Printemps des terres
« Il s'agit d'un financement de projets en faveur de la nature, explique plus simplement Philippe Zaouati, CEO de Mirova et membre de l'IAPB, dans la même publication. Ces financements sont utilisables, valorisables par ceux qui les font pour démontrer leur action en faveur de la nature. Toute la question renvoie à la notion de valorisable qui peut vouloir dire beaucoup de choses. »
Mais le terme même utilisé, crédit ou certificat, emporte des acceptions différentes du concept. « Les crédits biodiversité existent depuis longtemps dans le cadre des mécanismes de compensation par l'offre aux États-Unis, en Australie, ou au Royaume-Uni, explique Alain Karsenty, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), lors d'une rencontre organisée par CDC Biodiversité, le 2 octobre dernier à Paris. Les certificats biodiversité relèvent d'une autre logique, qui n'est pas celle de la destruction-compensation, mais qui est vectrice de contribution. »
Fabien Quétier, coordinateur auprès des équipes locales de Rewilding Europe, rejette, quant à lui, aussi bien le concept de crédit que celui de certificat. « Le problème, c'est qu'il faudrait éviter les impacts. La notion de crédit ou certificat biodiversité, et plus généralement de stratégies positives pour la nature, met un voile sur le fait qu'on a des impacts difficiles à éviter ou à restaurer et, en face, on finance des actions faciles ; on se soustrait ainsi à l'obligation d'équivalence écologique », cingle le représentant de l'ONG.
Valoriser les seules pratiques positives pour la nature
La question de savoir quel type d'action, compensation et/ou action positive en faveur de la nature, doivent viser les crédits biodiversité est au cœur des interrogations. « Une logique d'offsets ou de mesures compensatoires implique une règle d'équivalence entre impacts négatifs et gain biodiversité. Ne pas s'imposer cette contrainte méthodologique permet de se focaliser sur une liste d'actions favorables à la biodiversité et de déterminer quel est le gain biodiversité associé à chacune de ces actions », explique Romain Julliard, chercheur au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), qui plaide, comme Alain Karsenty, pour des certificats biodiversité valorisant les seules pratiques positives.
Le rôle de l'intervention des pouvoirs publics, en particulier à travers la réglementation, est également discuté, pour encadrer les certificats et leurs marchés naissants. « Je pense qu'il n'y aura pas d'augmentation très forte de la demande sans un minimum de contraintes réglementaires », explique Philippe Zaouati. Fabien Quétier juge également clé le rôle de la réglementation. « Personnellement, depuis dix ans, je vois toujours les mêmes entreprises et on est très loin de la grosse explosion encore. En revanche, lorsque la Commission européenne publie un règlement qui touche tout le monde, là ça explose forcément. Le réglementaire me semble donc inévitable », témoigne le représentant de Rewilding Europe, dans une allusion à la directive CSRD.
« C'est un bien public, donc (…) les règles du jeu doivent fondamentalement être fixées par les pouvoirs publics. Ce n'est pas au marché de dire ce qui doit être restauré ou non, ni comment cela doit l'être », estime également Laurent Piermont, président du Printemps des terres. Mais l'ancien président de CDC Biodiversité ajoute aussitôt que « les acteurs économiques, le marché, le jeu de l'offre et de la demande sont les plus efficaces pour atteindre les résultats, dès lors que l'État a fixé les règles du jeu », tout en précisant que l'argent public doit combler les manques laissés par le marché.
Garantir l'intégrité des projets concernés
De nombreuses autres questions techniques se posent quant à la mise en place de marchés de crédits de biodiversité, dont l'objectif est de flécher le maximum de financements privés vers les projets en faveur de la préservation de la nature. D'après une étude de l'OCDE de 2020, les financements privés disponibles pour la préservation de la biodiversité étaient faibles, entre 6,6 et 13,6 milliards de dollars par an, et plus de la moitié était liée au cadre réglementaire de la compensation (2,6 à 7,3 milliards en 2016), rapporte CDC Biodiversité. D'après des scénarios établis par le Forum économique mondial en 2023, la demande de crédits de biodiversité sur le marché pourrait atteindre jusqu'à 69 milliards de dollars par an en 2050 selon le scénario moyen, mais seulement 6 milliards de dollars à cette même échéance selon le scénario le moins ambitieux.
Au-delà du volume des transactions se pose la question cruciale de leur intégrité. « Les marchés d'échange des crédits biodiversité devront à la fois garantir l'intégrité des projets concernés, donc être structurés par des standards et des instances de gouvernance indépendantes et scientifiquement crédibles, mais également assurer un flux de financement suffisamment important pour constater des gains suffisamment nombreux pour contribuer à inverser la tendance actuelle de perte de biodiversité », explique CDC Biodiversité.
« Un marché n'est pas un problème en soi, explique Philipe Zaouati (…). Il faut un marché similaire à celui du marché mondial du vin, illustre le membre de l'IAPB. Aujourd'hui, il existe un marché mondial. Pour autant, est-ce que le Château Margaux et le vin californien ou chilien peuvent s'échanger ? Non, car en réalité coexistent à l'intérieur d'un marché des centaines, voire des milliers, de marchés qui dépendent très fortement de la qualité de chacun d'entre eux (…). Et je pense qu'il faut tendre vers la même chose pour les crédits biodiversité. »
Le CEO de Mirova préconise donc de fermer toute possibilité à un véritable marché financier des crédits de biodiversité. Il recommande également de régler les problèmes constatés sur les crédits carbone volontaires avant de rendre possible le démarrage des crédits biodiversité volontaires. Dans la même veine, Alain Karsenty milite pour la création de certificats « nature » intégrant toutes les composantes de l'environnement. « Si on sort, c'est mon souhait et je milite vraiment pour ça, de l'illusion de la compensation (…), tout en maintenant des flux financiers, qui sont utiles par ailleurs (…), alors on s'oriente vers des certificats nature. Ceux-ci arrêteraient de découper les services écosystémiques en tranches, ils renonceraient à l'illusion de la compensation et de la neutralité carbone, ils constitueraient des instruments qui contribuent à la fois au climat, à la biodiversité, à la qualité de l'eau, à la santé des sols et, bien évidemment, au partage des bénéfices avec les populations locales », ajoute l'économiste.
« Ce qui va être lancé à Cali, explique une source proche des négociations, c'est de poser les grands principes sur trois sujets : la mesure des résultats, l'équité pour ceux qui préservent la nature et le principe de la bonne gouvernance des marchés. » Et d'ajouter : « Si on a un cadre à la sortie de la COP, on aura fait ce que l'on n'avait pas réussi à faire pour les crédits carbone. »
1. Télécharger le dossier Crédits Biodiversité : vers un nouveau marché de la nature en Europe