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Covoiturage : faute de ciblage, l'enjeu n'est pas à la hauteur de l'investissement
16/09/2023
© Richard Villalon
Dix mois après le lancement du Plan national pour le covoiturage, La Fabrique écologique et le Forum Vies mobiles ont mené une étude sur l'évolution de la pratique et l'effectivité des investissements de l'État en la matière.
Le covoiturage pour les trajets quotidiens de courte distance constitue-t-il une réponse suffisamment structurante pour atteindre la neutralité carbone et justifier le soutien de l'État ? D'après les conclusions d'une nouvelle étude, présentée ce 12 septembre et conduite par deux laboratoires d'idées, La Fabrique écologique et le Forum Vies mobiles, rien n'indique qu'il en soit ainsi.
Une pratique à la hauteur de l'enjeu ?
Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports, le Secrétariat général à la planification écologique du Gouvernement mise en partie sur le covoiturage. D'ici à 2030, il compte passer ce bilan de 129 à 92 millions de tonnes d'équivalent dioxyde de carbone par an (MtCO2e/an). Entre 8 et 12 % de cette réduction doit être couverte par la mutualisation des trajets automobiles impliquant un moteur thermique. Concrètement, avec son Plan national pour le covoiturage lancé en janvier dernier, l'État souhaite augmenter le nombre de trajets en covoiturage effectués chaque jour de 900 000, en 2022, à trois millions, en 2027 (reprenant l'objectif initialement fixé pour 2023 par la loi d'orientation des mobilités en 2018).
Les modalités de soutien prévues par l'État ne touchent néanmoins qu'une fraction de cette mobilisation. En 2022, moins de 1 % des trajets covoiturés ont été réalisés par le biais des plateformes et applications spécialisées (et environ 3 % jusqu'ici en 2023, selon les estimations de l'étude). Celles-ci les enregistrent dans un registre de preuves du covoiturage et les comptabilisent auprès de l'Observatoire national du covoiturage. Ce sont ces mêmes trajets qui bénéficient de la prime nationale au covoiturage et des éventuelles incitations locales financées pour moitié par l'État. Ces deux dispositifs occupent les deux tiers de l'enveloppe de 150 millions d'euros constituée pour ce plan. « Autrement dit, l'État finance davantage le covoiturage enregistré que le covoiturage informel, autoréalisé, qui représente pourtant plus de 97 % de tous les trajets covoiturés réalisés chaque jour », souligne Matthieu Bloch, chef de projet au Forum Vies mobiles et copilote de l'étude.
Deux tiers du financement pour 1 % du covoiturage
Les objectifs pour le covoiturage.© SGPE
Qu'en est-il de l'effectivité des éléments financés par le tiers restant, censé soutenir la pratique en elle-même, comme les investissements dans des aires de covoiturage ou des voies réservées ? Dans les faits, d'après les observations et témoignages recueillies par le Forum Vies mobiles dans sept collectivités métropolitaines, cette aide infrastructurelle ne participe pas à la massification souhaitée. Dans le meilleur des cas, « grâce à la promotion de la pratique, à des indemnisations pour les conducteurs et l'ouverture de lignes spéciales, la métropole de Rouen a multiplié par dix le nombre de trajets covoiturés, indique Nolwenn Biard, chargée d'études à La Fabrique écologique et copilote de l'étude. Cependant, cette situation s'appuie surtout sur des distances très courtes, par exemple depuis ou à destination d'un campus universitaire, qui auraient pu être réalisées à vélo ou en transports en commun, et ne participe donc pas à réduire les émissions ».
Du reste, selon l'étude, les aires de covoiturage apparaissent souvent inaccessibles à pied ou à vélo et les voies spéciales en expérimentation ne sont pas contrôlées et sont victimes de fraudes de la part des autosolistes. « Dans le parc industriel de la plaine de l'Ain, qui incite financièrement au covoiturage, nous n'avons dénombré qu'un très faible usage de la pratique : 46 trajets par jour sur les 16 000 allers ou retours quotidiens », ajoute Nolwenn Biard. Pour Giraud Guibert, directeur de La Fabrique écologique, c'est peut-être le signe que la marche du changement comportemental et sociétal reste, elle aussi, difficile à franchir. « Il ne faut pas mésestimer que la logique du covoiturage s'inscrit dans l'économie de l'usage et non dans l'économie de la propriété, qui domine la logique individualiste de notre société. »
La nécessité d'un meilleur ciblage
Face à ces nombreux défis, les deux laboratoires d'idées articulent une demi-douzaine de recommandations. À l'échelle nationale, ils sollicitent la conduite d'enquêtes nationales annuelles sur le covoiturage informel (à la manière de ce que réalise déjà, seulement tous les dix ans, l'Institut national de la statistique et des études économiques), pour avoir une meilleure idée de son importance réelle, mais également d'une enquête d'ampleur sur la pratique par une institution comme l'Agence de la transition écologique (Ademe). À l'échelle locale, ils privilégient un meilleur ciblage des incitations avec une restriction aux trajets sans alternative (plus de cinq kilomètres et sans option de transports en commun), la constitution de tarif préférentiel pour les covoitureurs dans les parkings avec contrôle d'accès ou encore le développement d'un meilleur accompagnement technique et financier pour les entreprises et les services des collectivités.
Félix Gouty / actu-environnement