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Capter le CO2 dans l’air : des milliards sur la table, mais pas de solution miracle
12/09/2023
Cela ne doit pas devenir un moyen pour les entreprises de continuer à polluer », met en garde Pascale Bénézeth. (Crédits : Mike Blake)
Du pétrole, oui… mais « net zéro ». Telle est la promesse de l’Américain Occidental Petroleum, qui mise largement sur le captage du CO2 dans l'atmosphère terrestre pour décarboner ses activités d’extraction et de vente d’hydrocarbures. De quoi faire grincer des dents les scientifiques et les ONG. Et pour cause, l’efficacité de cette technologie reste largement contestée, et le modèle économique toujours inexistant. Cependant, recourir à une telle solution sera en réalité indispensable pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, estime le Giec. Mais uniquement en dernier recours, et en aucun cas pour justifier de nouveaux investissements dans les énergies fossiles, affirment les spécialistes. Explications.
Si le dérèglement climatique trouve son origine dans la concentration trop importante de gaz à effet de serre, notamment de dioxyde de carbone (CO2), dans l'atmosphère terrestre, pourquoi ne pas absorber ce CO2 afin de le stocker en sous-sol ou le réutiliser ? Piste prometteuse pour certains, pari « techno-solutionniste » pour d'autres, l'idée, en tout cas, fait son chemin. Et notamment, chez les producteurs d'hydrocarbures, en quête d'outils pour décarboner rapidement leurs activités, tout en continuant d'engranger des profits.
Fin août, le pétrolier américain Occidental Petroleum (Oxy) a ainsi annoncé qu'il rachèterait pour 1,1 milliard de dollars la startup canadienne Carbon Engineering, qui fournit des « solutions de captage direct de CO2 dans l'air ». Cette dernière peut d'ailleurs également compter sur le soutien de la deuxième compagnie pétrolière des Etats-Unis, Chevron, laquelle a également investi dans l'entreprise.
Quant à la plus grosse supermajor du pays, ExxonMobil, celle-ci n'est pas non plus en reste : en juillet dernier, ce géant de l'or noir a racheté Denbury, spécialiste de l'extraction de combustibles fossiles... et de la capture du CO2. Mettant ainsi la main sur un vaste réseau de 1.500 kilomètres de tuyaux pour le transport de ce gaz à effet de serre.
Subventions via l'IRA
Seulement voilà, en 2022, la plus grande installation de captage direct de CO2 dans l'air au monde, ou « DAC » (direct air capture), qui se trouve en Islande, n'éliminait que 4.000 tonnes de CO2 environ. Tous projets confondus, ce sont environ 10.000 tonnes de CO2 qui ont ainsi été retirés de l'atmosphère cette année-là. Soit une goutte d'eau dans l'océan fossile, alors que l'humanité en a émis, dans le même temps, quelque 40 milliards de tonnes.
Malgré ces résultats plus que timides, cette industrie embryonnaire profite pourtant d'énormes injections de capitaux pour se développer, parfois sans conditions ou presque, notamment aux Etats-Unis avec le fameux Inflation Reduction Act (IRA) de Joe Biden. Preuve en est, ces derniers mois, Oxy et Carbon Engineering, par exemple, ont bénéficié de subventions de plusieurs millions de dollars du ministère américain de l'Énergie, pour éliminer un million de tonnes de CO2 par an au Texas.
De quoi susciter de nombreuses critiques, exacerbées par la communication tapageuse d'Oxy : en août, l'entreprise s'est félicité d'avoir signé, avec le Sud-Coréen SK Trading International, un accord pour importer dès 2025 200.000 barils de pétrole... « net zéro ». La raison invoquée : à cette échéance, les émissions seront intégralement compensées par la solution de Carbon Engineering, avec « un million de tonnes de CO2 » qui seront collectées chaque année au Texas, promet l'énergéticien.
« Dans ces conditions, le DAC apparaît comme une méthode pour continuer d'exploiter du pétrole malgré l'urgence climatique », regrette le physicien Greg de Temmerman, co-auteur d'une récente note sur l'élimination du carbone atmosphérique.
Pourtant, gare à ceux qui voudraient jeter le bébé avec l'eau du bain : « Selon le Giec, il sera quasiment impossible d'atteindre la neutralité climatique en 2050 sans élimination du CO2 dans l'air », poursuit-il. Car si la priorité absolue sera de réduire les émissions au maximum, « il restera une partie incompressible, issue de secteurs très difficiles à décarboner complètement d'ici à 30 ou 40 ans », explique le physicien. Comme le transport maritime ou aérien, ou encore l'agriculture, par exemple.
Ventilateurs géants
Mais de quoi parle-t-on concrètement ? D'abord, il faut différencier le DAC du CCS, pour Carbon Capture and Storage, un autre procédé de captage des émissions. Alors que le DAC consiste à piéger le CO2 présent directement dans l'air que l'on respire, le CCS revient à attraper celui qui se trouve à la sortie des usines polluantes, dans la fumée issue des centrales à charbon ou des cimenteries, par exemple.
« Dans un cas, on capture à la source le carbone émis, et dans l'autre, on l'élimine de l'atmosphère », précise Greg de Temmerman.
Si le CCS existe depuis une trentaine d'années, la première infrastructure de DAC s'avère bien plus récente. Edifiée en 2017, l'usine Artic Fox, située en Islande, est capable d'éliminer une cinquantaine de tonnes de CO2 par an. D'autres ont suivi, et notamment l'usine Orca, inaugurée en septembre 2021 par l'entreprise suisse Climeworks, toujours en Islande. Installée sur une des lignes d'injection, elle est désormais la plus importante au monde en termes de volume, avec, donc, jusqu'à 4.000 tonnes de CO2 capté par an.
Concrètement, celle-ci repose sur une structure inédite composée de huit unités de ventilateurs géants. Ces aérateurs augmentent le flux d'air qui passe sur un filtre recouvert de solvants et divers produits chimiques, où sont capturées les molécules de CO2 avant que des trappes ne se referment, y piégeant le carbone. Le filtre en question se voit ensuite chauffé à 100°C, permettant au CO2 de se désorber, c'est-à-dire de s'en détacher. Ce dernier peut alors circuler dans un réseau d'injection souterrain. Commence alors la phase de séquestration de ces particules : mélangées à de grandes quantités d'eau pompée dans les puits islandais, elles sont injectées à plus de 800 mètres sous terre. Ce qui entraîne, au bout d'un certain temps, la minéralisation du CO2.
Un procédé extrêmement énergivore et coûteux
Sauf qu'une telle infrastructure n'est pas réplicable partout, loin de là. Des conditions bien particulières se trouvent en effet réunies sur ce lieu insolite, situé à une trentaine de minutes de Reykjavik. Et pour cause, afin d'alimenter cette usine, cet Etat insulaire dispose d'une géologie unique et enviée, qui permet de profiter à foison d'une énergie renouvelable, non intermittente et bon marché : la géothermie, qui exploite la chaleur du sol ou de l'eau du sous-sol. Ce qui n'est pas le cas dans le bassin permien, au Texas, où la solution de Carbon Engineering est censée se déployer. Or, « si l'énergie utilisée pour capter le CO2 est elle-même carbonée, ça n'a pas de sens », rappelle Pascale Bénézeth, directrice de recherche au CNRS. Par ailleurs, l'hydrographie abondante de l'Islande facilite la tâche, puisqu'environ 25 tonnes d'eau sont nécessaires pour séquestrer une tonne de CO2.
Surtout, même avec ces conditions idéales, le modèle économique reste bien difficile à trouver. Bien plus encore que pour le CCS, déjà très controversé et toujours marginal à l'échelle planétaire. « Dans les fumées des usines, la concentration de CO2 monte jusqu'à 20%, voire plus. Mais dans l'air, on parle de 0,04% seulement ! », explique Florence Delprat-Jannaud, directrice à l'IFP Energies nouvelles (IFPEN). Résultat, le procédé s'avère très énergivore, et coûte extrêmement cher.
Aujourd'hui, la tonne de CO2 captée s'élève ainsi à plusieurs centaines, voire milliers de dollars, selon les hypothèses retenues, contre environ 50 et 180 euros pour le CCS. Aux Etats-Unis, selon Bloomberg, le coût moyen d'un crédit DAC se situe même actuellement à 1.100 dollars la tonne de CO2, le plus élevé dépassant 2.200 dollars ! De quoi décourager les émetteurs, à la recherche de solutions compétitives. « Souvent, il sera en réalité moins cher de diminuer les émissions de CO2 que d'essayer de le capter dans l'air », pointe Greg de Temmerman.
A la recherche du Saint Graal
Et pourtant, les porteurs de projet continuent d'investir massivement. L'an dernier, Climeworks a ainsi réalisé une levée de fonds de 650 millions de dollars, et affiche un objectif ambitieux : parvenir, à terme, à capturer 1 million de tonnes de CO2 par an. De leur côté, Oxy et Carbon Engineering parient que des innovations les aideront à réduire leurs coûts à environ 400 dollars la tonne de CO2 d'ici à 2030, avant d'atteindre le seuil symbolique des 100 dollars la tonne à la moitié du siècle.
Pour ce faire, « énormément de recherches ont lieu actuellement », affirme Greg de Temmerman, persuadé qu'Orca reste « largement perfectible en termes d'efficacité énergétique ». Récemment, une startup ayant vocation à faire émerger de nouvelles innovations de rupture pour préserver le climat et installée à Paris, Marble Climate, a assuré avoir « développé un processus électrochimique à très faible énergie », et ainsi construire « le DAC le plus économe en énergie au monde ».
« Il y a pas mal de technologies en développement. Mais même si ça marchait en laboratoire, il faudrait l'éprouver à l'échelle industrielle, et savoir à quel prix », estime Greg de Temmerman.
« Le secteur cherche des procédés de rupture, innovants, en bref un game-changer. Mais rien n'a suffisamment abouti pour l'instant », ajoute Florence Delprat-Jannaud.
Eviter les chèques en blanc
Aux Etats-Unis, en tout cas, les espoirs sont immenses. Alors que le pays prévoit de déployer un réseau de DAC sur tout le territoire, Climeworks a reçu, aux côtés d'Oxy, une partie des 1,2 milliard de subventions du ministère pour opérer une usine en Louisiane, « conçue pour atteindre une capacité de production de plusieurs mégatonnes d'ici 2030 ». Et malgré le prix toujours stratosphérique de la tonne éliminée, quelques grandes entreprises polluantes s'y intéressent de près. Dont Microsoft et Shopify, qui ont reçu leurs premiers certificats de CO2 « compensé » par Climeworks, début 2023.
Mais la vigilance reste de mise, pour éviter tout greenwashing : « Cela ne doit pas devenir un moyen pour les entreprises de continuer à polluer », met en garde Pascale Bénézeth. « ll faut éviter à tout prix que l'industrie pétrolière s'en serve pour faire comme avant », abonde Greg De Temmerman. Et de conclure : « Un monde dans lequel on stockerait les 40 milliards de tonnes de CO2 que l'on émet chaque année, ça n'existe pas ».