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« En agriculture, pour adapter les pratiques au climat, il faut aller dans le détail »

16/11/2024

« En agriculture, pour adapter les pratiques au climat, il faut aller dans le détail »

Florent Baarsch - Fondateur et CEO de Finres, spécialisée dans l’adaptation

L'agriculture est particulièrement touchée par les événements climatiques extrêmes, appelés à se multiplier. Des mesures d'adaptation sont indispensables, mais pas si simples à définir, comme nous l'explique Florent Baarsch, de l'entreprise Finres.

Actu Environnement : Vous avez mené une étude sur l'impact des récents événements climatiques sur l'agriculture. Quelles en sont les conclusions ?

Florent Baarsch : L'année 2024 a été particulièrement humide, se traduisant par l'une des pires récoltes de céréales des quarante dernières années avec, par exemple, une baisse de 26 % de la production de blé tendre, la culture la plus répandue en France. Nous avons donc voulu savoir si c'était une année exceptionnelle, qui n'avait pas vocation à se reproduire, ou si, au contraire, ces événements étaient amenés à se répéter dans le futur. En fait, il s'agit de la quatrième année où les récoltes de blé tombent en dessous des 30 millions de tonnes : 2003 et 2020 étaient marquées par de l'extrême sécheresse, 2016 et 2024 par de l'extrême humidité. Or, si les sécheresses ont un impact fort sur les récoltes, les effets des événements humides sont encore plus importants.

On a donc voulu pousser les modèles et voir si ce type d'événements allait devenir plus fréquent à l'avenir. Résultat : sur les six régions (1) les plus productrices de blé, à court et moyen terme, ces événements pourraient augmenter de 20 à 30 % (2) . Nous avons été assez surpris par ce signal assez clair. Il est urgent de pouvoir s'adapter.

AE : Comment adapter l'agriculture à des aléas aussi différents et quelles solutions déployer ?

FB : Nous manquons d'informations, de connaissances sur ces sujets. Il est donc important de mettre à disposition des agriculteurs toutes les données dont on dispose aujourd'hui sur l'évolution du climat à court terme, puisque leur horizon d'investissement est à quinze, vingt ans. Ces aléas exceptionnels auront un impact sur les rendements, donc sur les revenus. Il faut pouvoir aller dans le détail afin de hiérarchiser les mesures d'adaptation à mettre en œuvre.

Notre objectif est de mesurer l'effet des différents types de solutions, pour pouvoir recommander des technologies et des pratiques aux agriculteurs de manière personnalisée, selon la typologie de l'exploitation, la localisation, la taille… L'application AgHorizon que nous avons développée délivre des prévisions détaillées sur l'évolution des aléas climatiques auxquels les exploitants pourraient être exposés, leurs conséquences sur leurs rendements et revenus, mais aussi, et surtout, sur les technologies et pratiques d'adaptation à mettre en place en priorité. Nous travaillons avec les Jeunes Agriculteurs. Notre approche est agnostique, nous étudions les effets de huit catégories de mesures : le drainage, l'irrigation, l'ombrage, les brise-vent, les serres, les filets, l'agroforesterie et la couverture des sols. Nos modélisations portent sur l'ensemble du territoire, sur onze cultures dans un premier temps.

AE : La difficulté est de décider dans un monde de plus en plus incertain…

FB : Sur l'adaptation, il n'y a pas de nouvelles ressources fléchées sur l'agriculture, le Pnacc fait référence à des fonds existants. Notre objectif est donc d'identifier des mesures qui pourraient se rembourser par elles-mêmes. Ce qui n'est pas le cas pour toutes les mesures, pour toutes les cultures et dans toutes les régions…. Mais, dans certains cas, des retours sur investissements intéressants peuvent permettre de s'appuyer sur des financements privés pour les mettre en œuvre. C'est le cas du drainage, par exemple, si on prend en compte les données de 2024, de l'irrigation dans certains cas, de l'agroforesterie et des brise-vent dans le sud de la France, où le climat est sec et venteux.

Notre objectif est de répondre à des questions sur l'impact de ces mesures d'adaptation sur les rendements, leurs bénéfices et les risques associés. Il faut effectivement avoir conscience des conséquences et des incertitudes à prendre certaines décisions. L'idée est d'apporter des réponses, mais nous sommes au début de la démarche. On apprend avec le changement climatique qu'il y a des conséquences que l'on est incapable d'anticiper. L'année 2016 a été marquée par un hiver et un printemps très pluvieux. Si on ne l'avait pas prise en compte dans nos modèles, on n'aurait pas été capables de prévoir 2024. Les modèles que l'on utilise apprennent au fur et à mesure. Il se produit actuellement des événements qui ont été peu vus ces trente ou quarante dernières années. Certains risquent donc de se produire, mais on ne peut pas encore en modéliser les conséquences. L'exemple récent de l'Espagne nous le montre : on ne pensait pas qu'une telle intensité de pluie était possible.

Dans notre approche, nous paraphrasons Aristote : la seule chose que l'on sait, c'est que tout est incertain. Nous faisons des dizaines de milliers de simulations pour tester le maximum de situations et faire ressortir la mesure d'adaptation la plus pertinente, celle qui a la plus forte probabilité de succès sur la hausse des rendements par exemple. C'est une approche recommandée par le Giec sur la prise de décision dans un univers incertain.

AE : Y a-t-il des zones où les mesures d'adaptation ne seront pas suffisantes ? Faudra-t-il déplacer certaines cultures, modifier les pratiques ?

FB : Dans les Pyrénées-Orientales, on voit des signaux de sécheresse et de chaleurs extrêmes. Dans cette zone, certains agriculteurs se tournent vers des cultures nouvelles, comme l'aloé vera. À l'échelle nationale, si on regarde les cartes établies par l'Agreste, on voit également que le sorgho, qui était assez peu présent, se diffuse désormais en direction du nord dans quasiment tous les départements.

1. Centre Val-de-Loire, Grand-Est, Ile-de-France, Pays de la Loire, Hauts-de-France et Normandie

2. Par rapport à la période 2000-2020

Propos recueillis par Sophie Fabrégat, journaliste actu-environnement

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