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En Méditerranée, cette plante étonnante empêche la disparition des plages

18/04/2024

En Méditerranée, cette plante étonnante empêche la disparition des plages

Si certains les trouvent disgracieuses et odorantes, les posidonies empêchent l'érosion et préservent la faune et la flore des plages marseillaises. - © Emilio Guzman/Reporterre

Elles semblent des feuilles mortes brunes sur les plages de Marseille. Mais les posidonies constituent des « banquettes » amortissant les vagues qui grignotent les sédiments du littoral.

Marseille (Bouches-du-Rhône), reportage

Coincée entre la corniche Kennedy et la digue qui la protège, la plage du Prophète, dans le 7e arrondissement de Marseille, défie l’érosion marine. Elle a la particularité de s’engraisser de sable naturellement, grâce à une étonnante plante sous-marine.

Cette plante, c’est la posidonie, dont les feuilles mortes forment une épaisse couche brune sur le front de mer, la « banquette ». Celle-ci amortit la puissance des vagues et amoindrit leur pouvoir d’emporter le sable vers le large. Devant la banquette, l’eau est également gorgée de feuilles mortes. « Ça donne une viscosité qui réduit aussi le pouvoir d’érosion de l’eau », explique Patrick Astruch, biologiste marin à Aix-Marseille université. On la retrouve, selon l’exposition, le vent et les marées, sur toutes les plages de Marseille.


La plage du Prophète, dans le 7e arrondissement de Marseille, s’engraisser de sable naturellement, grâce à la posidonie. © Emilio Guzman/Reporterre

Reporterre visite la plage alors que le printemps débute, en compagnie de ce scientifique, membre du groupement d’intérêt scientifique (GIS) posidonie – qui étudie et agit pour protéger la plante « endémique de Méditerranée » – et d’Hervé Menchon, l’adjoint à la mer de la Ville de Marseille.

Une championne de la biodiversité et du climat

À la différence de nombreuses communes méditerranéennes qui enlèvent les posidonies mortes, les jugeant disgracieuses et incommodantes, la Ville de Marseille, pour la deuxième année, a décidé de les laisser sur les plages. L’enjeu est de restaurer le cycle naturel de la plante, aux multiples fonctions écologiques indispensables aux écosystèmes.

Morte, l’herbe fournit sur les plages et les dunes des nutriments à la flore marine, comme la soude, le pourpier de mer, la criste marine, le chiendent des sables… et à la petite faune des sables, comme les puces de mer et autres petits arthropodes et mollusques).


Une fois morte, la posidonie fournit des nutriments à la flore marine et à la petite faune des sables. © Emilio Guzman/Reporterre

Vivante, elle s’étend en vastes prairies sous-marines, où ont été observées par le GIS posidonie un quart des espèces végétales et animales de Méditerranée. Ces herbiers servent de garde-manger, d’abri, de lieu de reproduction et de nurserie pour de nombreuses espèces de la faune marine, comme les dorades, les saupes, les sarrans, les rascasses, les seiches, les grandes nacres…

À surface égale, cette plante à fleurs stocke, via ses rhizomes profondément enfouis, « 3 à 5 fois plus de carbone que les forêts tropicales et jusqu’à sept fois plus qu’une forêt de feuillus française », a calculé le Parc national des Calanques.

Les longues et fines feuilles vertes de posidonies oxygènent l’eau par sa photosynthèse et amortissent également la force de la houle par leur battement dans le courant. C’est à l’automne que la plante perd une partie de ses feuilles, un peu comme les arbres, à mesure que la luminosité baisse.

« Le vrai paysage de Méditerranée »

« Ce que vous avez sous les yeux, cette masse sombre, c’est le vrai paysage de Méditerranée », dit Hervé Menchon, l’adjoint à la mer de Marseille (Écologistes), tandis qu’il nous invite à marcher sur une cinquantaine de centimètres de feuilles mortes de posidonies.

L’élu veut tourner la page d’un « modèle économique balnéaire qui a aseptisé les plages en retirant les herbes mortes au printemps et qui a modifié l’imaginaire du paysage méditerranéen en collant au stéréotype des plages d’un sable blanc immaculé typiques des Maldives. »


Les posidonies font partie du paysage méditéranéen, loin de l’imaginaire véhiculé par les stations balnéaires. © Emilio Guzman/Reporterre

La banquette de posidonies du Prophète s’étale jusque sur les rochers qui supportent la corniche. Par endroits, une épaisseur d’un mètre fait face au clapot. « Vous ressentez sous vos pieds comme c’est moelleux. Même sur un sol en forêt, on a du mal à retrouver cette sensation », s’enthousiasme le chercheur Patrick Astruch. « Mon gosse de 8 ans s’éclate dessus. Il saute comme si c’était un trampoline », dit Hervé Menchon.

Alors que nous approchons du petit club nautique Yachting club Prophète, deux sociétaires viennent porter la contradiction. En maillot de bain, la peau burinée par le soleil, Henri et Stéphanie Tamburini s’agacent d’un trop-plein de posidonies.

« Ce n’est pas la posidonie qui nous emmerde, c’est l’odeur. On fait attention aux posidonies avec notre bateau, à ne pas y mettre l’ancre pour ne pas les arracher au fond de l’eau. Mais regardez cette plage, on dirait un marais », dit Henri en désignant l’eau stagnante dans la banquette.

Une légère odeur de décomposition en émane. Le couple assure qu’elle sera plus forte lorsque le mercure grimpera et que cette décomposition pourrait être à l’origine de problèmes sanitaires. « Ce n’est pas la posidonie qui sent, ce sont d’autres éléments organiques qui peuvent s’y retrouver piégés et se décomposent », répond Hervé Menchon.

« J’ai honte de Marseille »

« C’est la première fois que c’est comme ça. On ne peut plus sortir nos bateaux », dit Henri à Reporterre. La mise à l’eau en béton du club nautique est désormais encombrée de feuilles mortes de posidonies et jusqu’à plus d’une dizaine de mètres de la mer. Les petits bateaux pneumatiques sont alignés sous bâche. « Vous voyez cette bouée, on y accrochait nos bateaux. Elle était dans 80 cm à un mètre d’eau », explique Stéphanie en montrant le mouillage blanc posé sur le sable et les posidonies marron.

Elle préférerait que soient « ménagés la chèvre et le chou pour avoir une plage accessible ». Autrement dit, qu’une partie de la banquette soit enlevée. « Il faudrait qu’elle soit mise de l’autre côté de la plage, où la baignade n’est pas surveillée et où on ne met pas les bateaux à l’eau », propose Henri.

Sur la plage, d’autres avis sont encore plus tranchés. « Regardez ce que notre maire fait. C’est pas beau. J’ai honte de Marseille », ne décolère pas Raymonde Castellan, qui part se baigner sous un canotier à large bord. La sexagénaire, habituée quotidienne du site, souhaiterait que toute la banquette soit retirée.


Pour les enfants, les branches et feuillages qui gisent sur la plage en font un terrain de jeu. © Emilio Guzman/Reporterre

D’autres usagers de la plage se réjouissent au contraire de sa présence. À l’image de Jeanne Lavialle, qui fréquente la plage avec son compagnon et ses deux enfants de 5 et 3 ans. Ceux-ci jouent avec des bâtons laissés par la dernière tempête sur le sable et sur la banquette. « C’est super de laisser l’écosystème en place. Le nettoyer, c’est le détruire. Il abrite plein de petites bêtes », dit la Marseillaise, botaniste de profession.

Une plante « protégée vivante ou morte »

« La posidonie est protégée, vivante ou morte, dit Patrick Astruch, du GIS posidonie. Pour déplacer les banquettes et même pour les manipuler pour des aménagements ou à des fins scientifiques, il faut faire une demande de dérogation aux services de l’État. »


Cette plante évite de recourir au réensablement des plages. © Emilio Guzman/Reporterre

Les dérogations sont en général facilement accordées, à condition que les feuilles mortes soient laissées dans le milieu naturel, sur terre ou en mer. Ainsi, pour préparer la saison estivale, de nombreuses communes de la Côte d’Azur pratiquent le « clapage ». Les feuilles mortes sont chargées dans des bateaux à fond ouvrant. Au large, ils larguent leur cargaison qui coule dans des fosses marines.

Une méthode apportant des nutriments aux espèces des abysses, revendiquée comme écologique dans la presse locale.

Patrick Astruch en doute. « Déjà, on ne met plus de la posidonie morte en décharge, c’est bien. De façon naturelle, elle a vocation à repartir à la mer jusque dans les grands fonds. Mais pas d’un coup avec ces énormes volumes. Les écosystèmes de grand fonds ont une dynamique lente. Ils risquent d’être étouffés par cette trop grande masse de matière organique », explique le biologiste marin.


L’été, les posidonies sont parfois déplacées de certaines zones de plage pour faciliter la surveillance de la baignade. © Emilio Guzman/Reporterre

La Ville de Marseille n’applique pas non plus un non-interventionnisme total sur les plages sur lesquelles la posidonie s’accumule. « Chaque année, avant la saison balnéaire, nous reprofilons les plages pour enlever les bosses qui empêchent la vue pour surveiller la baignade, par exemple. À l’occasion de ce reprofilage, nous expérimentons un millefeuille de sable et de posidonies », explique l’adjoint à la mer, Hervé Menchon.

Il espère que les empilements de couches de sable et de végétaux permettront de conserver les propriétés des banquettes de posidonie et ainsi de ne pas recourir au réensablement artificiel des plages tout en conservant l’attrait habituel des baigneurs. À l’adresse des plaisanciers énervés, il propose de s’adapter, par exemple, avec des roues sur les remorques des bateaux pour passer la banquette.

La Ville installe actuellement des panneaux à proximité des plages et une application accessible par QR code pour informer sur le cycle de la posidonie. Pour s’adapter, un imaginaire balnéaire est à réinventer.

reporterre

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