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Voiture électrique : « Une mine verte, ça n’existe pas »

12/11/2022

Voiture électrique : « Une mine verte, ça n’existe pas »

La carrière gérée par Imerys à Echassières, dans l’Allier, le 24 octobre 2022.     Corentin Garault/PHOTOPQR/LA MONTAGNE/MAXPPP

Le projet de mine d’extraction du lithium en Allier, si mirifique paraisse-t-il, pose la question de la stratégie industrielle de la France et de sa compatibilité avec les engagements environnementaux. Il impose de construire les procédures démocratiques pour accompagner un tel déploiement.

« La voiture électrique ? Nous voulons la rendre accessible à tous. Nous avons les moyens d’avoir une filière 100 % circulaire et souveraine. » À l’occasion du Mondial de l’automobile, mi-octobre, Emmanuel Macron résumait ainsi ses objectifs sur la voiture électrique qui doit remplacer le véhicule thermique d’ici à 2035 pour respecter le « pacte vert » européen. Du français, du populaire, de l’écologique. Le David français contre les Goliath chinois et américain !

Quelques jours plus tard, le groupe minier Imerys annonçait l’ouverture à Beauvoir, dans l’Allier, d’ici à 2027, de « l’un des plus grands projets d’extraction de lithium de l’Union européenne » avec un potentiel de production impressionnant : un million de tonnes d’oxyde de lithium sous la terre, une production de 34 000 tonnes par an à partir de 2028 pour une durée d’au moins vingt-cinq ans, et l’équivalent de 700 000 véhicules électriques équipés en batteries par an.

Des chiffres adossés à des bénéfices sociaux – 1 000 emplois directs et indirects à terme – et des engagements environnementaux : émissions de CO2 inférieures de moitié à celles de toutes les autres exploitations existantes, eau utilisée en circuit fermé, mine souterraine, transport par train. « On n’a pas de pétrole mais on a du lithium », énonçait Emmanuel Macron sur France 2 le 26 octobre. Fermez le ban.

Un zeste de pensée magique

La séquence politique était bien orchestrée. Elle a joué sur l’effet de surprise, un zeste de pensée magique et la fierté nationale. Cela ne doit pas nous empêcher de comprendre ce qui se joue en termes de stratégie industrielle, d’évaluer ce que valent les promesses environnementales, ou de construire – nous ne sommes pas en Chine – les procédures démocratiques pour accompagner un tel déploiement.

Stratégie industrielle d’abord. Selon l’Agence internationale de l’Énergie, pour respecter les objectifs de l’accord de Paris il est nécessaire, d’ici à 2050, de multiplier pratiquement par deux le volume des métaux – aluminium, cuivre, lithium, cobalt – utilisés dans le monde. C’est le prix à payer pour verdir nos technologies. Le besoin en lithium y apparaît comme stratégique et même dévorant, avec des estimations allant jusqu’à une augmentation de 3 500 % de la consommation actuelle. Cette croissance est liée à la montée en puissance des technologies vertes.

Une fois celles-ci arrivées à maturité, comme le rappelle une étude récente (1) de l’université de Louvain en Belgique, ces métaux pourront être réutilisés grâce au recyclage. Encore faut-il dès aujourd’hui organiser ces filières d’économie circulaire et les produits qui vont avec – écoconception – pour ne pas être confrontés à des difficultés similaires à celles de la sortie du modèle industriel actuel. La même étude appelle d’ailleurs à rester prudent sur ces projections, rappelant que d’autres innovations technologiques pourraient bousculer la montée en puissance des filières (2). Il s’agit donc de ne pas tomber dans une extraction aveugle qui épuiserait les ressources et aurait des conséquences environnementales désastreuses.

Des raisonnements du vieux monde

Surtout, n’est-il pas urgent de résister à la tentation de plaquer sur la transition énergétique des raisonnements du vieux monde ? Que la voiture électrique soit à la portée de toutes les bourses, qui s’en plaindrait ? Mais à la condition de donner aux hypothèses sur lesquelles repose la transition écologique leur pleine portée : la distinction entre déplacements contraints et choisis, la possibilité de rapprocher bassins de vie et d’emploi, la préférence donnée aux transports en commun sur le véhicule individuel, et plus généralement une relation à la technologie favorisant une vision de l’innovation plus sociale que technique.

La réponse au mouvement des gilets jaunes n’est pas une voiture électrique pour chacun. Elle est collective et nécessite le désenclavement des territoires ruraux et périurbains par des transports adaptés dans lesquelles des véhicules électriques joueront un rôle. Qu’ils puissent être partagés doit être un objectif !

Évaluation environnementale ensuite. À Beauvoir, la concentration en lithium est de l’ordre de 0,9 à 1 %, c'est-à-dire qu’il faut extraire près de 100 tonnes de roche pour une tonne de ce métal. Imerys a donné des garanties: réduction des rejets toxiques et de la consommation d’eau, installation souterraine, etc. Les émissions de l’exploitation seraient de 8 kg de CO2 par tonne de lithium, contre de 16 à 20 kg en Australie et en Chine.

Débat démocratique

Mais, soyons honnêtes, une mine verte ça n’existe pas ! En France, Barbara Pompili avait créé l’émoi, en 2021, en évoquant la possibilité d’exploiter un gisement de lithium situé dans le Finistère à Tréguennec sous un site classé Natura 2000 géré par le Conservatoire du littoral. Comme Tréguennec, la mine de Beauvoir est une sorte de précipité des difficultés de mise en œuvre de la transition écologique, qui doit mener de front préservation de la biodiversité et transformation de l’appareil industriel. La tentation de sacrifier la biodiversité pour produire autrement – au nom du verdissement – reste encore très forte, tant l’idée de protéger la nature reste difficile à imposer aux milieux politiques et économiques.

Comment, alors, ne pas plaider pour des procédures de débat démocratique qui permettraient d’exposer les tenants et les aboutissants de ce type de réindustrialisation et d’en faire les éléments d’un projet de société écologique ? Les justifier d’en haut au nom du « climat » dans une communication conjointe entre un gouvernement et une grande entreprise n’est guère la panacée, et pourrait entraîner, si ces projets deviennent plus nombreux, une grande défiance et un regain de protestations.

Il reste à imaginer les cadres appropriés pour ces débats où la complexité des enjeux le disputera sans doute à l’expression d’intérêts contradictoires, et où le global, l’européen et le local se confronteront directement. Une nouvelle fois l’écologie nous invite à l’inventivité démocratique pour construire le projet de société qu’elle appelle. L’écologie populaire, celle qui s’adresse à tous, est à ce prix.

(1) https://eurometaux.eu/media/20ad5yza/2022-policymaker-summary-report-final.pdf

(2) Voir sur ce point cet entretien sur les possibilités offertes par une filière zinc : https://www.environnement-magazine.fr/cleantech/article/2022/09/29/140978/salima-fassi-parier-sur-une-solution-zinc-plus-sens-que-parier-sur-lithium

www.la-croix.com

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