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Performance énergétique des bâtiments : ce que change la nouvelle directive pour le parc tertiaire
20/06/2024
L'Europe souhaite accélérer les rénovations du parc immobilier tertiaire et le passage à des bâtiments neutres en carbone d'ici à 2050. © Tricky Shark
La RE 2020 et le décret Tertiaire devront évoluer pour transposer la nouvelle directive européenne sur la performance énergétique, qui vise la rénovation du parc public et non résidentiel, et la construction de bâtiments neufs à émissions nulles en 2030.
Un mois après le feu vert des eurodéputés, les États membres de l'Union européenne ont, le 12 avril 2024, définitivement adopté la nouvelle directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments. La fin d'un marathon législatif de plus de deux ans… après que la Commission a présenté ce texte, en décembre 2021, pour réviser les précédentes directives de 2010 et de 2018.
Dans ce nouveau texte, l'UE souhaite accélérer les rénovations du parc immobilier et le passage à des bâtiments neutres en carbone d'ici à 2050. Publiée le 8 mai 2024 au « Journal officiel de l'UE », cette directive est entrée en vigueur le 28 mai dernier. Les États membres ont maintenant jusqu'au 29 mai 2026 pour la transposer en droit national. Et parmi leurs nouveaux objectifs, ils devront établir d'ici à 2026 un Plan national de rénovation des bâtiments résidentiels, et non résidentiels tertiaires et industriels.
Des bâtiments à émissions nulles
Qu'il s'agisse des bureaux, des bâtiments publics ou encore des écoles et des universités, des commerces... les bâtiments tertiaires restent soumis à des exigences minimales de performance énergétique à atteindre. En se basant sur l'état du parc tertiaire au 1er janvier 2020, les États ainsi devront rénover, d'ici à 2030, les 16 % de bâtiments les moins performants qu'ils auront identifiés et 26 % devront l'être d'ici à 2033. « Il est possible, et c'est le choix des États membres et des propriétaires des bâtiments, d'envisager d'entreprendre une rénovation par étapes, mais en sachant qu'il faudra respecter l'objectif fixé en 2033 », explique Julien Tami, policy officer à la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne. Il s'exprimait à l'occasion d'un décryptage de la directive, organisé le 7 juin par l'Institut français pour la performance du bâtiment (Ifpeb).
À noter toutefois : dans le cas où leur rénovation s'avèrerait impossible sur le plan technique ou économique, les États membres pourront exempter de ces nouvelles règles certaines catégories de bâtiments non résidentiels, tels que les bâtiments protégés, classés ayant un intérêt patrimonial, les lieux de culte ou encore les bâtiments agricoles et les constructions provisoires ayant une durée d'utilisation de deux ans ou moins. « Le choix du bâtiment exempté reviendra aux États dans le cadre de leur transposition du texte », précise Julien Tami.
“ La directive nous invite, sur le plan national, à remettre à l'agenda politique, à l'agenda de la société, la sortie des énergies fossiles dans les bâtiments ” Christophe Rodriguez, Ifpeb
Autre mesure phare : à partir du 1er janvier 2030, tous les bâtiments neufs de l'UE seront à émissions nulles, et dès le 1er janvier 2028, cette mesure s'appliquera aux nouveaux bâtiments publics. Selon la directive, un bâtiment à émissions nulles ne doit pas être à l'origine d'émissions de carbone sur site provenant de combustibles fossiles.
Le texte propose aussi aux États membres d'harmoniser la pratique de l'analyse du cycle de vie (ACV), en utilisant l'indicateur du potentiel de réchauffement planétaire (PRP), à partir de 2028 pour les nouveaux bâtiments supérieurs à 1 000 m2 de surface de plancher utile et à partir de 2030 pour tous les nouveaux bâtiments. Les bâtiments existants devront, eux, être à émissions nulles d'ici à 2050.
Vers une réforme de la RE 2020 et du décret Tertiaire
En appliquant depuis 2022, la réglementation RE 2020 pour les bâtiments neufs, ou le décret Tertiaire de juillet 2019, « la France est déjà pas mal en accord avec la nouvelle directive 2024 », souligne Julien Tami. Ces deux textes ont d'ailleurs été pris pour transposer la directive précédente, rappelle-t-il.
Toutefois, Christophe Rodriguez, directeur général de l'Ifpeb, pointe encore « des trous dans la raquette » à combler pour transposer les nouvelles exigences. « En France, la réglementation est très ambitieuse. Néanmoins, si on regarde les objectifs des normes minimales de performance énergétique, on voit par exemple que, sur le tertiaire, nous ne résonnons pas pareil, puisqu'en 2030, on veut baisser de 40 % les consommations, ou aller chercher une valeur dite absolue (exprimée en kWh/m²/an, selon les catégories d'activités concernées, ndlr) », analyse-t-il.
De même, « la directive prévoit de prendre l'ensemble des consommations du parc tertiaire à partir de 2020, pour viser les 16 % de bâtiments les moins performants. Elle n'introduit pas de seuils alors que le décret Tertiaire concerne les bâtiments de plus de 1 000 m2 de surface », relève-t-il. Alors, que faire des bâtiments de moins de 1 000 m2 pris en compte dans la nouvelle directive ? « Il faudra qu'on imagine une extension du décret Tertiaire ou un nouveau dispositif », anticipe Christophe Rodriguez.
Concernant la RE 2020, elle promeut déjà les ACV et la construction de bâtiments bas carbone, mais elle ne prévoit pas de bâtiments neufs à émissions nulles en 2030. Or, pour respecter la directive, le critère de « zéro combustible fossile sur site » devra aussi être pris en compte dans cette réglementation, ajoute-t-il. Ce qui suppose de revoir la RE 2020 pour imposer le recours aux énergies renouvelables locales, aux communautés d'énergie ou aux réseaux de chaleur.
Pas si simple de se passer des chaudières à gaz
Les combustibles fossiles sont donc dans le viseur de la directive. D'ailleurs, parmi les autres mesures, figurent l'interdiction des subventions pour les systèmes de chauffage à combustibles fossiles à partir de 2025 et une élimination complète de ces derniers d'ici à 2040, via les plans nationaux de rénovation des bâtiments. À l'inverse, la directive encourage notamment l'installation de systèmes de chauffage hybrides, tels que la combinaison d'une chaudière et du solaire thermique ou d'une pompe à chaleur.
« Les États devront donc mettre en place des mesures crédibles pour arriver à cette sortie des chaudières fossiles », poursuit Julien Tami. La France a déjà interdit l'installation de nouvelles chaudières au fioul ou au charbon dans les bâtiments d'habitation ou à usage professionnel. Les chaudières au gaz naturel sont aussi progressivement bannies dans les bâtiments neufs, via la RE 2020, ainsi que des aides à la rénovation énergétique. En revanche, l'interdiction totale de vendre des chaudières au gaz, envisagée par le Gouvernement à l'échéance 2026, a finalement été écartée en septembre 2023 par le Président Emmanuel Macron.
Or, « la directive nous invite, sur le plan national, à remettre à l'agenda politique, à l'agenda de la société, la sortie des énergies fossiles dans les bâtiments. Avec quel plan de bataille si on veut vraiment sortir du gaz fossile ? Il y aura des arbitrages à faire, des concertations à organiser et la directive va nous demander de le faire un peu plus vite que prévu », considère Christophe Rodriguez.
La suppression des chaudières au gaz dans le parc tertiaire existant semble cependant ardue, prévient Alain Resplandy-Bernard, le directeur de l'Immobilier de l'État. Ce dernier couvre un gros parc de plus de 190 000 bâtiments publics à décarboner et à rendre plus sobres énergétiquement. « Nous sommes plutôt confiants sur la sortie de toutes les chaudières au fioul dans le parc domanial de l'État d'ici à 2029 ; on l'espère même en 2027. Cela permet aussi de décarboner notre mix énergétique. Mais l'interdiction pure et dure de la chaudière au gaz pose des problèmes techniques, notamment si on les remplace par des pompes à chaleur, alors qu'on n'est pas sur un domaine de performance tel que ça couvre tous les cas », épingle-t-il.
Accélérer les installations solaires dans le parc tertiaire
Les États membres devront aussi progressivement équiper d'installations solaires les bâtiments publics et non résidentiels, à condition que cela soit techniquement et économiquement adapté.
Seront concernés :
- au plus tard le 31 décembre 2026, tous les bâtiments publics et non résidentiels neufs dont la surface de plancher utile est supérieure à 250 m² ;
- au plus tard le 31 décembre 2027, tous les bâtiments non résidentiels existants, dont la surface de plancher utile est supérieure à 500 m² et qui feront l'objet d'une rénovation importante ;
- tous les bâtiments publics existants, dont la surface de plancher utile est supérieure à 2 000 m² au plus tard le 31 décembre 2027, à 750 m² au plus tard le 31 décembre 2028 et à 250 m² au plus tard le 31 décembre 2030.
- au plus tard le 31 décembre 2029, tous les parcs de stationnement couverts neufs qui jouxtent un bâtiment.
En France, la loi Climat et résilience du 22 août 2021 et la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables prévoient déjà de déployer les installations solaires dans le parc tertiaire privé et public.
« On est plutôt bon, en avance de phase. Néanmoins, on se rend compte qu'à partir de 2026 les seuils dans la directive sont exprimés en surface de plancher, alors que dans notre réglementation, on raisonne en seuils d'emprise au sol, donc il y aura un travail d'ajustement, de clarification à faire », note Christophe Rodriguez, de l'Ifpeb.
Pour les chaudières au gaz, il est donc encore question de rechercher la bonne solution alternative, avant de pouvoir totalement les remplacer.
Ne pas oublier les objectifs de la directive Efficacité énergétique
Par ailleurs, aux objectifs de rénovation fixés par cette directive s'ajoutent ceux prévus par la nouvelle directive relative à l'efficacité énergétique, entrée en vigueur en octobre 2023. Les organismes publics de l'UE, appelés à être exemplaires, doivent réduire leur consommation totale d'énergie finale d'au moins 1,9 % par an par rapport à 2021. Ils doivent aussi rénover chaque année au moins 3 % de la surface au sol totale de leurs bâtiments chauffés et/ou refroidis au niveau NZEB (Nearly Zero Energy Building, bâtiment à énergie quasi nulle). Or, respecter les exigences des deux directives « oblige à être très sélectif dans les investissements à réaliser pour les concentrer sur les gestes les plus efficaces à entreprendre et les bâtiments les moins performants à rénover en priorité », témoigne Alain Resplandy-Bernard.
L'investissement total pour rénover le parc immobilier de l'État (qui inclut aussi les logements des fonctionnaires) est en effet très conséquent. Il est estimé à 142,2 milliards d'euros d'ici à 2050, soit en moyenne 5,1 milliards par an. Et grâce notamment au plan de relance européen et au plan REPowerEU, le directeur de l'Immobilier de l'État a déjà pu investir près de 4 milliards dans la décarbonation du parc. Soit au total 1 térawattheure d'économies d'énergie prévues, quand les travaux seront terminés.
Appliquer les règles européennes posent donc des défis budgétaires, mais nécessitent aussi « du personnel à trouver au sein de l'État, des énergéticiens, pour conduire les opérations ou piloter les smart building », prévient-il. Ces systèmes de gestion énergétique intelligents sont également promus par la directive sur la performance énergétique des bâtiments, et en France, via le décret Bacs, qui s'applique au parc tertiaire. Des défis conséquents pour tous les gestionnaires de parc immobilier.
Rachida Boughriet / actu-environnement