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Le pôle Sud, terrain d’expérimentation pour les énergies du futur
28/07/2024
L’arrière-cour de la station du pôle Sud Amundsen-Scott comprend des bâtiments de travail et des zones d’entreposage de marchandises. La station principale est le grand bâtiment gris au loin. À gauche du centre, on aperçoit plusieurs bâtiments abritant des télescopes scientifiques. Photo par Ian McEwen, National Science Foundation
Les énergies renouvelables pourraient transformer l’approvisionnement énergétique en Antarctique, offrant une solution économique et écologique pour les stations de recherche du pôle Sud. Une étude récente menée par des chercheurs américains révèle le potentiel considérable de l’énergie solaire et éolienne dans cette région aux conditions extrêmes.
L’Antarctique, continent le plus froid et le plus isolé de la planète, dépend actuellement presque entièrement du carburant diesel pour son approvisionnement énergétique. Ce carburant, spécialement formulé pour résister aux températures extrêmes, est acheminé à grands frais par voie maritime puis aérienne ou terrestre jusqu’aux stations de recherche.
Des chercheurs du Laboratoire national des énergies renouvelables (NREL) et du Laboratoire national d’Argonne, deux institutions du Département de l’Énergie des États-Unis, ont étudié la faisabilité d’un système énergétique hybride combinant panneaux solaires, éoliennes et batteries de stockage. Leurs conclusions sont prometteuses : un tel système pourrait non seulement réduire considérablement les coûts, mais aussi élargir les capacités de recherche au pôle Sud.
Des technologies adaptées aux conditions extrêmes
L’idée d’utiliser des énergies renouvelables en Antarctique n’est pas nouvelle. La Fondation nationale des sciences (NSF) américaine a publié en 2000 les résultats d’un test à petite échelle de panneaux solaires. En 2005, le NREL a examiné la viabilité des éoliennes dans cet environnement. Les deux technologies ont démontré leur capacité à fonctionner dans des conditions extrêmes.
Ian Baring-Gould, responsable du déploiement de la technologie éolienne au NREL et co-auteur de l’étude, affirme : «D’un point de vue technologique, nous sommes assez confiants, sur la base des recherches que nous avons menées jusqu’à présent, que les turbines peuvent fonctionner jusqu’à -70 degrés. Il n’y a rien qui nous empêche de le faire. Évidemment, les gens ne le font pas régulièrement parce qu’ils n’en ont pas besoin. La même chose est vraie pour le solaire. Les modules solaires ne fonctionnent généralement pas jusqu’à -70 degrés parce qu’ils n’en ont pas besoin.»
Des panneaux solaires installés verticalement en Suède par le groupe Sunna utilisent une disposition qui devrait également être utile pour produire de l’énergie au pôle Sud. Photo par Silvana Ovaitt, NREL
L’étude révèle un avantage économique significatif des énergies renouvelables par rapport au diesel. Le coût actualisé de l’énergie au pôle Sud s’élève à 4,09 dollars par kilowattheure (kWh) pour le carburant diesel, contre seulement 33 cents pour l’éolien et 23 cents pour le solaire.
Utilisant l’outil REopt développé par le NREL, les chercheurs ont déterminé que le scénario le plus économique pour fournir une puissance constante de 170 kW pour de nouveaux équipements de recherche au pôle Sud implique un système hybride comprenant :
- Six éoliennes
- 180 kilowatts de capacité solaire
- 3,4 mégawattheures de stockage d’énergie par batterie
Cette combinaison réduirait la consommation de diesel de 96%, diminuant ainsi considérablement les besoins de transport de carburant vers le pôle Sud et les dommages environnementaux associés à sa combustion dans un lieu aussi préservé.
Des défis techniques à relever
Malgré les avantages évidents, le déploiement de technologies renouvelables au pôle Sud présente des défis uniques. Les panneaux solaires doivent être conçus pour éviter d’être ensevelis sous la neige. Les fondations des éoliennes devront être ancrées dans la glace, une première à cette échelle.
La position géographique du pôle Sud nécessite également une approche différente. Le soleil n’illumine la région que pendant six mois de l’année, atteignant une élévation maximale de 23,5 degrés au-dessus de l’horizon. Les chercheurs proposent un réseau solaire avec des modules placés verticalement pour minimiser l’accumulation de neige, disposés en quatre sous-réseaux orientés vers les points cardinaux pour capter le maximum d’énergie du soleil tournant au-dessus.
Un autre défi potentiel concerne les interférences électromagnétiques que pourraient causer les éoliennes sur certaines expériences menées à la station Amundsen-Scott du pôle Sud. Une évaluation détaillée et un plan d’atténuation devront être élaborés.
Le pôle de cérémonie au pôle Sud est entouré des drapeaux nationaux des pays qui ont été les premiers à signer le traité de l’Antarctique. Photo de Deven Stross, Fondation nationale de la science
Le déploiement d’énergies renouvelables au pôle Sud ouvrirait de nouvelles perspectives pour la recherche scientifique. Amy Bender, physicienne au Laboratoire national d’Argonne, souligne l’importance de l’énergie pour les projets de recherche actuels et futurs : «L’énergie est une ressource très limitée au pôle Sud.»
Un exemple emblématique est le télescope du pôle Sud, un instrument microonde conçu pour mesurer le fond diffus cosmologique, la lumière la plus ancienne de l’univers. Bender explique : «Ce que nous essayons d’étudier, c’est la lumière la plus ancienne de l’univers. C’est une lumière qui a été libérée environ 380 000 ans après le Big Bang, donc elle a essentiellement 13 milliards d’années.»
L’emplacement unique du pôle Sud, avec son atmosphère extrêmement sèche, en fait le site idéal pour ce type de recherche. Un approvisionnement énergétique plus fiable et abondant pourrait permettre d’étendre ces capacités de recherche uniques.
Vers un avenir énergétique durable en Antarctique
Cette étude marque une étape importante vers un avenir énergétique plus durable en Antarctique. Bien que des travaux supplémentaires soient nécessaires pour résoudre les défis techniques, les chercheurs sont optimistes quant à la faisabilité du projet.
Ian Baring-Gould conclut : «Il n’y a rien de vraiment compliqué ici d’un point de vue technologique sur les raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas, ou ne devrions pas, faire cela. Nous pouvons le faire. Ce n’est pas le problème. Mais nous devons faire ce travail préparatoire pour nous assurer que nous le faisons correctement et que nous réussissons. Ce n’est pas gagné d’avance, mais il n’y a rien qui empêche de le faire.»
L’adoption d’énergies renouvelables au pôle Sud pourrait non seulement transformer la recherche scientifique dans cette région unique, mais aussi servir de modèle pour d’autres sites isolés dépendant actuellement des combustibles fossiles.