Le salon des Solutions
environnementales & énergétique du
Grand Est
Les Actualités
Hydrogène : une filière dans l'expectative
05/02/2025

© bulentcamci
Des coûts de production élevés et renchéris par l'inflation, une demande qui peine à décoller, des incertitudes sur les infrastructures… Après l'euphorie des premières heures, la filière de l'hydrogène est dans le creux de la vague.
Pour la filière hydrogène française, « 2024 a été une année blanche, déplorait Philippe Boucly, président de France Hydrogène, mi-décembre. Les acteurs ont continué à travailler, mais sur le plan institutionnel, rien. » L'instabilité politique de ces derniers mois, conjuguée à une situation budgétaire tendue, ont en effet mis en pause de nombreux sujets, et l'hydrogène n'y a pas échappé.
La stratégie nationale révisée, annoncée pour janvier 2024, n'a finalement toujours pas été publiée à l'heure où nous écrivons ces lignes. Des textes réglementaires sont encore attendus. Enfin, l'appel d'offres visant à soutenir la production, annoncé pour 2024, a été lancé in extremis le 20 décembre. Il cible finalement un volume de projets de 200 mégawatts (MW) et devrait aboutir au cours du premier semestre 2025.
On est donc loin de l'euphorie des années précédentes… Aujourd'hui, 30 MW d'électrolyse sont en service et 300 MW de projets sont toujours dans les cartons. La décision finale d'investissement n'a pas encore été prise et la signature reste bien souvent suspendue aux annonces officielles. « Ma crainte est que le tissu de la filière hydrogène, qui est fait de TPE, de PME, dont l'hydrogène est l'essentiel de l'activité, [soit fragilisé]. Si le soutien ne vient pas, certains vont mourir. Hyvia [filiale de Renault spécialisée dans les utilitaires à hydrogène] est en cessation de paiement », prévient Philippe Boucly.
Pour rappel, la stratégie sur l'hydrogène révisée, telle qu'elle a été soumise à consultation, prévoit une production nationale de 6,5 gigawatts (GW) en 2030 et de 10 GW en 2035, pour une consommation estimée à 700 000 tonnes en 2030 et à un million de tonnes (Mt) en 2035. Le document est désormais focalisé sur les besoins industriels stratégiques, les infrastructures associées, ainsi que sur la mobilité lourde et intensive. Mais sans volonté politique forte, ces objectifs ne seront pas atteints.
Une demande encore faible
L'attentisme est général dans la filière, en France comme à l'international. La demande demeure faible, liée à des coûts élevés, renchéris par l'inflation, et des incertitudes politiques et réglementaires. Ce qui freine l'émergence des projets, voire entraîne leur remise en cause. « Les coûts de production, trois à quatre fois plus élevés que ceux de l'hydrogène gris, constituent la principale barrière et pourraient décourager les pionniers », analyse Vasilis Papandreou, chargé des marchés de l'hydrogène pour l'Agence européenne de coopération des régulateurs de l'énergie (Acer), qui s'exprimait lors d'un échange organisé par l'Acer, le 3 décembre dernier.
Et c'est un peu le serpent qui se mord la queue. À l'échelle mondiale, 20 GW de projets auraient atteint le stade de la décision finale d'investissement. Mais « l'incertitude entourant la demande et les cadres réglementaires font que la plupart des productions potentielles sont encore en phase de planification ou de développement ; certains projets plus importants sont confrontés à des retards ou à des annulations en raison de ces obstacles, ainsi que de problèmes d'autorisation ou opérationnels », constate l'AIE, dans sa revue annuelle sur l'hydrogène, publiée en octobre 2024. L'agence souligne le décalage entre les ambitions gouvernementales en matière de production (43 Mt en 2030) et la demande (11 Mt). « Des politiques visant à stimuler la demande dans des secteurs clés tels que l'industrie lourde, le raffinage et le transport longue distance sont nécessaires pour accélérer le déploiement de l'hydrogène », prévient-elle.
Un symbole : le report des projets d'ArcelorMittal
Face au retard de décollage de l'hydrogène vert et de la technologie de réduction directe du fer (DRI), ainsi qu'aux « faiblesses significatives » du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières pour assurer la compétitivité de la production européenne, ArcelorMittal a annoncé, en novembre 2024, décaler ses prises de décision d'investissement finales quant à la décarbonation de ses sites européens, et notamment les emblématiques des hauts fourneaux de Dunkerque. « Même si nous avons des clients qui souhaitent de l'acier à faible teneur en carbone, ceux qui le souhaitent et sont prêts à payer plus cher restent très minoritaires », a déclaré le chef exécutif, Aditya Mittal.
Premiers soutiens européens à la production…
À l'échelle européenne, en 2023, 99,7 % de l'hydrogène consommé (7,2 Mt) étaient encore d'origine fossile, 200 MW d'électrolyse étaient en service. L'UE s'est fixé, dans sa stratégie présentée en 2020, l'objectif de couvrir 20 millions de tonnes de besoins en 2030, « mais cet objectif ne sera probablement pas atteint, constate Vasilis Papandreou. Au total, 62 GW de capacité sont prévus par les États membres à 2030, alors qu'il faudrait plus de 100 GW pour atteindre les objectifs ».
Pour stimuler l'offre d'origine renouvelable et lever les freins relatifs aux coûts, une Banque européenne de l'hydrogène a été créée. L'objectif est de subventionner le kilogramme produit pour combler l'écart avec l'hydrogène gris. La première édition a retenu sept projets en mai 2024 (trois en Espagne, deux au Portugal, un en Finlande et un en Norvège), à hauteur de 720 M€, avec des offres comprises entre 0,37 et 0,48 €/kg d'hydrogène renouvelable produit. En revanche, pour stimuler la demande, l'UE mise avant tout sur les objectifs de décarbonation dans l'industrie et les transports inscrits dans la directive RED.
... et des leviers pour stimuler la demande
« Certaines industries sont volontaires. L'acier est le marché leader, avec des investissements importants dans la décarbonation. Heineken a de son côté co-investit dans un électrolyseur », note Carina Krastel, représentante de l'EIT Innoenergy présente à l'événement de l'Acer. « Les premiers projets sont portés par les secteurs qui souhaitent passer de l'hydrogène gris à l'hydrogène vert : l'industrie lourde et la chimie. Il y a également des attentes fortes du côté du transport maritime », confirme Olivia Infantes, de la société espagnole Moeve, lors de l'échange.
“ L'hydrogène est une voie pour décarboner, pas l'objectif final ”
Carina Krastel, Innoenergy
Mais des travaux sont nécessaires sur la certification, pour assurer la transparence, et sur la planification des infrastructures, analyse Zsuzsanna Szeles, chargée des marchés de l'hydrogène pour la Commission européenne. Comme dans la stratégie française, la priorité devrait être donnée aux hubs industriels, avant d'envisager des connexions entre eux. « Ce ne sera pas une copie des réseaux de gaz », explique Zsuzsanna Szeles.
La question du partage des risques est également centrale pour assurer les projets. « Les premiers acteurs doivent prendre des risques technologiques, pour pouvoir fournir des exemples au reste du marché. Aujourd'hui, les risques sont plus élevés pour les producteurs. La demande dépend, elle, du prix de la décarbonation », analyse Olivia Infantes. L'inflation a joué sur les coûts des matériaux, de l'électricité et a augmenté les coûts d'investissement et opérationnels. Or, pour les industriels, « l'hydrogène est une voie pour décarboner, pas l'objectif final », rappelle Carina Krastel. Sans baisse des coûts de l'hydrogène vert, d'autres solutions de décarbonation risquent d'être privilégiées. « Il faut donc trouver les bons mécanismes pour partager les risques tout au long de la chaîne de valeur, sur les délais, les coûts… », analyse la représentante de l'EIT Innoenergy.
Différentes stratégies nationales
Du côté des États membres, les stratégies diffèrent et pourraient se compléter, à condition que les infrastructures le permettent. « Le Danemark devrait être exportateur net, tout comme l'Espagne et le Portugal. La Belgique et les Pays-Bas se positionnent comme des hubs d'import. La France met le focus sur l'industrie et les transports, l'Allemagne devrait doubler sa consommation », liste Vasilis Papandreou, de l'Acer.
L'Allemagne met en effet le paquet sur le soutien à la demande. En octobre, le pays a annoncé le soutien, à hauteur d'un milliard d'euros, de cinq projets industriels de décarbonation grâce à l'électrolyse, via la signature de contrats pour différence sur quinze ans, visant à combler l'écart entre les prix du marché carbone et les prix des projets. Ce programme concerne Saint-Gobain, pour le remplacement du gaz naturel par l'hydrogène et le biométhane dans la production de verre ; Nordenham Metall, qui compte s'appuyer sur le biométhane, l'hydrogène et le biocoke pour décarboner la production de plomb ; Schmiedewerke Groditz, qui entend convertir à l'hydrogène à 100 % neuf fours à haute température pour fondre l'acier ; Tesa Werk Hamburg, pour convertir à l'hydrogène et à l'électricité des chaudières à vapeur à gaz dans l'industrie des rubans adhésifs ; et Janinoff Kinker, pour substituer l'hydrogène au gaz naturel dans la fabrication de briques. Le pays compte également sur un réseau de plus de 9 000 km réservé à l'hydrogène d'ici à 2032, pour relier les ports, les hubs industriels, les sites de production et de stockage.
La France a, de son côté, lancé, fin décembre, un dispositif de soutien aux « grands projets industriels de décarbonation », avec une enveloppe annoncée de 3 milliards d'euros. Mais son objectif est de rechercher les voies les plus rentables de réduction des émissions de gaz à effet de serre, en mettant en concurrence les solutions de décarbonation, dont l'hydrogène décarboné et le captage et stockage de CO2 (CCUS).
Se différenciant totalement de la stratégie européenne, le Royaume-Uni fait quant à lui le pari de l'hydrogène bleu, en soutenant plusieurs gigawatts de production à partir de gaz naturel et en misant sur le captage et stockage du CO2 (CCUS).
Sophie Fabrégat / actu-environnement