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Biodiversité, l’extinction grandeur nature

16/10/2022

Biodiversité, l’extinction grandeur nature

Selon le WWF, entre 1970 et 2018, les populations de vertébrés sauvages (poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles) ont chuté en moyenne de 69 % au niveau mondial. (Brian Inganga/AP)

Dans son dernier rapport, le WWF fait état d’une dégradation encore accrue des populations de vertébrés, pourtant essentielles à la vie sur Terre, en raison des activités humaines. Si l’ONG se refuse à la fatalité, elle appelle les dirigeants mondiaux à agir d’urgence lors de la COP27, en novembre.

Combien faudra-t-il de cris d’alarme scientifiques de plus en plus apocalyptiques pour que l’humanité comprenne qu’en éradiquant la vie sur Terre, elle programme aussi son autodestruction ? Combien de cris d’alarme pour que nous réagissions enfin ? L’ONG WWF publie ce jeudi son dernier rapport «Planète vivante» sur l’état de la biodiversité mondiale, le plus complet à ce jour. Si ses conclusions étaient prévisibles, il fait état d’une aggravation de la tendance par rapport aux derniers rapports déjà alarmants (datant de 2020, 2018, 2016 et 2014). Cette année, l’«indice planète vivante» (IPV, calculé avec la Société zoologique de Londres à partir de données scientifiques collectées sur 32 000 populations de plus de 5 230 espèces de vertébrés) montre qu’entre 1970 et 2018, les populations de vertébrés sauvages (poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles) ont chuté en moyenne de 69 % au niveau mondial. Ce chiffre était de 68 % dans le rapport de 2020 (période de 1970 à 2016) et de 60 % dans celui de 2018 (période de 1970 à 2014).

Changement d’utilisation des terres

C’est en Amérique latine que l’abondance moyenne des populations d’espèces sauvages connaît le déclin régional le plus effrayant (94 % de 1970 à 2018). En termes de type d’espèces, l’état des populations de celles d’eau douce est le plus alarmant, avec une baisse de 83 % à l’échelle mondiale. Le document de 118 pages, très riche et documenté, cite quelques exemples frappants. Les coraux connaissent le déclin le plus rapide : environ 50 % des coraux d’eau chaude ont déjà disparu. Le nombre d’éléphants de forêt africains a chuté de plus de 86 % sur une période de trente et un ans. Celui des éléphants de savane africains a diminué d’au moins 60 % au cours des cinquante dernières années. L’abondance mondiale des requins et des raies océaniques a diminué de 71 % sur la même période. Dans le parc national de Kahuzi-Biega, en République démocratique du Congo, les scientifiques estiment à 80 % le déclin du nombre de gorilles des plaines orientales entre 1994 et 2019. En France, les populations de rainette verte sont en diminution depuis plusieurs années. «On ne dispose pas de statistiques suffisamment précises sur son déclin. Cependant, depuis 1960, plus de la moitié de la surface des zones humides (son habitat naturel) du territoire métropolitain a disparu», indique le WWF. Outre-mer, les populations de tortues luth sont en chute libre en Guyane, de même que celles des dugongs en Nouvelle-Calédonie.


Les populations de dugongs en Nouvelle-Calédonie sont particulièrement vulnérables aux activités humaines. (Yves Lefevre/Biosphoto/AFP)

Une poignée de situations dramatiques parmi tant d’autres, qui illustrent l’ampleur de la crise de la biodiversité, c’est-à-dire la diversité du vivant sur Terre, la diversité au sein des espèces et entre espèces, ainsi que celle des écosystèmes. Biodiversité dont nous faisons partie et qui nous permet de vivre. La nature, dans toute sa richesse, purifie l’air que nous respirons et l’eau que nous buvons, elle nous assure une alimentation saine et diversifiée, un climat stable, joue un rôle fondamental sur notre santé… Et pourtant, nous la saccageons toujours plus.

En cause, donc, les activités d’une seule espèce : Homo sapiens. Le changement d’utilisation des terres, notamment pour l’agriculture industrielle, demeure le principal facteur de perte de biodiversité, détruisant ou fragmentant les habitats naturels de nombreuses espèces. Viennent ensuite la surexploitation des plantes et des animaux (surpêche, braconnage…), le changement climatique, la pollution (pesticides, plastiques, etc.) et les espèces exotiques envahissantes. Toutefois, avertit le WWF, «si nous ne limitons pas le réchauffement à 1,5 °C [la Terre s’est déjà réchauffée de 1,2 °C depuis l’époque préindustrielle, ndlr], le changement climatique deviendra sûrement la principale cause de perte de biodiversité au cours des prochaines décennies».

«Encore une chance d’agir»

L’ONG a choisi cette année de mettre l’accent dans son rapport sur le lien entre crise climatique et crise de la biodiversité, «deux urgences provoquées par l’homme et intrinsèquement liées» qui «menacent le bien-être des générations actuelles et futures». La hausse des températures moyennes du globe «entraîne déjà des phénomènes de mortalité massive, ainsi que les premières extinctions d’espèces. Chaque degré supplémentaire devrait accroître ces pertes et leur impact sur les populations», avertit le rapport. Ainsi, par exemple, un réchauffement moyen de la planète de 1,5 °C entraînera une perte totale de 70 à 90 % des coraux d’eau chaude, et un réchauffement de 2 °C conduira à une perte de plus de 99 % d’entre eux.

Face à ce sinistre constat, pas de fatalité, «nous avons encore une chance d’agir», martèle le WWF. Et quand action il y a, ou simplement que l’on laisse la nature en paix, cette dernière fait souvent preuve de résilience. Par exemple, les efforts consacrés à la conservation ont permis de restaurer le lynx en France, qui a frôlé l’extinction et où la population est passée de 0 individu en 1970 à 130 individus selon les estimations actuelles. «La situation est certes dramatique, mais pas désespérée, résume Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France. Les exemples qui fonctionnent sont nombreux : les aires protégées et gérées par les communautés locales montrent une biodiversité florissante, la restauration des écosystèmes par les solutions fondées sur la nature est bénéfique pour la biodiversité et aussi pour le climat, la transformation de nos modes de production et de consommation a débuté même si elle n’est pas assez rapide. Cette dynamique doit maintenant être soutenue par les Etats, en particulier lors de la COP27 sur le climat [en novembre, en Egypte, ndlr] et de la COP15 sur la biodiversité [en décembre, au Canada, sous la présidence de la Chine].»

Pour Marco Lambertini, directeur général du WWF International, lors de cette 15e Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique, à Montréal, les dirigeants mondiaux «auront une occasion unique d’opter pour une approche visant un bilan “nature” positif d’ici 2030. En d’autres termes, plus de nature d’ici la fin de cette décennie qu’à son début». Soit «plus de forêts naturelles, plus de poissons dans les systèmes océaniques et fluviaux, plus de pollinisateurs sur nos terres agricoles». Une approche qui «nous procurera d’innombrables bénéfices, pour notre bien-être mais aussi sur le plan économique, contribuant également à notre sécurité climatique, alimentaire et hydrique». Le WWF France lance une pétition pour inciter les gouvernements à inverser la tendance lors de la COP15. Et demande la mise en place d’un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins (qui abritent une grande diversité d’espèces, dont 90 % restent à découvrir) et la suspension des subventions dommageables à la biodiversité. Car les gouvernements soutiennent, «à hauteur de centaines de milliards d’euros, des activités destructrices de la nature, des espèces et du climat». Incroyable mais vrai.

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