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Passage à l’électrique, conjoncture : en Normandie, la filière transport « en plein bouleversement »

19/02/2025

Passage à l’électrique, conjoncture : en Normandie, la filière transport « en plein bouleversement »

Le groupe Malherbe, fleuron des transports dans la région de Normandie avec 465 millions d’euros de chiffre d’affaires, 40 agences, 4 650 véhicules, 3 250 collaborateurs. | ARCHIVES THIERRY CREUX/OUEST FRANCE

Combien de sociétés normandes spécialisées dans le transport et la logistique ? 3 556, d’après l’observatoire social des transports en Normandie via la Dreal (Direction régionale de l’environnement). Le secteur se divise en trois grandes catégories : transport de marchandises (2007 sociétés, 56 % de l’activité), transport de voyageurs (939), commissionnaire de transport (610). En plein boum (+ 26 % depuis 2019), cette dernière gère le transport de marchandises de A à Z.

Trois grandes catégories donc, et un leader sur les routes en Normandie : le groupe Malherbe, un des transporteurs de marchandises générales en lots et groupages le plus important en France : 465 millions d’euros de chiffre d’affaires, 40 agences, 4 650 véhicules, 3 250 collaborateurs.

À côté de quoi, le tissu est largement composé de PME (petites et moyennes entreprises) et le nombre d’inscriptions et de radiations aux registres de la profession est souvent digne d’un chassé-croisé. La conjoncture a encore contraint plusieurs entreprises à mettre la clé sous la porte en 2024. Comme le souligne notre expert François Holley, professeur d’économie et droit, le secteur est tributaire de multiples paramètres dans un marché en plein bouleversement. L’occasion aussi de rappeler la grande règle qui prévaut : « Sans transport, il n’y a pas d’activité. »

Retrouvez ci-dessous notre entretien avec François Holley, spécialiste des transports et de la logistique.


François Holley, enseignant et formateur, spécialiste de la question des transports. | OUEST-FRANCE

Comment se porte le secteur du transport et de la logistique en Normandie ?

Du fait de la proximité de Paris, du grand port du Havre et du réseau fluvial (Seine), c’est depuis longtemps un poids lourd de l’économie régionale. 130 millions de tonnes de marchandises transitent chaque année dans la région. La Normandie abrite plus de 3 500 entreprises dans ce domaine.

Leur état de santé varie selon leur secteur d’activité. Certaines spécialisations comme l’e-commerce sont florissantes, c’est valable pour 15 % des transporteurs environ. À l’inverse, les transporteurs liés au BTP ou à l’automobile subissent les difficultés conjoncturelles auxquelles sont confrontés ces domaines d’activité.

"Le transporteur est payé à la tonne, il n’y a pas de compensation.— François Holley.

La conjoncture n’est pas la même pour tout le monde ?

Tout le monde doit supporter la hausse globale des prix : carburant, péages, entretien et réparation, salaires selon l’inflation… Mais c’est mathématiquement plus compliqué lorsque l’activité diminue. C’est le cas des entreprises dont le portefeuille clients a un lien direct avec le bâtiment et les travaux publics, mais aussi des transporteurs de matières agricoles quand les récoltes sont mauvaises (comme cette année).

Le transporteur est payé à la tonne, il n’y a pas de compensation. Et puis, il y a les nouvelles normes environnementales et les ZFE (Zones à faible émission).

Quel est l’impact de ces zones limitant la circulation aux véhicules les plus polluants ?

Des contraintes pour de nombreuses entreprises, des opportunités pour celles qui ont pu les anticiper. Toutes les entreprises ne peuvent pas se permettre ces investissements. Malgré les aides de l’État, passer à l’électrique coûte deux fois plus cher : 250 000 € au lieu de 110 000 € pour un camion porteur.

C’est très bien pour le transport régional, mais compliqué au-delà, quand on sait que le temps de charge est très important pour une autonomie d’un jour seulement. Des entreprises ont opté pour la conversion au biocarburant à base de colza. C’est une économie de 6-7 centimes au litre : sur 35 l/100 km, ce n’est pas négligeable. C’est un gain en termes d’image de marque et certains clients l’exigent de leurs prestataires.

Le secteur semble faire face à de profonds bouleversements…

Certains transporteurs ont anticipé la fin des véhicules thermiques, d’autres non. La hausse des barrières douanières aux États-Unis a des incidences sur les volumes exportés. On est dans une configuration concentrationniste, dans laquelle les plus petits sont rachetés par les plus grands, comme Malherbe avec Normatrans.

Les grosses entreprises ont des capacités d’autofinancement, leurs propres garages intégrés, leurs propres cuves de carburant. Quand elles achètent 50 véhicules, elles en payent 35 via 30 % de remise commerciale. Les petits transporteurs n’ont pas ces avantages.

"C’est devenu un secteur concurrentiel, dans lequel il est essentiel de rester compétitif.— François Holley.

Beaucoup d’entreprises mettent-elles la clé sous la porte ?

Il y a de moins en moins de patrons chauffeurs avec un seul véhicule. Dans les années 80, les prix étaient les mêmes, quel que soit le transporteur. Depuis, le secteur a été  déréglementé » . C’est devenu un secteur concurrentiel, dans lequel il est essentiel de rester compétitif.

En Normandie, une quinzaine de liquidations judiciaires ont été prononcées récemment. Les PME régionales sont les plus en difficulté : des petites PME de 15-20 véhicules et 15-30 conducteurs, de moins de 50 salariés. Un certain nombre est en redressement judiciaire. Pour elles, 2025 s’annonce difficile.

Les grosses entreprises se portent bien ?

L’entreprise emblématique au niveau régional, c’est le groupe Malherbe, dont le siège est à Rots, près de Caen. C’est un des leaders français du transport de marchandises en lots et groupage, tant dans l’agroalimentaire, la grande distribution, la distribution spécialisée, que dans la pharmaceutique, l’énergie, le bâtiment et la construction… Dans son domaine, Malherbe est dans le top 5 national.

Il y a aussi de grosses sociétés comme Normandie Logistique, Noyon, qui développe le e-commerce et est spécialisée dans l’interurbain. Et de grandes sociétés comme la Stef et Jacky Perrenot sont très implantées en Normandie.

En matière de transport, quelles sont les spécialités en Normandie ?

Beaucoup de marchandises agricoles : des céréales, du lait, du matériel phytosanitaire… Des produits de consommation courante et industriels. Des pierres, du sable pour les chantiers. Des produits alimentaires et pharmaceutiques. Des produits issus des industries extractives. Certains transporteurs sont spécialisés dans les déchets radioactifs comme Lemaréchal Célestin, qui a été racheté par Orano (usine de retraitement nucléaire à la Hague).

" L’environnement est le cœur de bataille. Le transport routier est le 3e secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre.— François Holley

Quel est l’avenir de ce secteur ?

L’environnement est le cœur de bataille. Le transport routier est le 3e secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre (21,47 %) derrière l’agriculture (29,01 %) et l’industrie (23,03 %). Beaucoup d’efforts sont à marche forcée. C’est compliqué d’investir, d’innover tant dans les véhicules que les entrepôts. Les difficultés de recrutement font que ce secteur s’est féminisé à tous les niveaux, ce dont on peut se féliciter. Marie-Christine Lombard, la PDG de Geodis, un des leaders mondiaux du secteur, en est l’emblème.

Dans l’ensemble, les salariés sont assez âgés et les métiers ne représentent pas toujours l’idéal de la génération Z (nés entre 1997 et 2012). Ce secteur passionnant est face à des enjeux nécessitant de nouvelles compétences qui, à moyen terme, promettent de générer des emplois.

Cela passe par la nécessité de former dès aujourd’hui les futurs acteurs de ce secteur aux exigences de demain. Sans transport, il n’y a pas d’activité. C’est la logique même de l’approvisionnement et de la distribution. Le transport est un maillon essentiel de la supply chain (chaîne d’approvisionnement, de la commande à la livraison).

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