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Le soutien au rétrofit électrique remis en question

05/09/2024

Le soutien au rétrofit électrique remis en question

Le rétrofit électrique reste confidentiel.    © romaset

Inutile pour les uns, contesté par d'autres, le soutien au rétrofit électrique des véhicules est passé au crible dans un rapport du Forum Vies mobiles. Ses conclusions laissent sceptique le syndicat professionnel Mobilians.

Des perspectives étroites, des contraintes techniques et économiques pesantes, un soutien qui manque de pertinence… Livré au mois de mars dernier par trois chercheurs (1) de l'Institut « Transport et mobilités durables » du groupe d'écoles de management ESSCA, un rapport (2) tire à boulets rouges sur les politiques publiques en faveur du rétrofit électrique des voitures particulières. Pour cette étude réalisée à la demande du Forum Vies mobiles, laboratoire d'idées soutenu par la SNCF, ces spécialistes de l'économie de la filière automobile ont procédé à l'examen de la littérature et des données existantes, complété de quinze entretiens avec des acteurs publics et privés, puis d'exercices de simulation de l'évolution de la flotte en circulation.

Conclusion : le rétrofit électrique présente certes l'avantage d'agir directement sur le parc thermique, sans attendre que les véhicules déjà en circulation soient remplacés par des neufs. D'ici à 2028, 193 000 voitures particulières pourraient ainsi bénéficier de cette opération. En prolongeant leur durée de vie, elle diviserait aussi par deux les impacts négatifs des automobiles sur l'environnement. Mais les subventions accordées au rétrofit n'ont pas montré leur efficacité, estiment les économistes. Malgré le feu vert donné par l'arrêté du le 13 mars 2020 à la modification des motorisations des véhicules en circulation et à l'homologation en série de ces automobiles par modèle de voiture, aucune offre convaincante n'a pu se structurer et la pratique n'a pas décollé. En 2023, on comptait seulement 400 véhicules rétrofités, notent-ils.

Des coûts qui restent élevés

Même avec une aide de 6 000 euros, les professionnels [du rétrofit] devraient rester bien en deçà de 10 000 euros ” - Rapport remis à Forum Vies mobiles

Pour ces experts, la situation s'explique par la rareté des homologations et par le coût trop élevé des solutions proposées, notamment par un prix des batteries trois ou quatre fois plus cher au kilowattheure pour les rétrofiteurs que pour les constructeurs. Pour une conversion, la facture débuterait à 8 000 euros – mais plus probablement 11 000 euros – et pourrait aller jusqu'à 20 000 euros, indiquent-ils. Pour un « consentement à payer » chez d'éventuels acheteurs évalué à 3 000 euros, ce serait toujours trop. « Même avec une aide de 6 000 euros [la fourchette la plus haute, ndlr], les professionnels devraient rester bien en deçà de 10 000 euros », remarquent-ils. Or, depuis 2020, aucun d'entre eux ne se serait positionné à ce niveau.

Aujourd'hui, cette conversion reste cher en raison du manque de volume, confirme Moundyr Gainou, directeur France de la société Carvertical spécialisée dans la donnée sur le parcours des véhicules. « On en est encore aux balbutiements. » Mais si une véritable filière se développait, le coût pourrait être divisé par dix, estime le dirigeant. Pour les véhicules utilitaires légers, déjà, plusieurs projets de partenariat ont été noués : avec Renault ou Stellantis, par exemple. En 2025, le syndicat Mobilians mise sur l'homologation de 23 systèmes de rétrofit. Et du côté des véhicules légers, Lormauto vient de livrer à la Région Normandie une Twingo rétrofitée, revue de fond en comble, modulable et connectée, garantie à vie. D'autres devraient suivre.

Une autonomie moindre

Autre handicap du rétrofit, selon le rapport des économistes : l'obligation d'installer des batteries plus petites et moins lourdes dans des carrosseries non conçues au départ pour cette opération, afin de ne pas déstabiliser l'équilibre de la voiture. Les automobilistes qui opteraient pour ces solutions dépenseraient donc quelques milliers d'euros pour passer d'un véhicule capable de parcourir au moins 500 km sans passer à la pompe à un véhicule doté d'une autonomie inférieure à 150 km, ou 100 km, soulignent les auteurs. « Cette autonomie ne semble adaptée que pour la seconde voiture d'un ménage. Or, le reste à charge évoqué plus haut apparaît démesuré pour un second véhicule. »

400 - C'est le nombre de véhicules rétrofités en 2023.

Les premières générations de rétrofit ont commencé avec des petites batteries, admet Jean-Jacques Serraf, directeur général de l'entreprise de rétrofit de véhicules utilitaires Qinomic Mobilities, coprésident du métier du rétrofit au sein du syndicat Mobilians. Mais pour ce dernier, le rétrofit ne devrait pas limiter drastiquement la batterie des véhicules qui disposent d'une charge utile suffisante. C'est le cas de la Peugeot 208 qui existe déjà en version diesel, essence et électrique. « On pourrait très bien imaginer qu'un opérateur propose un rétrofit sur la base de la structure de cette voiture avec une autonomie raisonnable, juge-t-il. Quant à l'autonomie des batteries de Tolv ou de Qinomic pour les utilitaires légers, elles sont équivalentes à celles d'un véhicule neuf, soit 200 à 300 kilomètres, selon les versions. Sachant que des Kangoo de Renault ou des Jumpy de Citroën peuvent être assimilés à des véhicules particuliers. »

La concurrence du marché de l'occasion

Pour les auteurs du rapport, cependant, ce choix ne serait pas plus attractif à terme, alors que le marché de l'occasion devrait se diversifier et se développer rapidement, en raison d'un renouvellement tous les sept ans, en moyenne. Aujourd'hui, ils évaluent une Renault Zoé électrique de sept ans d'âge et garantie sept ans à 7 000 euros seulement. « Même si des solutions de rétrofit arrivent à atteindre un prix de 10 000 euros et un reste à charge de 4 000 euros pour le consommateur, il est très probable que des véhicules électriques d'occasion coûtent moins cher avec une meilleure autonomie d'ici-là », calculent-ils. Une assertion qui laisse Jean-Jacques Serraf dubitatif : « Le marché de l'occasion reste encore limité et la valeur résiduelle du véhicule est très volatile. Elle peut varier en fonction de la technologie, des versions réalisées ou du type de batterie choisie », détaille-t-il. Par ailleurs, pour une entreprise ou une collectivité, « ce n'est pas pareil d'acheter un véhicule d'occasion qui vient de l'extérieur et de rétrofiter un véhicule qu'elle connait bien, qu'elle a entretenu, suivi, voire équipé à sa guise. » Les collectivités territoriales, comme la Région Île-de-France ou la métropole de Grenoble, se montrent d'ailleurs de plus en plus intéressées.

Une filière condamnée ?

Le rapport écarte aussi l'intérêt d'une augmentation des aides gouvernementales pour des véhicules dont la durée de vie serait divisée par deux par rapport à des véhicules neufs – ce que conteste catégoriquement Jean-Jacques Serraf – et qui offriraient donc des coûts d'abattement bien moins intéressants. Même si l'idée d'un soutien au rétrofit parait « extrêmement séduisante », il resterait donc préférable de soutenir plutôt un programme social du type prime à la conversion de véhicules anciens ou prime à la casse pour l'achat d'une voiture neuve à batterie de petite taille.

Enfin, peinant à séduire les investisseurs, la filière serait menacée par l'interdiction de la vente des modèles thermiques en 2035 qui la priverait de voitures à rétrofiter. « Les compétences construites pour occuper durant une dizaine d'années la fenêtre d'opportunités ouverte grâce à l'intervention publique ne seront plus utiles à terme. La question de la redéployabilité des actifs ainsi constitués semble aujourd'hui difficile à résoudre », soulignent les auteurs. Mobilians, pour sa part, imagine plutôt un mix encore largement dominé par le thermique à cette échéance.

Les utilitaires avantagés

Pour les économistes, la conversion vers l'électrique pourrait toutefois s'avérer intéressante pour les véhicules utilitaires légers qui bénéficient d'un habitacle plus grand, de gammes plus réduites et d'accords entre constructeurs et fabricants de batteries. Le Forum Vies mobiles, quant à lui, préfèrerait miser sur un scénario franchement alternatif dans le cadre duquel « la voiture ne sera utilisée qu'en dernier recours ».

Si un système de mobilité complet permettait de s'en passer, grâce à la réaffectation massive d'une partie du réseau routier en faveur des modes actifs et des transports en commun, ainsi qu'à une meilleure desserte des territoires, le rétrofit pourrait alors jouer un rôle dans la décarbonation de la mobilité via l'électrification des cars, selon le groupe de réflexion. Sur le volet particulier, l'État ne subventionnerait plus que le rétrofit des derniers véhicules particuliers impossibles à éviter : ceux des agriculteurs isolés ou des infirmières à domicile parcourant des territoires ruraux, par exemple.

1. Bernard Jullien, Jean-Sébastien Lacam et Marc Prieto.

2. Lire le rapport du Forum Vies mobiles (2024), « Rétrofit électrique des véhicules légers : opportunités et contours d'une filière émergente en France », report written by Jullien, B., Lacam, J.S. and Prieto, M., éditions ESSCA Research, France.

Nadia Gorbatko / actu-environnement



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