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Le changement climatique menace l'assurabilité des collectivités

11/02/2025

Le changement climatique menace l'assurabilité des collectivités

Les bâtiments communaux de Breil-sur-Roya, dans les Alpes-Maritimes, sont dépourvus d'assurance dommages depuis le 1er janvier dernier.

De nombreux maires subissent des difficultés pour s'assurer en dommages aux biens. Des initiatives ont été lancées pour améliorer une situation dégradée par la hausse de la sinistralité, mais beaucoup reste à faire.

Bâtiment public privé d'assurance. La banderole, accrochée sur les murs de la mairie de Breil-sur-Roya (Alpes-Maritimes), est visible sur la vidéo que son maire (LR), Sébastien Olharan, a publié sur les réseaux sociaux début janvier pour annoncer son décret « interdisant les catastrophes naturelles » dans sa commune. Un geste insolite pour attirer l'attention sur la situation de ses 70 bâtiments communaux dépourvus d'assurance dommages depuis le 1er janvier. « Suite à la tempête Alex de 2020, nous avons perçu 6 millions d'euros au printemps 2024 de la part de notre assureur pour les dégâts liés aux inondations. Quelques semaines après, il nous a fait savoir qu'il résiliait tous nos contrats d'assurance au 31 décembre 2024 », résume Sébastien Olharan.

Le coup d'éclat de l'édile a mis en lumière la situation de nombreuses collectivités qui alertent sur leurs difficultés à s'assurer en dommages aux biens depuis plus d'un an. Dès 2023, 60 % des 713 communes interrogées dans le cadre du rapport de la mission sénatoriale d'information sur les difficultés assurantielles des collectivités territoriales paru en mars 2024 avaient rencontré des problèmes significatifs avec leur assureur : absence de réponse aux appels d'offres, résiliation de leurs contrats ou fortes hausses des cotisations et franchises.

L'ensemble du territoire concerné. « On estime à peu près à 1 500 les collectivités concernées par ces résiliations et explosions de franchises », indique Alain Chrétien, maire (Horizons) de Vesoul (Haute-Saône) et vice-président de l'Association des maires de France (AMF), coauteur avec Jean-Yves Dagès, ancien président de Groupama, d'un rapport sur l'assurabilité des collectivités locales commandé par Bercy, et daté d'avril 2024. « Cela concerne tout le territoire et surtout les communes moyennes à grandes qui, à partir de 2 500 habitants, proposent des services publics, crèches, écoles… », précise-t-il.

L'augmentation d'évènements climatiques et de catastrophes naturelles qui a fait croître la sinistralité climatique n'est évidemment pas étrangère à ce durcissement des conditions d'assurance sur un marché où régnait une guerre des prix. « La conjonction de prix bas avec une sinistralité en forte progression a créé un effet ciseau : le prix du risque ne correspondait plus aux faits. Le retour à la réalité a été brutal. Avec l'augmentation de la sinistralité liée aux catastrophes naturelles, les prix devaient être augmentés », estime Christophe Delcamp, directeur des assurances dommages et de responsabilité de la fédération France Assureurs.

Pourtant, désengagement des assureurs et hausses des tarifs ne concernent pas uniquement les zones victimes de catastrophes. « Les difficultés assurantielles affectent l'ensemble des collectivités, qu'elles soient rurales ou urbaines, qu'elles aient été touchées ou non par les émeutes ou par des phénomènes climatiques violents », indique le rapport du Sénat.

Aujourd'hui, la SMACL, assureur historique des collectivités devenue filiale de la Maif en 2021 qui se partage 60 % du marché avec Groupama, ne répond plus aux appels d'offres sur les communes du littoral où elle se juge trop exposée.

« On ne fera pas l'économie d'une réponse politique et législative à ce problème », affirme Sébastien Olharan. Alors que plusieurs rapports formulent des propositions pour garantir la concurrence sur ce marché et faciliter les échanges entre collectivités et assureurs, des démarches ont débuté depuis quelques mois, entravées par l'instabilité politique consécutive à la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin 2024. Un amendement du sénateur (LR) Jean-François Husson, auteur du rapport sénatorial, propose de fixer à six mois le préavis en cas de résiliation unilatérale par l'assureur d'un contrat de collectivité locale. Voté en mai dans le cadre du projet de loi simplification de la vie économique adopté en octobre 2024 au Sénat, il doit être examiné par les députés.

Réunions entre administration, collectivités et assureurs. En réponse au rapport commandé par le gouvernement à Alain Chrétien et Jean-Yves Dagès, la direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy et la direction générale du Trésor (DGT) ont, quant à elles, lancé en juillet un groupe de travail en vue d'une refonte du « Guide des bonnes pratiques pour la passation des marchés publics d'assurances des collectivités locales » « afin notamment de favoriser le recours à la procédure négociée », précise la DAJ. Des représentants des collectivités et des assureurs participent à ces réunions tripartites mensuelles qui doivent achever leurs travaux à la fin du premier semestre.

Bercy indique par ailleurs qu'« un dispositif centré sur l'accompagnement des collectivités qui n'ont pas réussi à obtenir d'assurance dommages aux biens est à l'étude sur la base du rapport remis par le médiateur de l'assurance, Arnaud Chneiweiss ». Jusqu'à présent, seules les collectivités assurées peuvent saisir la médiation. « Aucun assureur n'a pour objectif de sortir d'un marché. Nous travaillons à des solutions pour fluidifier les accords », assure Christophe Delcamp, qui participe aux réunions de Bercy. « France Assureurs a décidé de produire des fiches de prévention dédiées aux collectivités locales », ajoute-t-il.

« On ne fera pas l'économie d'une réponse politique et législative à ce problème. » - Sébastien Olharan, maire de Breil-sur-Roya

La nécessité de la prévention est également au menu des pistes du gouvernement. « Nous devons travailler sur la façon dont le métier d'assureur se transforme face à un niveau de risques qui explose. La place de la prévention, notamment, est à discuter », affirmait la ministre de la transition écologique Agnès Pannier-Runacher au « Moniteur ».


Les efforts à fournir concernent aussi les collectivités qui connaissent parfois mal leur patrimoine à assurer, l'inventaire et l'état précis de leurs bâtiments publics. « J'irai début février aux rencontres de l'Association pour le management des risques et des assurances de l'entreprise (Amrae) à Deauville faire la promotion du concept de manager de risque en collectivité », annonce Alain Chrétien. Il met néanmoins en garde les pouvoirs publics. « Nous attendons que le Premier ministre ou ses ministres nous donnent des signes d'intérêt sur ce dossier. A défaut de mesures structurelles, le système assurantiel des collectivités locales s'effondrera à la prochaine crise. »

Une assurance facultative mais bien souvent indispensable

Certaines collectivités locales, du fait du prix de la garantie, préfèrent s'auto-assurer aujourd'hui, reconnaît Christophe Delcamp, directeur des assurances dommages et de responsabilité de France Assureurs. Mais l'absence de contrat auprès d'un assureur externe n'est pas sans conséquences : « Si un bâtiment brûle, c'est la collectivité qui doit payer l'intégralité des dégâts, résume Alain Chrétien, maire de Vesoul et vice-président de l'AMF. En cas de sinistre, toutes les dépenses sont à sa charge, ce qui fait peser des risques financiers sans oublier la responsabilité pénale. »

L'absence d'assurance dommages aux biens, qui n'est pas obligatoire, n'a par ailleurs pas pour conséquence d'empêcher les bâtiments des collectivités de recevoir du public et de fonctionner. Facultative, elle peut cependant s'avérer indispensable face à la montée des sinistres climatiques majeurs car elle est une condition nécessaire pour pouvoir prétendre et accéder au régime d'indemnisation des catastrophes naturelles.

Laure Bergala / lemoniteur