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Les biorégions, une alternative écologique aux régions administratives

27/06/2021

Les biorégions, une alternative écologique aux régions administratives

Les biorégions, une alternative écologique aux régions administratives - © Sanaga/Report

Il est possible d’imaginer de nouveaux espaces politiques, plus ancrés et plus habités. Des territoires découpés « non par la législature mais par la nature ». C’est ce que propose la théorie biorégionaliste. Ses tenants rappellent que la question écologique est une affaire d’échelle et de sensibilité au vivant.

Au lendemain du premier tour des élections régionales, le constat est sans appel. Cet échelon administratif et politique n’intéresse plus grand monde. Près de deux tiers des Français et des Françaises se sont abstenus de voter le week-end dernier. Un taux historique [1], alors que les régions sont le terrain par excellence de la transition écologique.

La refonte de 2015, qui a réduit le nombre de régions [2], n’est sûrement pas étrangère à cet état de fait. Elle a accéléré ce sentiment de dépossession. À l’époque, André Vallini, le secrétaire d’État à la réforme sous François Hollande, appelait à fusionner les entités métropolitaines en treize « super régions », capables de concurrencer à l’international la Catalogne ou la Bavière. « La compétitivité », « l’attractivité », « l’efficacité »… Tels étaient les maîtres mots de ce nouveau découpage géographique.

Il fallait, selon le gouvernement, faire des économies — près de dix milliards d’euros — et créer partout « un choc de simplification ». Les régions étaient rebaptisées : « Grand Est », « Hauts-de-France », etc. Leurs noms, parfois, n’évoquaient plus qu’une position sur une carte, un emplacement géographique. Et désignaient des territoires trop vastes pour avoir une âme.

« Une région gouvernée non par la législature mais par la nature »

Cette course au gigantisme n’a pourtant rien d’une fatalité. Elle est le fruit de politiques libérales qui voient dans les territoires des espaces soumis aux forces du marché, aux flux économiques et à la circulation des capitaux. Cette pensée est devenue hégémonique mais depuis des décennies, à bas bruit, des écologistes essayent de faire émerger d’autres récits. Ils imaginent des modèles d’organisation différents pour renouer avec la réalité terrestre et sortir de l’économicisme. Ils repensent nos territoires à l’aune des écosystèmes. Ils dessinent de nouvelles cartographies pour prendre en compte les continuités écologiques et les milieux de vie, les migrations animales, les cycles de l’eau, les chaînes de montagnes.

Avec la crise sanitaire, leur approche a suscité un regain d’intérêt. La pandémie a montré la vulnérabilité de nos espaces politiques et la nécessité d’en inventer de nouveaux, moins artificiels, plus ancrés. Cette idée s’incarne aujourd’hui dans le concept de « biorégion ». Entre cette dernière et les régions administratives, telles qu’elles existent actuellement, il n’y a pas seulement un préfixe mais tout un monde.

Une biorégion, selon l’essayiste américain Kirkpatrick Sale, est « un lieu défini non par les diktats humains mais par les formes de vie, la topographie, le biotope ; une région gouvernée non par la législature mais par la nature ». Chaque biorégion est précisément située, unique et reconnaissable. On y retrouve des espèces animales et végétales spécifiques, un climat dominant, des types de sols caractéristiques autant que des modalités d’installations humaines particulières. « Parler de biorégion, c’est tenter de décrire un milieu de vie plus qu’humain, partagé et cohabité », explique à Reporterre le professeur d’architecture Mathias Rollot. Son échelle emblématique est le bassin-versant. Les biorégions suivent les torrents, les rivières et les fleuves qui apportent avec l’eau la vie et créent une première forme de communauté.

« Réhabilitons notre rivière pour que le saumon sauvage puisse s’y reproduire à nouveau »

La biorégion n’est pas un terroir, souligne cependant le professeur. Elle possède aussi — et c’est ce qui fait sa force — un aspect politique. À l’intérieur de cet espace, ses habitants sont engagés dans une démarche d’enracinement et d’autonomie. « Ils cherchent à se découpler de la mégamachine et à réduire leur dépendance, souligne la chercheuse Agnès Sinaï, de l’institut Momentum. La biorégion invite à redimensionner les établissements humains pour qu’ils intègrent la bonne échelle, la bonne proportion de prélèvement de ressources et le bon rythme. » C’est un antidote à l’aménagement capitaliste du territoire, un antidote à sa prédation et à son avidité.

Notre environnement n’est pas inerte, il n’a rien d’un décor, pensent les biorégionalistes. Pour habiter pleinement un lieu, il faut interagir avec lui, comprendre les interdépendances et les lois invisibles qui le portent. « Vivre in situ. » Cette philosophie se décline aussi de manière très concrète. Si on demande à un citadin d’où vient son eau, on peut parier qu’il répondra : « Du robinet. » Les biorégionalistes, eux, vont dénicher la source réelle, suivre les canalisations et remonter jusqu’aux rivières, en passant par les retenues d’eaux, pour prendre conscience de toute la complexité du système hydraulique. Leur démarche va être similaire pour le bois, la nourriture ou nos autres ressources. les biorégionalistes tissent l’étoffe de notre relation aux écosystèmes. Ils dressent les diagnostics de nos dépendances, cartographient nos approvisionnements, nos ressources et l’enchâssement de nos liens. « Les habitants deviennent coproducteurs de leur territoire, plutôt qu’usagers et consommateurs », indique Agnès Sinaï.

Pour le poète Gary Snyder, le programme politique d’une biorégion pourrait se résumer à un seul point : « Il s’agit d’essayer de réhabiliter notre rivière de manière que le saumon sauvage puisse s’y reproduire de nouveau », écrit-il. Derrière l’apparente modestie de cette mesure se jouent des implications politiques considérables. « Pour y arriver, on doit lutter contre la surpêche et la déforestation, on doit batailler contre la pollution industrielle et l’artificialisation des sols, relève Marin Schaffner, qui codirige la collection de poche des éditions Wildproject. Il faut changer notre état d’esprit et se mettre au service du vivant. » Gary Snyder imagine la création de comités de bassin versant pour impliquer les habitantes et les habitants des territoires concernés. « Seul un engagement populaire sur le long terme pourra préserver l’écosystème de nos biorégions », écrit-il.

« Nous ne voulons plus être les spectateurs d’un monde qui n’en finit pas de s’effondrer »

Si la théorie des biorégions est née aux États-Unis sur les côtes californiennes, portée par des précurseurs de l’écologie radicale, cette approche a trouvé récemment des émules en France. Ces dernières années, les éditions Wildproject ont traduit et publié de nombreux textes. Alors qu’il devient de plus en plus clair que nos découpes administratives et nos anciens référents politiques, issus du productivisme, ne tiendront pas le choc climatique, l’idée infuse.

Dans un entretien à BFM TV, le 9 juin 2021, le leader de la France insoumise et candidat à l’élection présidentielle Jean-Luc Mélenchon s’en est lui-même fait l’écho. Il a proposé une réorganisation des régions françaises « pour les faire correspondre aux bassins-versants ». Dans leur livre Propositions pour un retour sur Terre, plusieurs grands noms de l’écologie dont Dominique Bourg et Pablo Servigne ont aussi émis l’idée de remplacer le Sénat par une « Assemblée des biorégions », dotées chacune d’une autonomie.

Mais c’est sûrement au niveau des luttes, sur le terrain, que l’approche biorégionaliste s’épanouit le mieux. Sans être une étiquette ou un marqueur d’identité, elle irrigue les imaginaires. À la Zad du Carnet, dans l’estuaire de la Loire, les habitants ont cherché à penser leur lutte depuis le lieu qu’ils occupaient. L’idée n’était pas seulement de lutter contre un projet de zone industrielle, il s’agissait aussi de rêver d’« une Loire ré-ensauvagée », où « les activités humaines s’adapteraient plus qu’elles ne s’imposeraient aux méandres, vagues et marées ». Dans un texte paru en automne 2020, ils invitaient à relier les différents combats le long des rives du même fleuve, dans une perspective fondamentalement biorégionale.

Sur le plateau des Millevaches, en Nouvelle-Aquitaine, le « syndicat de la montagne limousine » pourrait aussi très bien s’apparenter au comité de bassin-versant imaginé par Gary Snyder. Dans le préambule de leur texte de présentation, les habitants du plateau expliquaient ainsi leur démarche : « Nous ne voulons plus être les éternels spectateurs et spectatrices d’un monde qui n’en finit pas de s’effondrer. Aucun gouvernement n’apportera plus de solution. Il est temps de porter nos espoirs et nos forces ailleurs. La montagne limousine, où nous vivons, est l’échelle adéquate pour nous saisir d’un certain nombre de problèmes essentiels qui sans cela font naître en nous un grand sentiment d’impuissance. »

Un groupe « Eau » s’est constitué après les sécheresses des dernières années. Alors que le plateau des Millevaches est considéré comme le château d’eau de la région, plusieurs villages ont dû être ravitaillés par des camions citernes. Cela a constitué un électrochoc pour la population. Les habitantes et habitants ont ainsi organisé une fête des bassins-versants de la Vienne du 31 mai au 12 juin 2021. « La question de la ressource en eau est le sujet brûlant des années à venir », pronostiquent-ils. « Sur le chemin de cette prise de conscience, de nombreux conflits d’usage vont naître et bruissent déjà. Nous pouvons anticiper ces terrains de conflit, anticiper les conséquences désastreuses des pénuries d’eau et de la hausse des températures, à notre très petite échelle peut-être autant voire plus que dans les grandes réunions internationales. »

Une situation similaire est en train de naître dans les Pyrénées. Face au projet de mégascierie Florian, les habitants du territoire voudraient mettre en place « des comités de bassin de la forêt » pour préserver la ressource et décider de ses usages le plus localement possible.

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