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Les Objectifs de développement durable gagnent les territoires
03/04/2020
En septembre 2015, les Objectifs de développement durable ont été adoptés par les 193 États membres de l’Organisation des Nations unies dans le cadre d’un Agenda 2030. Engagée avec une feuille de route depuis septembre 2019, la France doit désormais soutenir son appropriation par les acteurs du territoire, entreprises et collectivités.
Les 17 Objectifs du développement durable (ODD) onusiens s’articulent autour de 169 cibles et 232 indicateurs composant une feuille de route à atteindre d’ici à 2030 « pour éliminer la pauvreté, protéger la planète et améliorer le quotidien des personnes dans le monde».Elle est déclinable à de nombreuses échelles: États et collectivités, entreprises, ONG et société civile. «Il s’agit d’une formidable matrice des enjeux du développement durable à 360° », s’enthousiasme Sarah Schönfeld, directrice du Comité 21, en soulignant le contexte particulier de l’initiative onusienne. « Entre la COP21, l’Accord de Paris et l’adoption des ODD, l’année 2015 a constitué un moment extraordinaire de multilatéralisme en proposant un nouveau narratif à la mondialisation. En renouvelant les finalités de l’Agenda 21, adopté à Rio en 1992, l’Agenda 2030 a donné un nouvel élan mondial au développement durable. »
Pour les États, l’enjeu est de réussir à s’approprier ce programme et à le décliner dans les territoires. La France, dotée d’une Stratégie nationale de développement durable pour la période allant de 2015 à 2020, s'est trouvée classée en 2019, par le Réseau des Nations unies de solutions pour le développement durable (Bertelsmann), au quatrième rang, sur 162 pays, en matière de développement durable, les meilleurs résultats étant sur l’ODD 1 (pauvreté) et 7 (énergie). Elle a profité du quatrième anniversaire des ODD, en septembre dernier, pour publier sa feuille de route pour 2030. Celle-ci décline les 17 objectifs en six grands enjeux, en commençant par la lutte contre la pauvreté, puis dans l’ordre: l’environnement, l’éducation et la formation, la santé et le bienêtre, la participation citoyenne à l’atteinte des ODD et la transformation durable des sociétés. « Cettehiérarchisation a un sens pour le pays», souligne Thomas Lesueur, Commissaire général du développement durable au ministère de la Transition écologique et solidaire. « La puissance des ODD réside dans leurs interrelations. C’est ce que nous avons voulu faire apparaître dans notre feuille de route. Celle-ci s’appuie sur les politiques publiques existantes, mais les ODD lui donnent une cohérence nouvelle », estime Thomas Lesueur. Pour adapter le cadre onusien aux particularités nationales, 98 indicateurs ont été sélectionnés par l’Insee et le Conseil national de l’information statistique, dont dix nouveaux indicateurs de richesse. L’État, qui a réuni pendant un an plus de 300 acteurs autour de la feuille de route, évoque l’importance de stimuler une dynamique collective de mise en œuvre, notamment en créant des coalitions multiacteurs. « Souhaitons que la stratégie française réussisse à impulser des transformations radicales, même si elle n’est pas accompagnée d’un budget spécial consacré aux ODD », observe Sarah Schönfeld, pour le Comité 21.
L’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) juge, pour sa part, la responsabilité de l’État trop faible. « Le pilotage de l’Agenda 2030 reste flou. Il manque un état des lieux initial sur la base des indicateurs de l’Insee. Nous attendions également beaucoup d’une intégration des ODD dans les dispositifs d’évaluation du Parlement, en particulier dans le processus budgétaire; ce qui a été rejeté. Le risque serait de tomber dans une approche trop méthodologique, sans grande envergure », analyse Élisabeth Hege, chercheure sur la gouvernance et le financement du développement durable à l’Iddri, qui voit malgré tout une piste de changement du côté des investisseurs.
De fait, les investisseurs publics (Caisse des dépôts, Association française de développement, Bpifrance, Fonds de réserve pour les retraites) ont déjà concrétisé leur engagement en novembre 2019 dans une charte afin d’intégrer les ODD dans leurs stratégies d’investissement et leur fonctionnement interne. La Caisse des dépôts a ainsi déterminé sept objectifs prioritaires, assortis d'indicateurs intégrés dans son pilotage stratégique et son reporting extra-financier. De son côté, la Banque des territoires teste, depuis septembre 2019, une matrice de cotation des projets, intégrant les ODD dans ses critères de choix de financement. « Dans la gestion de nos actifs, nous allons aussi étudier plus systématiquement, en plus de la note RSE des entreprises, leur impact sur quatre ODD (8, 13, 15 et 16) », précise Nathalie Lhayani, directrice développement durable du groupe Caisse des dépôts.
Spécialisé dans le conseil RSE, le cabinet B&L Évolution réalise, depuis 2016, une enquête annuelle sur l’implication des entreprises du SBF 120 aux ODD. En partenariat avec Novethic, la dernière édition (2019) a inclus dans son panel les investisseurs « qui pourraient faire bouger les lignes et mobiliser les entreprises», considère Sylvain Boucherand, directeur général de B&L Évolution. « En quatre ans, les entreprises ont découvert les ODD, mais on ne peut pas parler d’un mouvement général d’appropriation. Seule la moitié des grandes entreprises françaises s’en sont emparées et l’écart se creuse avec celles qui ignorent encore le sujet », estime-t-il. Les niveaux d’engagement varient en effet entre la simple déclaration morale, l’intégration des ODD dans la politique RSE (rapport développement durable, déclaration de performance extra-financière) et, pour certaines pionnières, à l’évolution de leur offre pour contribuer positivement aux ODD. Ce qui peut passer soit par des partenariats innovants avec des ONG, soit par un travail sur l’approvisionnement avec ses fournisseurs.
Suez, pour sa part, s’est dotée pour la période 2017 à 2021 d’une feuille de route structurée autour de dix-sept engagements en lien avec les ODD. Le groupe estime que ces objectifs améliorent notamment les pratiques avec ses fournisseurs et sous-traitants. « Les principes éthiques, sociaux et environnementaux intégrés dans les clauses RSE de nos cahiers des charges permettent de progresser ensemble au regard d’ODD, tels que le 12 (consommation et production responsable) ou le 8 (santé-sécurité ou conditions de travail) », estime Jean-Pierre Maugendre, directeur adjoint du DD de Suez. « En matière de RSE, la loi sur le devoir de vigilance, publiée en 2017, a élargi la responsabilité des grandes entreprises aux risques sociaux et environnementaux sur l’ensemble de leur chaîne de valeur. Pour élaborer leurs plans, la vision très intégrative et cadrée des ODD se révèle tout à fait adaptée », confirme Sylvain Boucherand. L’Europe, qui renégociera cette année la directive RSE, pourrait d’ailleurs intégrer les ODD dans le nouveau référentiel de reporting.
Créé sous l’égide de l’ONU pour diffuser les ODD dans les entreprises, le Global Compact des Nations unies rassemble 10000 entreprises dans le monde et son réseau local en France, près de 1200 – du CAC 40, SBF 120 jusqu’aux PME-TPE. « À l’échelle internationale, notamment dans les pays émergents, les ODD constituent déjà le langage partagé des entreprises. C’est donc un outil puissant que les entreprises françaises doivent s’approprier. Mais la France est en retard et sa feuille de route manque pour elles d’opérationnalité », juge Fella Imalhayene, déléguée générale du Global Compact France. L’organisme élabore d’ailleurs à leur intention des outils de sensibilisation pour soutenir l’Agenda 2030 (Tour de France, réseau d’entreprises embassadrices, business reporting, guide SDG Compass, travail sur des indicateurs d’impact). Côté collectivités, la marche vers l’appropriation reste lettre morte, notait un rapport piloté par le Comité 21 en 2018. En novembre dernier, l’association a profité du Salon des maires et des collectivités locales pour présenter son guide pratique « Pour l’appropriation de l’Agenda 2030 parles collectivités françaises ». « Pour territorialiser leurs actions, nous recommandons aux collectivités de hiérarchiser les ODD proches de leur niveau de compétences et de tisser ensuite des liens avec ceux qui leur semblent plus lointains », précise la directrice du Comité 21. Les rosaces interactives du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) facilitent ce travail. Reposant sur cinq objectifs au cœur des activités des collectivités (6, 7, 11, 12 et 15), elles identifient les interactions de chacun d’entre eux avec les 16 autres et fournissent des pistes d’action pour les articuler. « L’idée est d’aider les collectivités à identifier les sujets d’interaction et à raisonner plus largement dans la transversalité», souligne Florence Bordere. Pour la directrice de projet Stratégies territoriales et transition au Cerema, qui a participé à l’élaboration de l’Agenda 2030 de la commune de Saint-Fons (Rhône), l’ODD 17 sur les partenariats est le pivot de cette nouvelle démarche systémique : « La collaboration des acteurs fait le succès de l’élaboration et de la mise en œuvre d’unAgenda 2030. »
Une des collectivités pionnières, la ville de Niort, a intégré les ODD dans son rapport sur le développement durable dès 2017, avant de se lancer dans l’élaboration de sa feuille de route Niort durable 2030, adoptée fin novembre 2019. Celle-ci pointe huit défis déclinés en 140 actions contribuant à l’ensemble des ODD. L’étape de coconstruction de l’agenda territorial a été centrale. Près de 150 acteurs relais ont été invités à formaliser leur « rêve pour Niort en 2030 » et à définir des actions pour le rendre possible. « Les ODD constituent une boussole pour construire une trajectoire plus durable et un langage commun avec les entreprises, les associations et les citoyens », souligne Sophie Broc, chargée de mission démarche DD à la ville de Niort. Inspirés par l’initiative de la commune, certains acteurs socio-économiques du territoire, comme les mutuelles d’assurance, interrogent leur politique RSE à l’aune des ODD. La commune réfléchit à élargir ce mouvement en leur proposant une charte d’engagement à son Agenda 2030. Ainsi, la clé d’appropriation des ODD pourrait bien venir des boucles d’interaction entre acteurs.
Alexandra Delmolino - environnement magazine