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Les entreprises bretonnes pionnières des matériaux biosourcés marins

24/11/2021

Les entreprises bretonnes pionnières des matériaux biosourcés marins

Il existe plus de 700 variétés d’algues en Bretagne. Ces ressources marines, tout comme les coquillages, donnent matière à de nombreux usages industriels. — Photo : Agence Gosselin

Les biomatériaux ont la cote. La tendance est à l’utilisation de ressources naturelles, que ce soit dans l’habitat, la nutrition, le plastique… En Bretagne, c’est la mer qui donne des idées aux entreprises. Elles sont de plus en plus nombreuses à innover en travaillant les algues ou encore les coquillages. Une filière des matériaux biosourcés issus de la mer sort des abysses. Qui sont les pionniers et les perles de demain ?

Les Bretons se sont toujours nourris de la mer, jusqu’à utiliser les algues comme amendement pour la terre. Ce petit plus a fait la différence. Les siècles ont passé et l’innovation bretonne est restée. Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises utilisent ou cherchent à tirer le meilleur des ressources naturelles du territoire, et ce pour des usages variés. Qu’elles travaillent sur les algues ou les coquillages, elles se mettent à valoriser des matériaux dits "biosourcés".

"Les éco-matériaux connaissent une forte croissance, qu’il s’agisse de matériaux biosourcés, c’est-à-dire d’origine végétale ou animale, géo-sourcés (issus de la terre) ou même recyclés", constate Julie Poisson, chargée de mission de la toute jeune fédération bretonne des filières biosourcées (Fb²), basée à Rennes et née en 2019.

Les chiffres sont difficiles à trouver, car la filière est encore peu structurée. Tout juste sait-on, en s'appuyant sur des données des CCI de Bretagne et des Pays de la Loire, que dans le domaine des ressources biologiques marines, 4 350 emplois étaient comptabilisés en 2017 dans le Grand Ouest sur la partie transformation et conservation de poissons, de crustacés et de mollusques. Et 847, pour la partie fabrication de produits azotés et d'engrais. Mais la naissance de la Fb², ici en Bretagne, montre cette volonté de faire émerger les produits biosourcés.

L’algue omniprésente

Sur les huit filières que rassemble la fédération, l’une est dédiée aux produits biosourcés aquatiques. À commencer par les algues. Et pour cause : il en pousse en quantité sur les côtes bretonnes. D’après la Fb², plus de 700 variétés y sont répertoriées pour une production de 65 000 tonnes par an, ce qui fait de la Bretagne le premier producteur d’algues en Europe. Cet organisme vivant a inspiré plusieurs entreprises depuis plusieurs dizaines d’années, qui font aujourd’hui figure de pionnières.

C’est le cas d’Olmix (671 salariés, 155 M€ de CA, 36 filiales et une présence dans 100 pays) créée par Hervé Balusson il y a 25 ans, qui s’est saisi du sujet des algues comme d’un or vert aux multiples déclinaisons. Basée à Bréhan dans le Morbihan, l’entreprise dispose de pas moins de 24 brevets pour ses applications dédiées à la santé animale mais aussi aux plantes. La richesse des algues bretonnes doublée de l’expertise de la station biologique de Roscoff - l’un des centres références dans le monde sur la question des algues -, lui a permis de tester ses solutions sur un territoire où l’agriculture et l’agroalimentaire sont cruciaux. Désormais adossé au fonds Motion Equity Partners, Olmix s’est hissé au rang de spécialiste mondial des biotechnologies marines et de la chimie verte.

L’algue a également été l’élément déterminant derrière la création d’Algo Paint (10 collaborateurs, CA : n.c) installée à Vern-sur-Seiche en Ille-et-Vilaine, fabricant de peintures issues du milieu végétal et marin. C’est sous la douche, avec un shampoing à base d’algues entre les mains, que l’idée a germé dans la tête de Lionel Bouillon, le fondateur, qui travaillait alors au sein de l’entreprise familiale Félor, autre fabricant de peintures rennais. Il souhaite alors prendre le contrepied de la peinture dérivée du pétrole et s’approvisionner en filière courte. Après un travail de R & D poussé, le projet Algo Paint naît en 2015. Contre 20 000 boîtes de peintures sans polluant vendues en 2016, pour sa première année de commercialisation, la PME rennaise en écoule 250 000 aujourd’hui. La petite entreprise développe deux gammes de peintures à base d’algues : une pour le grand public (Algo Déco, distribuée dans 450 magasins) ; et une autre pour le marché professionnel (Algo Pro, présente dans 100 points de vente). Sur le marché de la peinture en France qui est trusté par de "grosses baleines" (les Ripolin, Duluxe Valentine…), selon l’expression de Lionel Bouillon, Algo Paint est en train de faire sa place sur son "lagon bleu". Une fierté pour ce patron engagé, qui a aussi lancé une gamme revêtements extérieurs à base de coquilles Saint-Jacques, et une autre (de la peinture anthracite), confectionnée avec des coquilles de moules.

Seconde vie pour les coquillages

Dans les va-et-vient des marées, les coquillages sont les autres produits marins qui nourrissent les réflexions industrielles. Toujours dans la peinture, l’entreprise finistérienne Cool Roof France (15 salariés, 2 M€ de CA), spécialisée dans la peinture réfléchissante pour les toitures, utilise, elle, la coquille d’huître dans son revêtement depuis cette année.

Application du produit à base de coquilles d’huîtres, Cool Roof, sur un toit.

Application du produit à base de coquilles d’huîtres, Cool Roof, sur un toit. - Photo : Cool Roof

L’entreprise se fournit auprès de l’usine de Kervellerin dans le Morbihan, spécialisée dans la fabrication et la vente de produits élaborés à partir de matières premières naturelles. "L’utilisation de la coquille d’huître nous permet d’intégrer une part non négligeable de matière biosourcée dans notre revêtement. De plus, cette matière première est issue d’un circuit local et permet de valoriser un déchet. Le défi technique peut résider dans l’obtention d’un produit de très haute performance à moindre coût, nous avons cependant réussi à maintenir ces critères", explique Raphaëlle Belchi, la responsable du pôle matériaux de Cool Roof France. La société créée en 2015 rayonne désormais sur toute la France et connaît une demande soutenue liée à la prise de conscience de la problématique du changement climatique. L’entreprise costarmoricaine Nanovia (10 collaborateurs, CA : n.c) utilise ces mêmes coquilles d’huître pour fabriquer l’un des filaments d’impression 3D qu’elle produit dans son usine de Louargat.

Valorisation des déchets

En raison des considérations environnementales pregnantes, Patrick Poupon, directeur du Pôle Mer Bretagne Atlantique, juge "très porteuse" la filière des biomatériaux. "Les entreprises travaillent rarement uniquement sur les biomatériaux d’origine marine mais sur la valorisation des bio-ressources marines, explique-t-il. Avec la loi sur la REP (Responsabilité Élargie des Producteurs) qui entrera en application au 1er janvier 2025, les entreprises vont devoir mettre en œuvre des circuits de collecte/recyclage ou d’écoconception. Les biomatériaux pourront permettre soit la biodégradabilité totale en mer soit de faciliter le recyclage à terre."

Le Pôle Mer Bretagne Atlantique, qui rassemble près de 400 adhérents des secteurs public et privé, aide les entreprises à dynamiser leur capacité d’innovation et à monter des projets, aux côtés du monde de la recherche. À la clé, des financements régionaux, nationaux ou européens. Cela a été le cas pour Mytilimer (140 collaborateurs, 50 M€ de CA), producteur de moules à Cancale (Ille-et-Vilaine), qui à travers son projet Kerbone, souhaite valoriser les moules de petite taille. L’utilisation de poudre de coquilles à destination de l’alimentation animale, du BTP ou de l’industrie des bioplastiques est inscrite dans son projet industriel. Pour ce cas, le pôle a identifié l'entreprise et l'a contactée pour répondre à un appel à projets de l’Ademe. Grâce à eux, Mytilimer a touché une aide importante (montant non communiqué) sur un budget global de 4,9 millions d’euros.

Nouveaux business

Avec des ressources en quantité en filière courte et des acteurs scientifiques pour les accompagner dans la maturation de leurs projets - citons le Centre d’Étude et de Valorisation des Algues (CEVA) à Pleubian (Côtes-d’Armor), qui est force de proposition sur de nouveaux produits et procédés pour ses clients industriels -, de nouveaux acteurs prometteurs se jettent à l’eau.

Seabird, la société fondée par Marie Chauvel à Larmor-Plage (Morbihan) a ainsi développé ses propres process et chaînes de production pour fabriquer des filets de pêche biosourcés, à partir de coquilles d’huître entre autres composants. "Nous pouvons actuellement fabriquer 200 tonnes de bioplastiques par an et visons une production de 600 à 800 tonnes dans les années à venir. Nous cherchons un site industriel en ce sens, explique Marie Chauvel. Nous sommes peut-être les seuls en Europe à pouvoir répondre à une demande d’achats de filets de pêche biosourcés." Depuis 2011, l’entreprise, soutenue par une vingtaine d’actionnaires, a investi plus d’un million d’euros dans la recherche et développement.

Polymaris a conquis le secteur de la cosmétique avec ses polymères issus de micro-organismes marins.

Polymaris a conquis le secteur de la cosmétique avec ses polymères issus de micro-organismes marins. - Photo : Polymaris

Polymaris (10 salariés, 1,2 M€ de CA en 2020), TPE de Plouzané (Finistère) paraît aussi promise à un bel avenir. Après avoir conquis le secteur de la cosmétique avec ses polymères issus de micro-organismes marins, elle avance à pas de géant dans le domaine des bioplastiques. "Nous venons d’investir un million d’euros dans un nouveau bâtiment qui accueillera notre nouveau bioréacteur d’ici mars 2022. Cet équipement va nous permettre de lancer une production pilote", explique Anthony Courtois, docteur en biologie et cofondateur de l’entreprise avec Bertrand Thollas, docteur en chimie.

Et si l’entreprise multiplie les dépôts de brevet pour ses nouvelles molécules entièrement dégradables dans l’eau, c’est que les applications sont nombreuses : énergie, nutrition animale, paramédical, luxe… Et bien sûr la plasturgie. "Nos projets avancent bien, et les perspectives sont belles", se réjouit le dirigeant, qui a bénéficié d’une aide de 100 000 euros dans le cadre de France Relance. Et pour lui, nul doute que la filière se structure : "Nous sommes en passe de créer un GIE (groupement d’intérêt économique, NDLR) qui réunira une demi-douzaine d’entreprises du territoire", confie-t-il. "Les chercheurs et les industriels ont joué leur rôle, tout comme la Région qui nous accompagne. Mais il faut désormais une véritable volonté politique pour développer la filière, car les enjeux sont nationaux et internationaux", glisse-t-il comme un appel du pied à la ministre de la transition écologique.

www.lejournaldesentreprises.com

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