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Inflation, dérèglement climatique... Pourquoi l’antigaspi prospère ?

08/09/2024

Inflation, dérèglement climatique... Pourquoi l’antigaspi prospère ?

Sur les marchés aussi, comme ici à Belleville, dans le 20e arrondissement de Paris, une partie de la marchandise termine à la poubelle. © GETTY IMAGES

Dopé par la crise du pouvoir d’achat, l’antigaspi est florissant. Le marché prend de l’ampleur et se structure en amont comme en aval en variant ses sources d’approvisionnement et ses débouchés.

Les raisons du succès

  • Une arme pour préserver son pouvoir d’achat : l’antigaspillage reste la solution anti-inflation pour 48 % des Français, selon Kantar Worldpanel 2023.
  • Un levier pour lutter contre le changement climatique. Le gaspillage alimentaire est responsable de 10 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.
  • Un moyen de limiter le coût du gaspillage alimentaire, estimé par Too Good to Go à 16 milliards d’euros en France et à 1,1 trilliard dans le monde. De la fourche à la fourchette, 40 % de la production termine à la poubelle dans le monde.
  • Un acte social face à la malnutrition, dont 5 millions de personnes souffrent en France.

Avec l’inflation, les pratiques antigaspi se sont accélérées, renforcées et démocratisées. Considéré d’abord comme l’un des principaux leviers pour lutter contre le changement climatique, l’antigaspi est même devenu une stratégie d’achat pour de nombreux consommateurs, avec un effet positif sur l’environnement. Ainsi, selon une enquête menée en 2023 par NielsenIQ, la limitation du gaspillage de nourriture apparaît pour 62 % des Français comme l’arme numéro un pour préserver leur pouvoir d’achat, loin devant la réduction des dépenses d’habillement (52 %), de gaz ou d’électricité (48 %).

« L’inflation a mis le gaspillage au centre, observe Emily Mayer, directrice business insights chez Circana. La réduction du gaspillage arrive en tête des solutions citées par les Français pour limiter l’impact de l’inflation. L’antigaspi est devenu une stratégie d’achat, avec un effet positif sur l’environnement. C’est une façon de faire des économies sans se priver et sans faire le deuil de quelque chose, ce qui est le cas quand on achète une MDD. »

D’où viennent les 8,8 millions de tonnes de déchets alimentaires en France ?

Poids des différents secteurs à l’origine du gaspillage alimentaire, en milliers de tonnes

Source : Eurostast 2023, données 2021 pour la France

Avec un peu plus de 4 millions de tonnes en 2021, les ménages français généraient 47 % des déchets alimentaires, soit 60 kg/an et par habitant (déchets comestibles et non comestibles). Un non-sens économique, social et écologique.

Doublement de la clientèle en deux ans

Selon l’étude Shopperscan de Circana publiée en octobre 2023, 94 % des consommateurs raffolent des corners antigaspi car ils leur permettent de s’offrir des marques nationales et de découvrir des produits. Chez Carrefour, Casino, Franprix ou Auchan, ils ont fleuri partout et proposent des produits avec des dates de consommation courtes et des prix jusqu’à 30 % moins chers. Et se sont multipliés chez les pure players comme La Fourche et Greenweez avec des onglets dédiés.

« Nous faisons de l’anti-gaspi depuis deux ans, avec la volonté de proposer aux Français des bonnes affaires et d’adhé­rer à nos valeurs écologiques, explique Lucas Lefebvre, cofondateur du site La Fourche. Nous l’avons installé à la demande de nos fournisseurs qui avaient des palettes de produits qu’ils ne parvenaient plus à vendre en raison des dates de durabilité trop courtes (inférieures à trois mois). Compte tenu de notre logistique avec un seul magasin digital, il était plus facile pour nous d’écouler ces stocks. Aujourd’hui, ces rayons pèsent jusqu’à 5 % de nos ventes avec 400 références alimentaires et non alimentaires (hygième, santé, maison, etc.). »

Cette appétence des Français à moins gaspiller s’est traduite par un doublement de la clientèle en deux ans. Avec un taux de pénétration des opérateurs du déstockage alimentaires passé de 4,8 % en 2021 à 10,1 % en 2023, selon l’étude Shopperscan de Circana. En parallèle, le marché s’est structuré avec des acteurs dont les modèles et les outils évoluent rapidement. La première phase a vu se développer des paniers mystère composés des invendus du jour récupérés chez les commerçants grâce à des applications mobiles comme celle de Too Good to Go, lancée en 2016 au Danemark et en France.

« L’an passé, nous avons écoulé 187 000 panier Too Good to Go », témoigne Richard Jolivet, le patron de Naturalia. Depuis sa création, l’entreprise, qui emploie 150 personnes en France, a « sauvé » 76 millions de repas. Selon elle, il y a un vrai lien entre antigaspi et inflation puisque 5 millions d’usagers supplémentaires ont rejoint l’application en 2023 pour atteindre les 15 millions d’utilisateurs dans l’Hexagone pour 11 000 commerçants et restaurants partenaires.

Too Good to Go, les paniers et les colis d’invendus

Le concept : des produits en fin de vie avec une grosse décote proposés dans des paniers surprise à récupérer chez les commerçants et chez les restaurateurs. Depuis juin 2023, des colis d’invendus sont aussi récupérés directement chez les industriels et les grossistes et livrés à domicile.

  • Date de lancement : 2016
  • CA : NC


Depuis sa création, l’application estime avoir « sauvé » 76 millions de repas.

Fruits et légumes en tête dans les paniers

Même succès pour Phenix, start-up parisienne née en 2014 et dont la croissance a été dynamisée pendant la période Covid, quand les stocks d’invendus ont été gonflés par la fermeture brutale des restaurants. Elle rachètera dans la foulée en 2021 son concurrent italien MyFoody pour 3 millions d’euros. Avec parfois des effets pervers. « Des commerçants se sont mis à produire plus sachant qu’il y avait ces paniers, signale un acteur du secteur. Et l’on constate parfois un assèchement, ou du moins une moindre qualité des produits destinés aux associations. »

Le système s’est progressivement déplacé en amont, avec la récupération de produits déclassés directement chez les producteurs et les transformateurs. Chaque année, 21 % du gaspillage alimentaire est produit au moment de la transformation selon l’Ademe et 11 % de la récolte est gaspillée directement dans les champs, un gâchis de près de 1,3 million de tonnes liés aux excédents de récolte et défauts esthétiques (forme et calibrage) imposés par la grande distribution. « Nous proposons désormais des colis antigaspi à partir de produits issus des surstocks de 140 marques partenaires que nous reconditionnons et livrons chez les Français à 50 % de leur valeur initiale », indique Méleyne Rabot, la directrice générale de Too Good to Go qui a déjà écoulé 400 000 colis en France et creuse d’autres pistes dans la restauration.

Né en 2021, PimpUp a été cofondé par Anaïs Lacombe et Manon Pagnucco, qui se sont rencontrées sur les bancs de leur école d’ingénieur, inspirées par l’expérience d’Imperfect Foods. Ce site lancé en 2016 aux États-Unis livre à domicile (ou au travail) des box de fruits et légumes « moches » dont les supermarchés et épiceries ne veulent pas et qu’ils récupèrent directement dans les fermes. Acquis en 2023 par son concurrent Misfits Market, ce mariage leur a permis d’atteindre la rentabilité début 2024 avec un CA de 1 milliard de dollars.

En France, PimUp n’a pas atteint la même échelle. « Nous travaillons aujourd’hui avec une centaine de producteurs, en fonction des saisons, dont nous valorisons les fruits et légumes, bio ou non, refusés ou en surstocks sous forme de paniers de différente taille (petit, moyen, grand) allant de 2,5 à 8 kg, à des prix oscillant de 9,99 € à 27 €, explique Anaïs Lacombe qui a vu s’envoler les commandes. Nous livrons beaucoup de familles avec enfants, mais aussi des gens qui travaillent et trouvent un gain de temps puisque nous proposons des recettes qui leur permettent de cuisiner les légumes de leurs paniers grâce à un partenariat avec un créateur de contenu. »

PimpUp, l’abonnement panier en amont de la production

Le concept : lutte contre le gaspillage en amont de la production en récupérant les fruits et légumes refusés par la GMS ou les surstocks. Ceux-ci sont valorisés sous forme de paniers de fruits et légumes de quantités et de contenus variés, proposés à la vente et livrés en point relais.

  • Date de lancement : 2021
  • CA : 600 000 €


Pour accompagner ses paniers, la start-up propose des recettes afin de cuisiner les légumes.

Bene Bono, spécialiste en ligne des courses antigaspi bio, a franchi la prochaine étape visée par PimpUp, celle de proposer une sélection plus large de produits. « Nous proposons environ 500 références alimentaires et non alimentaires (entretien, beauté, hygiène, salé, sucré, boissons…) en circuit court », relate son cofondateur, Sven Ripoche. L’enseigne teste en parallèle sa marque propre sur des produits secs avec des produits emballés à son nom comme des légumineuses cassées, du café, des œufs de petit calibre et travaille avec un fabricant sur des tablettes de chocolat avec une recette qui évolue selon les stocks. « Notre ambition est de sauver de plus en plus de typologies en ouvrant de nouvelles catégories. Cette année, nous allons développer l’ultrafrais et la crèmerie qui requièrent une logistique compliquée. »

Le bouche-à-oreille pour publicité

Des contraintes trop « énormes » pour Willy anti-gaspi, qui propose sur son site uniquement des produits bio français secs (surstocks et dates courtes) vendus entre 25 et 50 % moins chers avec une livraison gratuite en point relais pour toute commande supérieure à 39 €. Le site référence 1 200 produits issus de 250 fournisseurs et revendique plus de 450 000 produits sauvés de la poubelle avec un panier moyen de 50 €.

« Notre chiffre d’affaires a été multiplié par 2,3 cette année après avoir quadruplé l’exercice précédent », se réjouit son cofondateur Clément Mery, dont l’objectif est de recruter pour absorber la croissance, en gardant la satisfaction client. Celui qui vise la rentabilité pour 2025, ambitionne de développer sa marque propre et d’ouvrir à terme des drives pour compléter son offre. Comme pour la plupart des acteurs de l’antigaspi, son meilleur apporteur d’affaires est le bouche-à-oreille, un bon référencement sur Google et les réseaux sociaux.

Willy anti-gaspi, le 100 % digital

Le concept : des produits secs en dates courtes, en surstock ou avec un problème d’emballage ou d’étiquette, mais encore bons à consommer, et proposés jusqu’à 50 % moins chers par rapport à leur prix d’origine. La société propose une livraison partout en France et compte près de 1 200 références de produits secs (salé, sucré, boissons, bébé, maison, hygiène) représentant plus de 200 marques (Ethiquable, Côteaux nantais…).

  • Date de lancement : 2022
  • CA : 1,8 M €
  • 18 salariés

« Avant, lorsque j’étais directeur d’un Hyper U je dépensais 1 million d’euros par an en publicité. Aujourd’hui, c’est zéro », appuie Alexandre Jousseau, cofondateur de l’enseigne Frais malin­. Créé en 2011, ce déstockeur compte quatre magasins de 450 à 950 m² dans la Sarthe, où il écoule ses arrivages de produits issus de litiges de transport ou refusés par la GMS, soit 20 tonnes de denrées alimentaires par an. Aujourd’hui, il réalise 18 millions d’euros de CA, dont 70 % avec des produits frais et 25 % avec de l’épicerie, des liquides et des produits d’hygiène et prévoit deux nouvelles ouvertures.

Chaque jour ses arrivages sont annoncés sur les réseaux sociaux pour attirer une clientèle qui n’hésite pas à parcourir jusqu’à 60 km. « Avant, c’étaient les gens dans le besoin. Aujourd’hui, c’est tout le monde », observe le patron de Frais malin dont le CA a bondi de 13 % l’an dernier. S’il est rentable, il ne court pas après une croissance ultrarapide, désireux de garder son indépendance financière. « Aujourd’hui, les banques me suivent, savoure Alexandre Jousseau. Mon modèle, c’est le système D de A à Z puisque j’utilise aussi du mobilier de récupération. Chaque magasin est différent à l’image de mes salariés, des pépites de la GMS qui m’ont rejoint pour échapper à la pression de la grande distribution. »

Frais malin, le déstockeur alimentaire antigaspi

Le concept : positionné sur les litiges de transport, les produits hors calibre ou à date courte issus des producteurs ou de la grande distribution, Frais malin propose dans ses magasins des décrochages de prix de 20 à 30 % au minimum selon les arrivages.

  • CA : 18 M€
  • Date de lancement : 2011
  • 4 magasins dans la Sarthe (72) sous le nom de Frais malin déstockage
  • 70 salariés

Dans ses magasins, comme ici à Arnage, l’enseigne réalise 70% de son CA avec des produits frais.

Franchise en vue

À l’inverse, Nous anti-gaspi, lancé en 2019 et qui vient d’ouvrir son 28e magasin à Paris (15e), s’est rapproché de la grande distribution via des partenariats et l’ouverture de son capital à Creadev, véhicule financier de la famille Mulliez, en complément des fonds Eutopia, Quadia et Danone Manifesto Ventures. « Nous ne faisons pas des coups, mais des partenariats, explique son cofondateur Vincent Justin. Nous travaillons de façon récurrente avec nos fournisseurs à travers des MDD que nous valorisons. »

L’acteur qui propose 130 références à sa marque s’est installé chez Carrefour, Casino, Franprix et travaille en cobranding avec la MDD Monoprix depuis septembre. « Nous sommes déjà numéro un des ventes avec ces produits », se réjouit Vincent Justin qui espère atteindre les 50 magasins à horizon 2026 en se développant en franchise avec l’ouverture d’un premier magasin pilote mi-2025 en région parisienne.

Aujourd’hui, il pèse 45 millions d’euros avec 250 salariés et prévoit une nouvelle levée de fonds en 2025 « Sur un marché à +10 %, nous sommes en croissance de 20 % en juin 2024 par rapport à juin 2023. » Et ce n’est pas fini. « Il n’y aura pas de retour en arrière, prédit-il. Personne ne sort indemne d’une crise inflationniste. Il y a eu des changements structurels dans les habitudes de consommation. Le rapport au discount touche une population de plus en plus large avec de moins en moins de tabou. » Et avec la certitude de faire un achat responsable sans rien sacrifier.

Nous anti-gaspi, le réseau d’épiceries physiques

Le concept : des magasins physiques avec une offre de marques nationales. Et ce, grâce à des partenariats avec les industriels et les distributeurs pour récupérer des produits en phase de production rejetés pour des questions d’aspect, de calibre, de surproduction, etc. Mais aussi des solutions de valorisation offertes à ses fournisseurs à travers ses MDD.

  • 28 magasins en France
  • Date de lancement : 2019
  • CA : 45 M €
  • 250 salariés

Fin juin, l’enseigne a ouvert son 28e magasin rue de Vaugirard, à Paris (15e).



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