Le salon des Solutions
environnementales du Nord

Les Actualités

Concilier la réindustrialisation avec les impératifs écologiques soulève plusieurs défis

05/06/2024

Concilier la réindustrialisation avec les impératifs écologiques soulève plusieurs défis

Les entrepôts logistiques XXL sont très gourmands en foncier    © TTstudio

Limiter l'artificialisation des sols d'ici 2050 se heurte aux impératifs de réindustrialisation des territoires et soulève des sujets collatéraux loin d'être anodins comme la place des entrepôts logistiques ou l'accès au foncier en ville.

Dans le cadre de son plan de simplification, présenté le 24 avril dernier, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire a annoncé une série de mesures visant à accélérer la réindustrialisation du territoire français. Depuis la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte, le délai d'autorisation des projets industriels est passé de dix-sept à neuf mois en moyenne, assure Bercy. Mais c'est encore trop long, estime aujourd'hui le ministre. L'autre sujet épineux concerne le foncier disponible pour accueillir de nouvelles activités industrielles tout en limitant l'artificialisation des sols, également voulu par l'exécutif.

Alors comment articuler les objectifs de transition écologique et de réindustrialisation du Gouvernement ? Quels choix d'implantation des usines dans les territoires ? Des élus, chefs d'entreprise, chercheurs en économie, géographie et urbanisme, ont tenté de répondre à ces questions lors d'une table-ronde, tenue le 23 mai à l'Assemblée nationale. Ils s'exprimaient à l'occasion du colloque « à l'échelle des transitions » organisé par l'Europe des projets architecturaux et urbains.

Pour atteindre l'objectif du zéro artificialisation nette (ZAN) des sols à l'horizon 2050, les collectivités vont devoir diviser par deux leur consommation d'espaces naturels agricoles et forestiers (Enaf) entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie précédente. Et selon France Stratégie, l'habitat reste de loin la principale cause d'artificialisation des sols au niveau national (plus de 60 % en moyenne de consommation d'espaces). Ensuite, vient la construction des zones d'activités économiques et des zones commerciales qui représente un peu plus de 20 % de ce flux, mais ces projets peuvent constituer localement des emprises au sol très importantes.

Le secteur de la logistique très gourmand en foncier

À l'image des nouvelles implantations logistiques qui se révèlent très voraces en mètres carrés, mis en lumière par Adeline Heitz, urbaniste au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). « La logistique est une activité qui n'est pas délocalisable. Elle est sur notre territoire et elle s'organise en fonction des systèmes de production, qu'ils soient éclatés ou non, et en fonction des organisations territoriales, constate la chercheuse. Aujourd'hui on a un tiers de la demande des entrepôts qui sont ce qu'on appelle du XXL et leur surface peut aller de 40 000 mètres carrés au minimum, jusqu'à 120 000 mètres carrés. Ils sont évidemment très consommateurs d'espaces, très gourmands en foncier. Et là il y a de vrais enjeux de transition en lien avec les modèles économiques de ces entreprises qui dépendent aussi de la taille et de la localisation de ces activités. ».

Or, il reste difficile d'estimer la place de la logistique en fonction des besoins futurs et dans la perspective de sobriété foncière. D'autant que son déploiement, encore aujourd'hui, traduit l'évolution des stratégies des entreprises, la sortie de crises (2008, Covid 19…) et le développement de gros secteurs comme le e-commerce et la grande distribution.

Le défi de rapatrier des activités industrielles en centre-ville

« Les moyens que les entreprises logistiques vont engager pour répondre aux enjeux de sobriété foncière sont très variables. Elles vont être préoccupées par deux aspects. D'abord, par tout ce qui va concerner la décarbonation du transport, qui va être un enjeu immédiat. Ça veut dire changer de mode de transport, changer de véhicule. On pense éventuellement aux véhicules électriques, voire parfois à la cyclo-logistique », souligne Adeline Heitz. Mais dans ce cas-là, il s'agira aussi de repenser la localisation des entrepôts. « Vous ne pouvez plus installer des entrepôts à 20, 30, 40 kilomètres des centre-villes. Vous devrez les ramener dans les espaces centraux. Mais c'est très difficile à faire. Ces entreprises vont donc avoir besoin d'un accompagnement très fort des collectivités, et même au niveau national, pour pouvoir engager leur transition. Autrement, elles vont continuer à faire ce qu'elles font aujourd'hui et à assumer le modèle économique qu'elles ont, et qui n'est pas toujours le plus vertueux ».

En outre, pour renforcer l'attractivité des centres-villes ainsi que la mixité des activités et la mixité sociale, cela nécessiterait de disposer d'industries « à loyer modéré », défend Thomas Huriez, fondateur de la marque 1083, qui fabrique des jeans et des chaussures made in France. « il y a une réalité économique quand on est une industrie, on n'a pas les moyens de payer le loyer en centre-ville. Il faut qu'on invente des sortes d'offices d'ILM pour des industries à loyer modéré, qui soient basés sur le même modèle économique que pour les HLM pour l'habitation qui servent à mixer les quartiers. Je crois que c'est la Caisse des dépôts qui prête sur 50 ans aux offices HLM. Dans l'industrie, on va avoir besoin de la même chose, si demain on veut permettre économiquement à des activités productives, qui sont peu dangereuses, peu nuisibles, comme un atelier de couture, de se mettre en centre-ville ».

Surtout que les élus, à l'image de Michel Leprêtre, président de l'intercommunalité Grand-Orly Seine Bièvre (Île-de-France), attendent avant tout de la réindustrialisation sur leur territoire qu'elle soit « utile » en termes de création de valeur, de productivité et de nouveaux emplois notamment « dans les quartiers populaires ».

Les projets industriels inscrits dans le quota national du ZAN

Cette réindustrialisation risque donc d'engendrer une mise en concurrence du foncier dans le cadre de la mise en œuvre du ZAN, prévient Olivier Bouba-Olga, économiste à l'Université de Poitiers. « Il  faut trouver les bons compromis entre la réindustrialisation et le respect des limites planétaires. Ça pose des questions sur comment on reconquiert des friches, comment on mobilise des bâtiments vacants aussi pour atteindre notre objectif de sobriété foncière », souligne-t-il.

De son côté, Bercy veut faire bénéficier tous les projets industriels (création ou extension d'usines) de l'enveloppe nationale d'artificialisation de 12 500 hectares réservée aux grands projets d'envergure nationale ou européenne. À noter :  les nouveaux projets industriels représentent déjà 30 % des 167 premiers projets retenus qui échapperont au ZAN, dévoilés en avril par le ministère de la Transition écologique.

Rachida Boughriet / actu-environnement

Annonce Publicitaire