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Loi Agec : sa mise en œuvre délaisse la réduction et le réemploi au profit du recyclage

07/06/2024

Loi Agec : sa mise en œuvre délaisse la réduction et le réemploi au profit du recyclage

Véronique Riotton et Stéphane Delautrette présentent leur rapport en commission DD de l'Assemblée nationale, mercredi 29 mai    © DR

Deux députés ont évalué la mise en œuvre de la loi Agec. Ils estiment que la France est sur la bonne voie, mais que l'accent est encore trop mis sur le recyclage. La gouvernance des REP et la consigne sont aussi au programme de leur rapport.

La loi Antigaspillage pour une économie circulaire (Agec) « a permis de mettre la France sur la voie d'un changement de paradigme en faveur de l'économie circulaire ». Mais, « force est de constater que plusieurs dispositions de la loi sont peu appliquées, voire pas du tout, ne font pas l'objet de mesures de suivi ou de contrôle, ou se heurtent à divers blocages ». Et c'est particulièrement vrai des dispositions en faveur de la réduction et du réemploi, constate le rapport d'évaluation de la loi présenté ce mercredi 29 mai par les députés Véronique Riotton (Renaissance, Haute-Savoie) et Stéphane Delautrette (Socialistes et apparentés, Haute-Vienne).

Les deux élus expliquent à Actu-Environnement avoir mené une évaluation « exhaustive » des objectifs et mesures inscrits dans les 130 articles de la loi. Au total, ils formulent 100 recommandations regroupées en 14 axes. Qu'en retenir ?

Pas assez de prévention

« Il y a un avant et un après : la loi Agec est structurante et marque un pas important vers une économie circulaire », résume Véronique Riotton. « Mais on est encore au milieu du gué », nuance-t-elle, ajoutant que certains progrès sont encore difficiles à mesurer faute de données. Il ne s'agit donc pas de proposer une loi Agec 2, mais plutôt d'accélérer pour « passer d'une culture de moyen à une culture de résultat ».

« Un sujet interpelle », explique pour sa part Stéphane Delautrette : quatre ans après l'adoption de la loi, « les objectifs de réduction ne sont pas atteints ». Pire, la production de déchets poursuit sa hausse. La loi devait organiser une bascule vers l'économie circulaire en réduisant les déchets et en développant le réemploi et la réparation, mais son application est centrée sur le recyclage. Prévention, écoconception et réemploi « restent ainsi les parents pauvres de la loi Agec », selon le rapport.

Interdire les biodéchets dans les OMR

Les biodéchets ne sont pas oubliés. Les députés proposent de fixer dans la loi « des objectifs de réduction progressive du poids des biodéchets dans les ordures ménagères résiduelles », et cela « jusqu'à l'interdiction des biodéchets dans les OMR ».

Ils suggèrent aussi de revoir les règles concernant les plastiques compostables à domicile. Il faut « interdire toute allusion à l'insertion de matières plastiques dans un compost domestique, y compris les sacs de collecte de biodéchets ». Et d'envisager l'interdiction de la mention « compostable » sur les plastiques destinés au compostage domestique.

Durcir la lutte contre le plastique jetable

Ce constat est particulièrement vrai concernant l'« objectif ambitieux » de fin de mise sur le marché d'emballages en plastique jetables d'ici 2040. Le bilan d'étape de l'Agence de la Transition écologique (Ademe) montre une hausse de 3,3 % entre 2018 et 2021. Pour inverser la tendance, le rapport formule six proposions. Sans surprise, le renforcement des contrôles y figure, avec deux sujets prioritaires : la vaisselle réemployable dans la restauration et l'installation de fontaines à eau dans les établissements recevant du public.

Le rapport suggère aussi d'étudier « la pertinence des exemptions » à l'interdiction de la vente de fruits et légumes sous emballage plastique pour réduire la liste des dérogations. Les députés demandent aussi que les producteurs réalisent des plans de réduction de la production de bouteilles en plastique, pour garantir l'atteinte de l'objectif de division par deux entre 2018 et 2030. À noter que le député Delautrette propose, à titre personnel, d'étendre l'obligation d'utiliser de la vaisselle réemployable à toutes les livraisons de repas à domicile.

Faire du réemploi une priorité

Le rapport propose aussi de « faire du réemploi une priorité » avec onze mesures. On peut retenir la volonté d'inscrire dans la loi la consigne pour réemploi des emballages en verre avec obligation de reprise des contenants en grande surface. De même, le rapport suggère de renforcer les objectifs prochain décret « 3R » pour 2025-2030 (en fixant notamment une trajectoire à 2040). Autre mesure notable : les députés veulent porter à 10 % du montant des écocontributions le versement au fonds réemploi des éco-organismes (contre 5 % actuellement).

Et bien sûr, là aussi, il faut contrôler et sanctionner. Véronique Riotton donne l'exemple de l'interdiction de la vaisselle jetable à compter de janvier 2023 : 46 % des restaurants contrôlés fin 2023 servaient encore des boissons dans des verres non-réutilisables. « Il faut faire la chasse aux stratégies de contournement », estime la députée, rappelant que l'application de la loi est vitale pour les entreprises qui misent sur le développement du réemploi.

Réformer la Cifrep

La loi « renforce considérablement » la responsabilité élargie des producteurs (REP), constatent les élus, rappelant l'extension de certaines filières, la création de nouvelles, et l'ajout de dispositifs. Mais, il y a une « injonction contradictoire », estime le député Delautrette, puisque la REP confie aux producteurs le soin de limiter la production de déchets alors que leurs activités reposent sur la vente de produits.

Cette gouvernance des filières REP est donc l'objet de « beaucoup de débat ». D'autant que 7 milliards d'euros d'écocontributions devraient être collectés en 2029, contre 2,4 milliards d'euros en 2023. Le rapport formule sept recommandations. Concrètement, l'idée est notamment de revoir le rôle de la Commission interfilières REP (Cifrep) pour lui « redonner un rôle de planification [afin qu'elle] élabore les stratégies de filière » et la transformer en « commission transversale des filières REP » (un guichet unique chargé d'harmoniser et de faciliter les démarches des acteurs).

Une instance indépendante de contrôle et de régulation

Pour assurer le contrôle des filières REP, le rapport propose douze mesures supplémentaires. Il faut « [appliquer] systématiquement les sanctions prévues par la règlementation, dès qu'un manquement (…) est constaté » et il faut « [renforcer] les montants des sanctions financières », pour inciter davantage les éco-organismes à atteindre les objectifs des filières REP. Les députés suggèrent aussi la création d'une « instance indépendante de contrôle et de régulation » chargée de contrôler, de sanctionner les écarts, d'accompagner a lutte contre les passagers clandestins et d'aider les acteurs à résoudre les litiges.

Autre sujet : il faut accorder « des moyens humains suffisants » aux directions générales de la prévention des risques (DGPR), des entreprises (DGE) et de la compétitivité, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF), explique le rapport. Mais c'est un sujet « loi de finances », donc délicat.

La consigne fait débat, encore et toujours

Enfin, le sujet de la consigne pour recyclage des bouteilles en plastique a fait l'objet d'« un grand débat » entre les rapporteurs, explique Stéphane Delautrette. Le député estime, comme les collectivités, que plutôt que d'envisager la consigne pour recyclage, il faut activer tous les leviers disponibles. Et de rappeler que l'Ademe juge possible d'atteindre l'objectif européen de collecte de 90 % en 2029 en déployant tous ces leviers. Il insiste en particulier sur la généralisation de la tarification incitative, qui « bien utilisée » en synergie avec l'extension des consignes de tri et le tri des biodéchets, améliore la collecte des recyclables en préservant les coûts.

Véronique Riotton estime pour sa part qu'on doit être prêt à déployer la consigne si l'on s'éloigne de la trajectoire conduisant aux 90 %. Et cela « dans un délai de deux ans », précise sa recommandation. Elle explique « qu'elle souhaite qu'on arrive à résoudre la résistance des collectivités, en compensant financièrement les surcoûts auxquels elles feraient face ». Elle suggère de fixer la consigne à au moins 20 centimes pour les bouteilles et à au moins 15 centimes pour les cannettes, d'assurer un maillage suffisamment dense avec des points de reprise « partout sur le territoire » et d'assurer un marquage lisible des emballages.

Philippe Collet / actu-environnement




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