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Vigilance climatique : les multinationales françaises toujours pas à la hauteur
18/03/2025

Vigilance climatique : les entreprises françaises en retard - Photo de Mika Baumeister sur Unsplash
Le nouveau rapport de Notre affaire à tous sur l'action des entreprises en matière de vigilance climatique montre que les multinationales françaises sont encore en retard pour se conformer à la loi sur le devoir de vigilance. "Des efforts considérables supplémentaires doivent encore être mis en œuvre par les entreprises" en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
Huit ans après l'entrée en vigueur de la loi française sur le devoir de vigilance, où en sont les plus grandes multinationales du pays ? C'est la question à laquelle tente de répondre le dernier rapport publié par l'organisation Notre Affaire à Tous, paru il y a quelques jours. L'étude tente d'évaluer la manière dont 26 grandes multinationales françaises soumises au devoir de vigilance (EDF, TotalEnergies, Axa, BNP Paribas, Air Liquide, Arcelor Mittal ou encore Michelin, Renault ou Bouygues...) répondent à leurs obligations en matière climatique : respectent-elles leurs obligations de transparence ? Prennent-elles des engagements suffisants en matière de trajectoire de réduction des émissions de CO2 ? Ont-elles mis en place un plan de vigilance climatique adapté ?
Pour sa 5ème édition, ce benchmark de la vigilance climatique montre que les grandes entreprises sont encore très loin de répondre aux obligations juridiques en matière d'action et de vigilance climatique, à l'heure où l'urgence de réduire nos émissions de gaz à effet de serre se fait pourtant de plus en plus forte. Les entreprises examinées n'obtiennent ainsi que la note de 38/100. 5 d'entre elles obtiennent même une note inférieure à 25/100 : Natixis (12,5), Casino (12,5), Bolloré (20), Société Générale (22,5) et TotalEnergies (24). A l'opposé, seules trois entreprises ont la moyenne : Danone (59,5), Michelin (60) et Schneider Electric (77,5).
"Les entreprises loin de faire leur part"
Selon le rapport, les émissions cumulées de ces 26 entreprises représentent, pour les scopes 1, 2 et 3 (c'est-à-dire pour l'ensemble de leurs chaînes de valeurs) près de 2 600 millions de tonnes d'équivalents CO2) soit environ 4,5% des émissions mondiales annuelles. Les entreprises françaises contribuent donc de façon très significative à la hausse des émissions mondiales et à l'accentuation des risques climatiques, mais ne mettent pas pour autant en place les mécanismes qui permettraient de contribuer à la transition climatique. Pour Brice Laniyan, juriste spécialisé pour Notre Affaire à Tous, les entreprises "sont encore loin de faire leur part pour contribuer au succès de l'Accord de Paris". Selon l'expert, les objectifs affichés par les entreprises "ne permettraient de réduire leurs émissions que de 12% d'ici 2030 par rapport à 2019".
Classement 2024 vigilance climatique Notre Affaire à Tous
Si la majorité des entreprises (17 sur 26) se fixent désormais une trajectoire compatible avec l'objectif de 1,5 degré de réchauffement climatique, compatible avec l'Accord de Paris, les stratégies qu'elles mettent en place sont encore largement insuffisantes. "Le plan d'action ne suit pas", lance Brice Laniyan. Pour l'expert, beaucoup d'entreprises "tentent encore de limiter leur obligation individuelle en renvoyant à la responsabilité collective et au caractère global du réchauffement climatique."
Certaines entreprises parmi les plus polluantes, comme Arcelor Mittal, conditionnent ainsi leurs efforts de décarbonation à des subventions publiques ou à des politiques climatiques plus ambitieuses au niveau national ou européen, et retardent donc la mise en place d'actions concrètes et ambitieuses. "Les entreprises ont de plus en plus recours à la cession d'actifs comme stratégie de réduction de leurs émissions" poursuit Brice Laniyan, c'est-à-dire qu'elles se contentent de transférer leurs activités et infrastructures polluantes à d'autres acteurs, ce qui ne contribue pas in fine à la décarbonation de l'économie.
Le rapport pointe également le recours trop fréquent à des systèmes de compensation carbone, dont l'efficacité et la pertinence est régulièrement pointée du doigt. "Des efforts considérables supplémentaires doivent encore être mis en œuvre par les entreprises pour réduire de 50% leurs émissions en 2030, qui constitue la valeur minimale à atteindre pour être aligné sur 1,5 °C", résument les auteurs.
L'importance de maintenir la règlementation climatique européenne
Selon les analystes de Notre Affaire à Tous, certaines entreprises françaises sont même encore très en retard sur l'identification de leurs impacts climatiques. TotalEnergies par exemple, n'intègre toujours pas les émissions de son "scope 3", c'est-à-dire l'intégralité des émissions associées à sa chaîne de valeur et de ses activités en amont et en aval de la production de pétrole. Sur ce sujet, le géant pétrolier est d'ailleurs confronté à une action en justice pour ne pas avoir respecté l'obligation de fiabilité des informations climatiques qu'elle publie. Les entreprises des services financiers (AXA, BNP Paribas, Natixis, Société Générale), refusent également d'intégrer à leur bilan carbone les émissions associées aux activités qu'elles financent, quand celles de l'aéronautique ne déclarent pas la contribution climatique des trainées de condensation par exemple. Résultat : une sous déclaration généralisée des impacts climatiques pour ces entreprises, qui entraîne des stratégies d'atténuation inadaptées.
La France est, avec l'Allemagne, l'un des seuls Etats européens à disposer d'une loi sur le devoir de vigilance qui impose aux entreprises de mettre en place une action structurée de lutte contre le réchauffement climatique. La proposition de créer une directive similaire dans le droit de tous les pays européens, qui avait été votée en avril dernier, est en ce moment remise en cause par la Commission européenne, dans le cadre de la loi omnibus visant à "simplifier" le Green Deal. Ce rapport rappelle que les acteurs privés ont encore de nombreux efforts à fournir pour contribuer à la transparence et à l'action en matière de transition écologique et sociale, et qu'un cadre règlementaire adapté est l'un des leviers essentiels pour accélérer cette transition