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25 ans d’Amazon : la livraison express et gratuite est devenue la norme, faut-il s'en réjouir ?

17/05/2025

25 ans d’Amazon : la livraison express et gratuite est devenue la norme, faut-il s'en réjouir ?

En 2024, Amazon a livré plus de 9 milliards d'unités le soir même ou le lendemain aux membres Prime (sur abonnement) du monde entier. @Jordan Stead

Il y a 25 ans, qui aurait pu imaginer qu’on pourrait commander à peu près tout et n’importe quoi sur Internet et le recevoir en quelques heures seulement ? Amazon a rendu possible cette réalité, au prix d'impacts sociaux et environnementaux invisibilisés.

Un pack de cartouches d’encre, le jeu “The Legends of Zelda", des mini-films pour appareils photo instantanés, des carrés de coton ou encore une calculatrice graphique. Voici quelques-uns des articles les plus commandés sur Amazon avec la livraison le soir même en France, selon un inventaire dressé par le géant américain lui-même, qui fête cette année ses 25 ans d’installation dans l’Hexagone.

"Depuis 25 ans, nous avons à cœur de faciliter le quotidien des Français en leur offrant un accès simple, rapide et fiable à ce dont ils ont besoin, explique Frédéric Duval, directeur général d’Amazon France. Notre mission est restée inchangée depuis le premier jour : proposer des prix bas, une vaste sélection de produits, une livraison rapide et fiable, ainsi qu’un service à l’écoute des clients. Nous sommes fiers d'être devenus un partenaire du quotidien pour des millions de Français, ajoute-t-il.

Génération Amazon

Et de fait, on peut dire qu’en 25 ans, Amazon est devenu incontournable pour une majorité de Français et a contribué à transformer le commerce en ligne, pratique marginale qui se limitait à l’époque à la vente à distance – on a tous en mémoire le catalogue des Trois Suisses ou encore de La Redoute. Selon une étude Ifop menée en mars 2025, 96% des Français achètent désormais en ligne, et 43% le font de façon régulière (plus d’une fois par mois). Du côté du chiffre d’affaires, on est passé de 8,4 milliards d’euros en 2005 à 175,3 milliards d’euros vingt ans plus tard pour l’ensemble du e-commerce.


"Cette multiplication par plus de 20 traduit bien plus qu’un simple basculement vers le numérique : elle incarne un changement profond dans les comportements d’achat et dans la manière dont les consommateurs organisent leur quotidien", explique le cabinet de sondages. "25 ans après l’arrivée d’Amazon en France, le commerce en ligne fait désormais partie du quotidien des Français. Pour la Génération Amazon, la livraison rapide et gratuite, les prix bas toute l’année, on pourrait dire que cela va de soi", commente également Jérôme Fourquet, Directeur Opinion à l’Ifop.

Pour Reuben Fisher, chef de projet Fret pour le Shift Project, c’est une véritable révolution culturelle qu’Amazon a imposée. "Auparavant, on se contentait de livrer des colis - et quand ils arrivaient en sept jours, on était déjà contents. Avec Amazon, on livre des clients. Leur satisfaction est au cœur du business model du géant. Le client est roi, ce n'est pas négociable. Il a toujours le bénéfice du doute. C’est un changement de paradigme qui a pu être bénéfique au début mais peut-être qu’aujourd’hui on est allés un peu trop loin", constate le spécialiste de la logistique, qui a un temps travaillé pour un sous-traitant d'Amazon.

"Gabegie"

Car derrière ces délais de livraison toujours plus resserrés se cachent de nombreux impacts environnementaux et sociaux. Si Amazon n’a de cesse de citer une étude de l’Ademe de 2023 comparant l’impact d’un achat en ligne à celui en magasin qui lui serait favorable, ce que celle-ci relève en réalité c’est la difficulté de mesurer ces impacts. En effet, l’achat en magasin d’une paire de chaussures présente l’empreinte la plus importante (1,6 kg CO2e) mais seulement si le consommateur a spécialement parcouru dix kilomètres en voiture pour se rendre dans la boutique. L’empreinte carbone d’une paire de chaussures livrée à domicile après avoir parcouru 800 kilomètres en avion (1 kgCO2e) n’est de son côté pas non plus négligeable. Et entre les deux, il existe des dizaines de situations plus ou moins impactantes.

"Avec la livraison rapide, on a moins de latitude pour massifier ou optimiser les envois ou encore pour opter pour des transports doux comme le bateau ou le train qui prennent nécessairement plus de temps", constate Reuben Fisher. Cette course à la rapidité a également des impacts très importants sur les conditions de travail avec une pression maximale. Sur les salariés d’Amazon qui sont chronométrés au sein de leurs entrepôts, mais aussi sur les livreurs, très majoritairement des sous-traitants qui sont payés au colis livré, et qui s’épuisent jour après jour pour tenir la cadence.

"La livraison n’a aujourd’hui plus aucune matérialité. Amazon a ouvert cette brèche et domine le marché grâce à cela. Le géant, suivi par d'autres, a ainsi contribué à modifier le paysage des commerces en ville, qui ferment peu à peu, et à transformer nos modes de consommation, nous enfermant dans ce modèle. Difficile de faire marche arrière désormais. Mais est-ce que c’est vraiment vers ce monde-là qu’on veut aller ?, interroge le spécialiste. Dans quelques années, on considérera cette période comme une véritable gabegie et on se demandera comment on a pu dépenser autant d’énergie pour se faire livrer des produits non essentiels", se projette-t-il.

Des livraisons en 3h30

L'année dernière, Amazon a franchi un cap en matière de livraison express, avec plus de 9 milliards d'unités livrées le soir même ou le lendemain à ses membres Prime (sur abonnement) du monde entier. Fort de son succès, le groupe, qui propose la livraison le soir même dans plus de 130 villes d'Europe, entend étendre le dispositif dans 20 nouvelles villes du continent dans les 12 prochains mois. A Madrid, certains quartiers pourront recevoir leurs commandes 3,5 heures après le paiement pour une sélection de produits grâce à une IA qui va prévoir ce que les clients souhaitent le plus urgemment en fonction de données de popularité, déterminant ainsi les produits à placer dans ces zones spécialisées. Et le géant expérimente aussi la livraison par drone pour des livraisons en trente minutes chrono.

"La livraison rapide et gratuite a révolutionné les attentes des clients. Notre objectif est de continuer à dépasser ces attentes en permettant à nos membres d'obtenir ce dont ils ont besoin quand ils en ont besoin, notamment pour les essentiels du quotidien", souligne Thomas Muller, Responsable des analyses des pays de l'UE pour Amazon. Sauf qu’à voir la liste des produits les plus commandés, on se demande si ces "besoins" n’auraient pas pu respecter un délai de livraison un peu plus raisonnable.

"Amazon fait partie des acteurs qui poussent à la surproduction grâce notamment à son abonnement Prime qui incite à la consommation. Mais dans un monde aux ressources limitées, on ne peut pas se payer le luxe de recevoir tout et n’importe quoi en un temps record et gratuitement", réagit auprès de Novethic Adrien Montagut, spécialiste de la surproduction et bénévole au sein des Amis de la Terre. Il plaide pour la mise en place d’un moratoire sur les flux de produits neufs vendus, à l’instar de ce que proposait initialement la loi française contre la fast-fashion, qui sera débattue au Sénat début juin.

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